Ismaël Pierre Bep alias « Solo » est l’une des légendes vivantes du football camerounais. Actuellement souffrant, à la suite d’une opération, le joueur, virevoltant, technique et dribleur à son époque, a reçu l’équipe d’AFRIK.COM présente à Douala, à son domicile à Makéa.
C’est un Ismaël Pierre Bep visiblement rongé par le poids de l’âge et une santé plus ou moins défectueuse qui nous a reçus, ce lundi 24 janvier 2022, à son domicile situé au quartier Makéa de Douala au Cameroun. L’homme n’a pas caché son amertume face à la gestion du football à son époque, convaincu que sa génération a été sacrifiée.
Entretien de notre Envoyé spécial au Cameroun,
S’il fallait présenter Ismaël Pierre Bep et parler de sa carrière footballistique, que diriez-vous ?
Je vais faire des efforts, car je ne me sens pas bien. Je sors d’une opération et je suis en train de récupérer. Mais, quand vous parlez de football, ça m’intéresse… Je suis Bep Ismaël Pierre que tout le monde connaît sous le sobriquet « Solo ». C’est le public qui m’a donné ce surnom, parce que je jouais dans une équipe populaire de Douala. Je suis double champion d’Afrique des clubs, qu’on appelle aujourd’hui Ligue des Champions CAF. J’ai aussi remporté la Coupe des vainqueurs, qui est l’actuelle Coupe de la CAF, en tant que capitaine de l’Union de Douala (il montre dans son salon sa photo à l’époque avec le Président Ahmadou Ahidjo, ndlr). C’est ma meilleure image du football.
Vos souvenirs en équipe nationale du Cameroun ?
Disons qu’en équipe nationale du Cameroun, nous sommes une génération que je peux dire sacrifiée. C’est-à-dire, la première CAN qu’on avait organisée ici au Cameroun, en 1972, et qu’on avait perdue, avait fait beaucoup de grincement, beaucoup d’emprisonnements et de scandales.
Vous avez été en prison pour cela ?
Non, je fais partie de ceux qui sont venus jouer par la suite pour consoler les Camerounais, qui étaient déçus d’avoir perdu cette CAN à domicile. Donc, au lendemain, nous avons été sélectionnés. Je vous donne le nom des sélectionnés par ordre, Roger Milla, Thomas Nkono, Bep Solo… Vous comprenez, nous sommes venus pour remplacer nos aînés, qui avaient pratiquement fait pleurer tout le monde. On a refait l’équipe nationale tout autour de nous, progressivement. On a pris part à des compétitions, ça allait, ça n’allait pas… Mais, on a essayé de relever la tête, en 1982, en Libye. La mayonnaise prenait déjà, on a enchaîné avec la Coupe du monde. C’est en Côte d’Ivoire que nous avons frappé un grand coup. De 1972 à 1984, on a mis douze ans pour construire une grande équipe. Pendant ce temps, il y avait aussi des clubs qui se distinguaient également sur le plan continental, comme le Canon et le Tonnerre de Yaoundé, l’Union de Douala.
Parlez-nous davantage de cette fameuse CAN de 1972 qui semble avoir marqué l’histoire du football au Cameroun ?
Oui, c’étaient nos aînés. J’avais déjà entendu parler de Mbappé Leppé et j’ai même joué contre lui en étant plus jeune. Car j’ai commencé à jouer à 16 ans. Avant de parler de 1972, parlons d’abord de 1970 à Khartoum où le Cameroun avait fait une belle prestation devant des grandes nations de football. C’était la première fois que le Cameroun sortait. On a pris goût et le Cameroun a décidé d’organiser l’édition de 1972, et l’équipe tournait bien. On n’a pas compris ce qui n’a pas fonctionné. Le peuple était touché. Je suis témoin de l’histoire, l’équipe de 1972 était une bonne formation. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Difficile de le dire.
Quel est le joueur qui vous a impressionné lors de cette CAN de 1972 ?
On entendait des noms qui nous venaient d’Europe comme le Malien Salif Keïta « Domingo », ça nous a plu. Mais, nous-mêmes on en avait de grands joueurs. Par exemple, on avait un certain Kotoko Jean-Pierre. Il était excellent dans les accélérations et il jouait à Oryx Club de Douala, première équipe camerounaise championne d’Afrique. Il était un ami intime de Salif Keïta. En dehors de ça, il connaissait Laurent Pokou, puisqu’ils s’étaient déjà retrouvés dans les sports universitaires.
Lors de la Coupe du monde 1990 en Italie, le Cameroun était à deux doigts d’une demi-finale historique face à l’Angleterre. Quels souvenirs gardez-vous de cette participation camerounaise ?
Quand vous regardez le match, par exemple moi qui ne faisais pas partie de l’équipe, j’étais observateur et j’observais les encadreurs. Mais, ils n’avaient plus la tête dans le match. Ils voyaient déjà le Cameroun jouer les demi-finales et ils ne regardaient plus le match. Sinon, comment expliquer ce qui s’était passé en ce moment. Un quatrième arbitre confisque un ballon, pour en donner un autre. Cette réglementation n’existait pas. Aucun des encadreurs n’a pu lever le ton, pour dire pourquoi on change le ballon. C’est maintenant qu’on va nous parler des aspects mystiques. Que les Anglais avaient même vu que le ballon était compliqué et qu’il fallait changer. Le ballon, qui était collé aux pieds des Camerounais, est désormais collé aux pieds des Anglais. J’ai vécu cette déroute, parce qu’on menait jusqu’à 15 minutes de la fin, avant de se faire renverser.
Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec Roger Milla ou d’autres joueurs qui ont participé à cette Coupe du monde ?
Je vous ai dit que j’étais dans mon milieu. Ce qui se passe sur le terrain, c’est ce qui m’intéresse, mais pas les coulisses. Quand ils sont revenus de cette Coupe du monde, je gérais une boite de nuit et ils sont tous venus là-bas. Il fallait voir l’engouement populaire, toute la ville était sortie. Mais, ils étaient venus me rendre hommage, après ce parcours en phase finale de Coupe du monde. A suivre !