Pesamment appuyé sur sa canne, le vieux pêcheur soupire. Pour la première fois en 50 ans, la mer, les vents et le climat d’Edi (les fidèles alliés qui lui permettent de gagner sa vie), un village situé dans la région de la Mer rouge méridionale, en Erythrée, le laissent perplexes.
« Chaque année, il fait plus chaud ; la période de chaleur commence plus tard, maintenant, et nous sommes obligés d’aller de plus en plus au large pour trouver du poisson », a-t-il déclaré à IRIN. « La mer est tout, pour nous ; nous ne comprenons pas ce qui se passe ».
Les membres de l’ethnie des Afars, une communauté de pêcheurs, prennent ensemble leur repas du soir : de « l’injera », des pancakes à base de sorgo ou de teff, les céréales de base, nappés de « shiro », un ragoût de poix chiches. On entend les vagues de la mer rouge balayer le rivage à une centaine de mètres de là, tandis qu’ils se préparent à dormir dans des lits de camp, sous un ciel étoilé.
Edi, situé entre les ports de Massawa et Assab, sur la côte est, se trouve sur une bande de terre aride du sud de l’Erythrée, qui englobe une bonne partie du désert de Danakil, une des zones les plus chaudes du monde. Un chemin de terre traverse ce paysage jauni par le soleil, parsemé de dunes de sable, de déserts de sel et de sacs d’anchois séchés, pêchés par les communautés de pêcheurs.
Dans cette magnifique région du littoral, ourlée des eaux vert émeraude de la mer rouge, les températures montent à 44 degrés Celsius pendant la journée, avant même que l’été arrive. Nous sommes dans une région difficile, que le magazine National Geographic a qualifié de « zone la plus cruelle de la planète ».
La mer rouge, située dans une zone tropicale aride, compte parmi les étendues d’eau de mer les plus chaudes : en surface, les températures atteignent 30 degrés Celsius. Des précipitations d’à peine 10 à 15 millimètres par an nourrissent la floraison marine, le long du littoral, qui nourrit elle-même les petits poissons, tels que les anchois, selon Isaac Habte, du service de protection de l’environnement et de développement durable du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).
« Les précipitations sont de moins en moins abondantes, ce qui se répercute sur nos prises d’anchois, qui sont moins importantes », a expliqué Omer Kassim, un pêcheur d’Assab, chef-lieu de la région, situé à environ 170 kilomètres au sud d’Edi.
Insécurité alimentaire
En 2007, la Banque mondiale a qualifié l’Erythrée de pays le plus touché par l’insécurité alimentaire sur l’ensemble du continent ; elle l’a également citée parmi les pays les plus pénalisés par la crise alimentaire et énergétique mondiale, en 2008.
Les années de bonnes récoltes, l’Erythrée importe au moins 40 pour cent de ses vivres et l’ensemble de ses carburants. Selon le Fonds monétaire international, le pays a consacré plus de huit pour cent de son produit intérieur brut (PIB) à ces deux postes, en 2008.
Les carburants fournis aux pêcheurs sont rationnés et les régions côtières sont touchées par des pénuries constantes. Selon M. Kassim, les 300 pêcheurs propriétaires de bateaux à moteur, inscrits auprès des autorités, n’ont pas les moyens de se procurer du carburant, malgré les subventions accordées par le gouvernement. « En fait, très peu d’entre nous peuvent aller plus au large pour trouver plus de poisson sans carburant ».
En novembre 2008, le gouvernement a mis un terme au programme public de subvention alimentaire aux pêcheurs qui partent en mer, pour des périodes pouvant aller jusqu’à 14 jours.
« Il y a également une pénurie de glace et les marchés d’Assab sont petits (seuls une centaine d’entre nous ont encore la volonté d’aller pêcher, et nous ne faisons pas de bénéfices) », a déploré M. Kassim. La plupart des pêcheurs vendent leurs prises à la Corporation nationale des pêcheries, le plus gros acheteur du pays, qui pratique néanmoins un tarif fixe « très bas ».
Faute de glace pour emballer les poissons, les pêcheurs vendent souvent leurs prises au grand marché yéménite, situé à 30 kilomètres à peine, de l’autre côté de la mer rouge, où ils vont également acheter des vivres, qui y sont vendus à moindre prix.
Les autorités érythréennes sont conscientes de ce commerce halieutique transfrontalier. Selon Ali Shifa Mahmoud, directeur des bureaux du ministère des Pêcheries à Assab, le gouvernement prévoit bientôt de relancer son programme de subventions alimentaires aux pêcheurs et envisage d’augmenter le prix d’achat du poisson.
D’après les pêcheurs, le manque de ressources empêche la communauté de réaliser son potentiel : l’Erythrée pourrait produire durablement environ 70 000 tonnes de poisson par an, mais elle n’en produit actuellement que 13 000 tonnes environ, selon le ministère érythréen de l’Environnement.
« Nous envisageons également de renforcer les capacités de notre entrepôt frigorifique à Assab », a déclaré M. Mahmoud. La région compte deux autres entrepôts frigorifiques, situés à Edi et dans le village voisin de Thio, mais ces deux centres fonctionnent à l’énergie fossile, une denrée rare.
Energie éolienne
Aujourd’hui, tout cela est en train de changer. Mohamed Saleh, administrateur de Berasole, un village de pêcheurs situé à une centaine de kilomètres au nord d’Assab, se rend, en toute hâte, à l’autre bout du village, agrippant fermement son sarong pour empêcher la bourrasque de l’emporter ; là-bas, la grande tour d’une nouvelle éolienne attend son hélice. Une fois que celle-ci aura été montée, l’énergie produite par le vent permettra d’électrifier le village, ainsi que les stations de désalinisation de l’eau et de traitement du poisson.
M. Saleh attend un groupe d’ingénieurs turcs et Abiy Ghebremedhin, responsable du projet pilote d’application de l’énergie éolienne en Erythrée, financé par le Global Environment Facility et le PNUD, qui permettra d’électrifier sept villages de la région d’ici à la fin de l’année 2009.
L’éolienne délivre du courant à partir de sept nœuds, et le long du littoral érythréen, les vents atteignent une vitesse de 10 nœuds et plus, selon M. Ghebremedhin.
Le parc éolien d’Assab couvre 25 pour cent des besoins énergétiques de la ville, selon Semere Habtezion, directeur de la division des Energies du ministère des Mines et ancien membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, un organisme scientifique international.
Exploiter l’énergie éolienne pour alimenter le réseau électrique d’Assab a permis d’économiser 346 000 dollars en carburants fossiles importés sur une période de huit mois, selon une étude citée par M. Habtezion. L’Erythrée importe au moins 100 millions de dollars de carburants chaque année, une somme importante lorsque le PIB par habitant s’élève à 180 dollars par an.
Le pays se remet encore d’une guerre d’indépendance qui a duré 30 ans et de conflits frontaliers ultérieurs avec l’Ethiopie ; aujourd’hui encore, il arrive parfois que les tensions redeviennent vives. La plupart des investissements nationaux sont d’ailleurs réalloués à la défense du pays, font remarquer les travailleurs humanitaires.
« Nous espérons qu’un jour l’énergie renouvelable permettra de couvrir 30 pour cent de nos besoins nationaux en électricité », a expliqué M. Habtezion.