Le Comité Marche du 23 Mai 1998 (CM98) demande que l’historien français, Max Gallo, soit reconnu coupable de contestation de crime contre l’humanité. En première instance, les juges n’avaient pas accédé à sa demande. Jeudi devant la Cour d’appel de Paris, les avocats des deux parties ont longuement analysé les propos contestés de l’historien.
Serge Romana, le président du Comité Marche du 23 Mai 1998 (CM98), une association dédiée au respect de la mémoire des esclaves des anciennes colonies françaises, en est convaincu : l’historien Max Gallo a bien contesté le crime contre l’humanité que fut l’esclavage. En décembre 2004, au cours d’une émission de télévision diffusée par France 3, interrogé sur le rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte en 1802 [[En 1802, Napoléon Bonaparte envoie ses armées rétablir l’esclavage en Guadeloupe, en Guyane et à Saint-Domingue. Les affrontements feront plusieurs dizaines de milliers de morts. En Guadeloupe et en Guyane, l’esclavage sera rétabli jusqu’en 1848, tandis qu’à Saint-Domingue, les anciens esclaves remporteront la victoire et proclameront l’indépendance de Haïti en 1804.]], il avait répondu: « est-ce un crime contre l’humanité, peut-être, je ne sais pas ». « Max Gallo aurait bien pu dire tout simplement qu’il s’agissait d’un crime contre l’humanité, estime Serge Romana. Mais comme il magnifiait en même temps Napoléon Bonaparte dont il est un biographe, il trouvait dérangeant de dire qu’en rétablissant l’esclavage, celui-ci avait commis un crime contre l’humanité. »
Les insuffisances de la loi Taubira
Pour Serge Romana donc, comme pour le CM98, l’historien a porté atteinte à la mémoire des anciens esclaves. Difficile pourtant, de faire passer cette vision des choses devant la justice française. Le CM98 l’avait essayé sans succès, il y a trois ans. Le Tribunal de grande instance de Paris l’avait débouté de sa plainte contre Max Gallo pour « contestation de crime contre l’humanité » au motif que «(…) chacun doit être libre d’exprimer son attachement à ce que tel événement du passé reconnu crime contre l’humanité soit ainsi nommé comme un hommage rendu à des souffrances longtemps tues. (…) d’autres doivent être libres de s’interroger sur la pertinence à qualifier de crime un fait historique quand il n’y a plus personne à juger ». Le problème, estime le Guadeloupéen Serge Romana, se trouve dans la loi Taubira (2001) qui, tout en reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité, ne prévoit aucune sanction pour protéger cette reconnaissance.
Jeudi, la Cour d’appel de Paris examinait l’appel interjeté par le CM98. Les plaidoiries tournaient autour de la base légale à affecter à l’action du CM98. Mais les avocats sont longuement revenus sur le fond même de l’accusation portée contre Max Gallo.
Pour Me Sophie Thonon-Wesfreid, avocate du CM 98, l’affaire est très lourde, parce qu’elle touche à la mémoire de tout un peuple. « Les plaignants demeurent très blessés par des propos qui viennent d’une personnalité qui est non seulement un historien de grande notoriété, mais également un ancien ministre et depuis peu, membre de l’Académie française. Max Gallo, a-t-elle plaidé, évalué le crime contre l’humanité en fonction du bourreau, parce que les « les victimes réduites à l’état de meubles par le Code noir sont restées, au fil des siècles, une masse anonyme, sans histoire ». Le préjudice, explique-t-elle existe, et nécessite réparation.
Pour Me Bouillé, Max Gallo est le coupable idéal
Un avis que conteste l’avocate de Max Gallo. Pour Me Magalie Bouillé, l’historien n’a rien à se reprocher. Max Gallo, pense-t-elle, n’est pas le seul aujourd’hui à se demander si l’esclavage a été un crime contre l’humanité. Il faut, selon elle, replacer les faits dans le contexte de l’époque. « Max Gallo s’est demandé si Napoléon avait réalisé l’horreur de sa décision de rétablir l’esclavage, s’il en avait conscience ». Pour elle, l’historien est devenu une cible facile pour le CM98. « Il est injurieux de faire un procès à un homme de 75 ans dont le comportement est tout à fait exemplaire. C’est parce que Max Gallo est un historien connu qu’on l’accable ; on accable Napoléon ; on accable la France ». Par ailleurs soutient-elle, le CM98 n’a ni intérêt ni qualité pour agir. « Le CM98 prétend agir au nom de tous les descendants d’esclaves. Il s’agit donc d’un intérêt général, ce qui nécessite une habilitation que le CM98 ne présente pas». Mais M. Romana déclarait en marge du procès : « un de mes aïeuls fut victime du rétablissement de l’esclavage par Napoléon ». Un fait qui, selon le président du CM98, justifie à lui seul la démarche qu’il a entreprise.
Décision de la Cour d’appel : le 13 novembre.
Lire aussi :
Le 23 mai, la Toussaint des esclaves
23 mai, Journée nationale des victimes de l’esclavage colonial