Dahmane Ouzid s’est essayé à la comédie musicale avec Essaha (La Place). Pari réussi pour la première du genre dans le cinéma algérien et qui est en compétition officielle au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco), au Burkina Faso. Derrière sa légèreté, le film est une ode à une jeunesse algérienne combative en dépit de tous les maux qui sont les siens.
Une nouvelle cité et une place non aménagée qui devient la propriété des jeunes du quartier. C’est sur ce postulat que repose la première comédie musicale algérienne présentée en compétition officielle de la 22e édition du Fespaco. Essaha (La Place) de Dahmane Ouzid est un prétexte pour raconter les maux d’une jeunesse algérienne livrée à elle-même mais qui ne s’avoue pas vaincue. Kawazaki, fan de foot, Yacine et ses rêves de comédie musicale, Menad, Boualem, Hchicha, Moha et leurs voisines ont fait de la place leur arbre à palabre. La place, dont on doit décider de l’aménagement, catalyse l’attention de toute la communauté, aussi bien des riverains, que de l’Etat ou encore d’hommes d’affaires peu recommandables. Discuter de l’avenir de la place, c’est faire le dur apprentissage de la démocratie, de la préservation de l’environnement et de la nécessité de prendre ses responsabilités quant à son avenir. Essaha, c’est aussi la confrontation des anciens et des jeunes, les premiers faisant l’éloge du bon vieux temps, les seconds leur rappelant qu’il ne faut pas s’enfermer dans la nostalgie du passé. En chansons, Dahmane Ouzid parle des amoureux du banc public, de la puissance de Google qui peut localiser les squatteurs de la place mais aussi de l’impérieuse envie de concrétiser ses rêves d’ailleurs. Au désarroi qui donne des envies de suicide – la corde n’attendant qu’un cou désespéré -, succède le difficile choix de devenir un harraga. Au risque d’abandonner sa place à des requins.
De la musique et des maux
Quand démarre Essaha, le fouillis s’installe à cause d’une succession de séquences musicales qui n’ont d’autre ambition que de donner le ton. Puis l’intrigue se renforce, livrant des prestations musicales émouvantes, entraînantes ou combatives, où se mélangent chants traditionnels, hip hop, rap et R’n’B, pour dénoncer le fléau de la drogue, les visas que l’on refuse à des jeunes gens en mal d’exil et la marginalisation dont souffrent les jeunes femmes dans une société machiste et conservatrice. La musique s’apparente à un leurre dont Dahmane Ouzid se sert pour dire l’essentiel, sans tomber dans le pathos, et en faisant de l’espérance une valeur pérenne. Il serait facile de croire que le réalisateur algérien se laisse dépasser par l’entrain d’un casting jeune et dynamique qui livre une prestation sans fausse note. Mais ce serait compter sans la force des messages portés par Essaha, cette métaphore de l’Algérie après la décennie noire, et qui résonnent étrangement à l’aune des révolutions qui secouent l’Afrique du Nord et le monde arabe. Un Etalon d’or de Yennenga viendrait saluer une œuvre prémonitoire, audacieuse et qui exprime toute la vigueur du cinéma africain.