Aline Adou, 23 ans, ivoirienne, est une victime de l’esclavage moderne. Il y a dix ans, une tante éloignée est venue la chercher en Côte d’Ivoire et l’a ramenée chez elle en région parisienne, afin qu’elle s’occupe de ses enfants. Pendant sept ans, elle a vécue exploitée, maltraitée et sans papiers.
Tout a commencé en Côte d’Ivoire durant l’été 1990. Aline va à l’école, elle est en Cm2 et elle vit dans la maison familiale avec son père, ses frères et ses soeurs, mais sans sa mère qu’elle n’a jamais connue. Elle se souvient du jour où une cousine de son père a débarqué à la maison : « Elle a dit à mon père qu’elle souhaitait prendre une de ses filles pour qu’elle s’occupe de son bébé à Paris. Mon père a accepté de me confier à elle à condition qu’elle m’inscrive à l’école. Ensuite le mari de ma tante est venu me chercher et j’ai quitté la Côte d’Ivoire le lendemain matin. Je n’ai plus jamais revu mon père ». Elle s’arrête, puis reprend avec difficulté : « Pour mon père, la France, c’était le paradis, il se disait que j’allais réussir, et moi je pensais que c’était bien car en Afrique on écoute toujours les parents ».
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Il faut savoir qu’en Côte d’Ivoire, mais aussi au Bénin et au Togo, il existe une tradition de placement des enfants. Ayant à l’origine une visée éducative, cette tradition s’est pervertie au fil des années. « L’enfant est désormais au centre de transactions financières, il y a un vrai marché aux esclaves à Abidjan », avoue Céline Mansaud, à la direction juridique du Comité contre l’esclavage moderne à Paris. Le passage à la douane ne pose aucune difficulté. « Il est plus facile de faire entrer un enfant qu’un adulte », poursuit Céline Mansaud. Aline a franchi la douane avec un simple laisser-passer : « Le mari de ma tante m’a mise sur son passeport avec le nom de sa fille, seule la photo était à moi ».
Pour Aline, le calvaire commence. La tante lui donne ses directives : « Tu t’occupes de l’enfant toute la journée, tu ne sors pas de la maison et tu n’oublies pas de faire à manger ». Les tâches ménagères s’accumulent. Aline se lève à cinq heures du matin pour préparer le petit déjeuner, faire le ménage et laver les vêtements des enfants. La nuit, elle doit se lever pour donner le biberon au bébé. Elle dort dans la même chambre que les enfants, mais par terre sur une simple couette. Dans le même temps, la tante rassure le père d’Aline en lui adressant les bulletins scolaires de sa fille plus âgée. Aline a de plus en plus de mal à effectuer son travail car la tante est constamment enceinte. Lorsque, sous la pression d’une assistante sociale, sa tante l’inscrit à l’école, sa situation ne s’améliore pas. Elle doit se lever plus tôt le matin. Le midi, elle ne mange pas. « Je n’étais pas inscrite à la cantine et je ne pouvais pas rentrer chez moi, alors je restais dehors et souvent j’avais très mal au ventre », se souvient-elle. Le soir, en rentrant, elle récupère les enfants à la crèche ou chez la nourrice.
Réseaux diplomatiques
En 1995, elle apprend brutalement la mort de son père. Aline grandit, la tante et son mari ont peur d’être découverts. Les déménagements se succèdent. Un jour, le mari tente de violer Aline. Elle veut rentrer en Côte d’Ivoire mais sa tante s’y oppose. Finalement, ils la mettent à la porte. « J’étais en France depuis sept ans mais j’étais toujours restée à la maison, je n’avais ni papiers ni passeport, j’étais complètement perdue », raconte-t-elle. Elle trouve finalement refuge chez la fille d’amis de sa tante. En lisant le journal, elle apprend l’existence du Comité qui ne tarde pas à la prendre en charge. « C’est l’un de nos premiers dossiers, mais c’est un cas léger », déclare Céline Mansaud. Par rapport aux autres victimes du Comité, Aline a eu la « chance » d’être scolarisée et surtout elle n’a pas été violée. 30% des victimes originaires d’Afrique de l’ouest ont subi un viol. « Il y a des cas beaucoup plus graves, de nombreuses filles ont été violées », reconnaît Aline, le visage crispé.
Elle confirme au passage la violence des traumatismes subis par les victimes des réseaux diplomatiques, la seconde voie de l’esclavage moderne.
Après avoir déposé plainte contre sa tante, le procès n’a pas eu lieu car les témoins se sont rétractés au dernier moment. Entre temps, la tante est devenue chanteuse, sous le nom de Dadie Clarisse. Aujourd’hui, Aline apprend à vivre en liberté : « Je ne peux pas effacer le passé, mais l’oublier un peu. Au mois de septembre, j’aurai en principe mes papiers. J’aimerais bien travailler dans une école maternelle, n’importe où du moment que je suis avec les enfants, et me prendre un petit studio pour avoir un peu d’indépendance ».
Par François Lemarié