Entrevue avec Jessica Harris sur la cuisine africaine américaine et son livre « High on the Hog »


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Couverture du livre de Jessica Harris
Couverture du livre de Jessica Harris

L’historienne Africaine-Américaine et auteure de livre de cuisine Jessica B. Harris affirme que son dernier livre, « High on the Hog: A Culinary Journey From Africa to America » (Bloomsbury), est plus une narration qu’un livre de recettes. Dans cet ouvrage, la Professeure d’Anglais du Queens College (CUNY) et fondatrice de l’Institut pour l’étude des cultures culinaires (Institute for the Study of Culinary Cultures) du Dillard University à la Nouvelle Orléans explore de quelle manière la cuisine africaine a transformé le monde.

Harris, qui aura 63 ans la semaine prochaine était en ville récemment pour donner une conférence au cours d’un dîner spécial au restaurant Eatonville, où on a servi à ses fans un menu de plats inspirés par Harris qui comprenait une soupe de crevettes aux épinards de l’Afrique de l’Ouest , de la chèvre au curry sucrée et épicée, des plantains écrasés et des beignets de banane. Elle s’est assise avec la rédactrice du Washington Post Brown Deneen avec laquelle elle évoque les traditions de la cuisine africaine et les histoires derrière les aliments:

Quelle a été votre source d’inspiration pour « High on the Hog » ?

C’est mon douzième livre. Au fur et à mesure que j’ai écrit les 11 autres, je suis devenue plus intéressée par le côté narratif, plus que par les recettes. Je suis une cuisinière intuitive. Je prends toutes ces épices et je joue avec. Les histoires, les gens, les événements et l’enchainement des événements faisaient tous partie de quelque chose de fascinant pour moi. Avec cela, l’idée d’écrire quelque chose qui n’est pas basée sur la recette, mais plutôt de narratif, est devenue primordiale. J’ai aussi une tendance à vouloir revenir en arrière et de revisiter les choses. « Beyond Gumbo » est en quelque sorte une relecture de « Iron Pots and Wooden Spoons. » Et « High on the Hog » a clairement une certaine parenté avec « The Welcome Table. »

Quel rôle l’alimentation joue-t-elle dans la vie des Afro-Américains ?

D’une façon générale, elle joue un double rôle. Tout d’abord, elle joue le rôle qu’elle joue pour toute personne: Américains ou Européens ou Asiatiques ou Autrichiens. Ou pour les Africains. Elle vise à nourrir. C’est de la subsistance. C’est l’histoire. C’est la culture. C’est tout cela pour tous les Afro-Américains. Maintenant, précisément, à cause de notre histoire, et quand je parle de notre histoire, je parle de ce que j’ai l’habitude d’appeler Up-from-the-South, chez les anciens esclaves afro-américains… Mon père avait l’habitude d’utiliser un terme intéressant et je soupçonne qu’il était utilisé par d’autres de sa génération. Il disait, « les enfants de Tante Hagar(« Aunt Hagar’s children, ») ce qui rappelle Toni Morrison et ‘Song of Solomon Hagar.’ Ainsi, ceux d’entre nous qui sont les descendants des enfants de Tante Hagar viennent également avec la marque de l’esclavage. Et avec cette marque de l’esclavage, nous avons une histoire plus dense avec la nourriture. Commençons par le début. Nous l’avons planté. Nous l’avons récoltée. Nous l’avons transformé. Nous l’avons préparée. Nous l’avons servie. Nous avons débarrassé la table. Nous avons lavé la vaisselle et vidé le pot de chambre. Ce qui constitue toute la chaîne alimentaire. Avec tout cela, notre attachement est plus profond.

Qu’en est-il des idées fausses ? Selon vous, que pensent la plupart des gens quand ils pensent à la nourriture afro-américaine ? Pensez-vous que il y a un malentendu ?

La fausse idée répandue est qu’elle est grasse, qu’elle n’est pas santé et qu’elle vous tuera. Je pense que cela fait partie de la mauvaise réputation si vous voulez, selon laquelle le Soul Food (nourriture de l’âme), un terme que je n’utilise pas pour la même raison… Parce que, lorsque vous dites « soul food », les gens pensent directement à ce «plat». Ce « plat » en question c’est du poulet frit avec les légumes flottants dans un pot merveilleusement aromatique et très gras, car il contient du bacon et du jarret de porc, et la moitié des restes de jambon de la veille accompagnés de macaroni au fromage. On connait tous « le plat. »

Mais le problème avec le plat, c’est que c’est un plat festif, si vous voulez. Ce n’est pas un plat de tous les jours. Et c’est aussi le plat de la prospérité. Ce n’est pas le plat que les gens – nous parlons des esclaves qui recevaient des rations… Et l’alimentation qui vient avec. Donc la question est la suivante : si tu as sans cesse été littéralement affamé, qu’est-ce-qui va arriver? La première chose que tu fais quand tu peux manger, c’est de manger, et peut-être de trop manger, et c’est ce que devient ton alimentation.

C’est aussi l’alimentation du milieu rural, celle des travailleurs agricoles. Quand on regarde le petit-déjeuner américain avec les multiples tranches de bacon et de pancakes et le tout imbibé de beurre et de sirop d’érable et avec quatre œufs, c’est le repas des travailleurs agricoles. Il ya des repas qui à l’origine ont été conçus par des gens qui labouraient les terres avant le petit déjeuner. Quand vous faites cela, vous pouvez vous permettre un déséquilibre calorique, si vous voulez. Vous faites de l’exercice.

Une partie du problème vient du fait que beaucoup d’entre nous continuent de manger cela, avant de se glisser dans leur Mercedes avec le derrière qui ne cesse de s’élargir, se demandant ce qui ne va pas. C’est vraiment là le problème.

J’ai regardé dans mon armoire hier soir et j’ai réalisé que je prépare en me basant sur vos livres depuis des années.

Quelle est votre recette préférée ?

J’ai une recette que j’appelle ma recette chanceuse. Ce n’est pas quelque chose que je prépare souvent, mais c’est une recette pour laquelle j’ai une astuce et qui est dans presque tous les livres ; le yassa au poulet.

C’est le premier plat que vous avez goûté en Afrique?

Exactement, et c’est la raison pour laquelle j’essaie de lui trouver une place, d’une manière ou d’une autre, dans mes livres. Il est dans « Iron Pots and Wooden Spoons. » Il est dans « A Kwanzaa Keepsake. ».Il se trouve certainement dans « The Africa Cookbook. ». » Et je pense qu’il est à la fin de celui-ci, « High on the Hog. »

Qu’est-ce vous aimez avec le poulet Yassa ?

Il a été un connecteur pour moi. J’aime connecter les gens. J’aime voir les connexions, l’idée de mettre ensemble un goût avec un autre goût ou une recette avec une autre recette. Le poulet yassa est une clé, si vous voulez. Il ouvre la porte à certaines personnes. Beaucoup de gens ont peur de la nourriture du continent africain. . . . Avec ce plat, c’est quelque chose de familier que l’on transforme en quelque chose qui est à la fois étrange et merveilleux. C’est une vieille recette. Le goût s’infuse de trois façons: Il est mariné, il est grillé et il est mijoté. A chaque étape, il devient plus savoureux. Si vous oubliez une étape, vous pourriez tout de même avoir un yassa de poulet, mais vous n’aurez pas toutes les saveurs.

Pouvez-vous décrire le contexte dans lequel vous l’avez d’abord goûté ?

J’étais avec ma mère lors de mon premier voyage en Afrique de l’Ouest en 1972. Je travaillais sur ma thèse de doctorat. Je m’en allais dans ma Patrie, le continent. Donc le truc intéressant avec ma mère par rapport au voyage c’est qu’elle avait une formation de diététiste, même si elle n’avait travaillé dans ce domaine que peu de temps. Mais elle avait un palais extraordinaire, qui lui permettait de pouvoir goûter et dire: «Ah, aha, aha, ça, ça, ça. C’était amusant de manger avec elle.

Nous sommes allées en dehors du centre-ville de Dakar à un endroit appelé N’gor. Nous avons mangé du Thiéboudienne, qui est le plat national du Sénégal. Il s’agit d’un ragoût de poissons rouges et de riz, rougi habituellement avec de la pâte de tomate, selon les gens. Mais pour moi, le yassa était la combinaison de choses que j’aimais. J’ai aussi aimé l’acidité, quelque chose de légèrement acide, un truc avec un soupçon d’agrume. J’aime les oignons. Il y a des jours où j’ai absolument envie de riz blanc. Tout cela réuni pour moi, trois des choses que je préfère dans un plat sur un continent où je ne m’attendais pas à trouver cela.

Quel est votre souvenir culinaire le plus ancien ?

Je suis une enfant unique. J’avais moins de 6 ans. Nous sommes dans la cuisine d’une maison dans laquelle je suis née. Quand ma mère cuisinait, j’étais dans la cuisine par nécessité parce qu’elle devait me surveiller. J’étais certainement assez grande pour jouer avec de la pâte. Elle préparait une tarte. Elle a certainement dû me donner de la croûte et du sucre. Je sais qu’il y avait du colorant alimentaire rouge parce que je suis me suis retrouvé avec quelque chose de rose, de rond, de plat et de sucré.

Ma magnifique et dévouée mère l’a fait cuire avec la croûte à tarte et la tarte. Quand il est sorti, on l’a mangé et on a décidé de l’appeler « Coo-pie-cake. » Ce n’était pas un cookie, ce n’était pas une tarte, ce n’était pas un gâteau.

Quand mon premier livre, « Hot Stuff », est sorti, je me rappelle qu’en signant la copie de ma mère et ma dédicace disait, « Nous avons fait une longue route depuis de Coo-pie-cake.

Voir aussi le site de cuisine africaine Afrik-cuisine

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