Champion d’Afrique en titre avec le Sénégal, le gardien de but de Chelsea (D1 Angleterre), Édouard Mendy, 29 ans, a ainsi réalisé une année exceptionnelle, en remportant également la Ligue des Champions, la Supercoupe UEFA et la Coupe du monde des clubs. Cerise sur le gâteau, il a été désigné meilleur gardien de la C1, Best FIFA et meilleur à son poste lors de cette CAN 2021 au Cameroun. Pour la légende Yatma Diop, c’est la chance du professionnalisme. Il estime que l’ancien gardien de but du Sénégal dans les années 1968, Toumani Diallo, était plus fort qu’Édouard Mendy.
Entretien
Pouvez-vous revenir sur un ou des détails qui vous ont marqué lors de cette élimination du Sénégal, à la Coupe d’Afrique de 1968 ?
On était à deux minutes de la fin du match contre le Congo-Kinshasa (RDC), le temps était presque fini. Mais, on continuait d’attaquer. On était premier de la poule et l’équipe la plus dangereuse était le Ghana. Ils savent qu’on était plus fort qu’eux et ils ont vu. Les Congolais, avec tout ce qu’ils ont fait comme fraude, ce n’est pas passé. Malheureusement, c’est un but gag incroyable comme on dit, qu’on a pris dans les derniers instants. Notre gardien de but arrête le ballon sur un mauvais corner. Deux joueurs congolais sortent des poteaux et l’attendent pour la relance, mais il laisse le ballon devant lui, il y a avait un Congolais, qui l’a poussé dans son but. Voilà le but qui nous a fait perdre notre titre. C’était notre grand frère Hamady Thiam, qui était le gardien de but. Mais, le Congolais a mis le ballon dans le but et l’arbitre l’a accordé. D’ailleurs, c’est un journaliste tunisien, Faouzi Mahjoub, qui nous a dit à l’hôtel que notre gardien a dit qu’il a cru entendre un coup de sifflet.
J’étais avec Insa Diagne, qui a joué ce jour-là à côté de moi. Insa Diagne est un ancien de l’Espoir de Saint-Louis. Un grand, très bon de la tête, brillant technicien également. Je lui ai dit, ce ballon, si on le marque, nous serons champion d’Afrique, on le rate, on est éliminé. Il m’a fait la passe et j’ai fait semblant de retourner le ballon. J’ai pris la direction opposée, parce que l’attaque congolaise était partie de l’autre côté et les milieux de terrain étaient écartés, je suis passé entre les deux. Dans ma tête, je me suis dit, « tu vas où là, le temps est terminé ». J’ai tenté une frappe du pied gauche, ce que je ne faisais jamais. Le gardien a mis son pied au dernier moment, la balle est passée au-dessus de la barre transversale. Je suis tombé et je me suis mis à pleurer. Je réalisais qu’on venait de perdre une Coupe d’Afrique qui était la nôtre. Tous les journalistes européens étaient d’accord qu’on était plus fort que toutes les équipes de cette CAN 1968. Si vous prenez l’équipe-type de cette CAN 1968, il y avait deux Sénégalais : Yatma Diop et Louis Gomis.
Le Sénégal a toujours été considéré comme une grande nation de football en Afrique, mais qui était sans trophée et le déclic est venu finalement du Cameroun…
Un de vos confrères camerounais m’a appelé. Je ne sais pas qui lui a remis mon numéro. Il m’a dit que nous sommes la meilleure génération des footballeurs au Sénégal. Mais, il m’a posé la question de savoir quelle est la différence entre vous et la nouvelle génération ? Je lui ai dit que les jeunes d’aujourd’hui sont tous des professionnels. Nous, à notre époque, aucun d’entre nous n’était professionnel. Donc, le football, ce n’était pas notre boulot et on ne le faisait pas tous les jours. On ne s’entraînait pas tout le temps. Une défaite, on se dit que ce n’est pas grave. On peut gagner ou perdre le match. Il y a des moments pour être professionnel et comprendre qu’on n’attaque pas aveuglément tout le temps. Il y a des moments où on tue le jeu et on garde le ballon, pour gagner du temps. Soit on est en train de gagner le match soit on ne veut pas le perdre. On tient le ballon et on gagne du temps. Nous, on ne savait pas faire ça, on attaquait tout le temps. Et voilà le résultat : tous les buts qu’on a pris à cette CAN, c’était dans les 88 ou 90 minutes.
Pour vous donner un exemple sur la différence entre les jeunes d’aujourd’hui et nous, prenons l’équipe de 2002 au Maroc. Ferdinand Coly a mis sa tête et le but est entré, mais l’arbitre l’a refusé. Donc, ils étaient à 0-0 et j’ai remarqué que les garçons n’attaquaient plus les yeux fermés. Au contraire, ils se donnaient le ballon, reculaient et le faisaient circuler. Je me suis dit donc ils savent que l’arbitre est contre eux, ils ne vont pas attaquer, car ils pouvaient prendre un but dans les dernières minutes. Ils ont gardé le ballon jusqu’à la fin du match. Les Marocains tournaient derrière le ballon. Je me suis dit « ah, les joueurs sont des professionnels ». La grande différence entre eux et nous c’est qu’ils sont professionnels. Je suis même allé voir le ministre, pour lui dire qu’il a une chance terrible. Je lui ai dit que l’équipe du Sénégal que j’ai vu jouer peut-être championne d’Afrique et même réaliser un grand parcours à la Coupe du monde. J’ai vu que ces garçons savent ce que c’est que le football. Nous avons été talentueux, mais point… Ce n’est pas la qualité des joueurs, mais la gestion du jeu et du résultat. Ma génération a raté la CAN pour des raisons justement professionnelles.
Comment expliquer les errements de l’équipe du Sénégal, au début de la CAN Cameroun ?
La réalité, est qu’au début, comme tous les Sénégalais d’ailleurs, je ne comprenais pas pourquoi l’équipe n’avait pas de repère. C’est normal, ces gens sont des pros. Ils travaillent dans des entreprises différentes. Ils ont des conceptions différentes et ils ne peuvent pas se retrouver d’un seul coup. Il faut qu’ils se perdent un peu. Sadio Mané est encore avec Salah, mais ils ne sont pas dans la même sélection. Quand il joue en club, il donne des buts à Salah et Salah lui donne aussi des buts, parce qu’ils sont partenaires et c’est leur travail. Tous les matins ils se retrouvent, ils s’entraînent trois à quatre heures par jour. Ce ne sont pas des joueurs, mais des travailleurs sous contrat, payés par quelqu’un qui fait des investissements importants et qui prend un manager pour gérer tout ça.
Pendant des mois et des mois, ils se répètent et quand ils arrivent en sélection, Sadio Mané est au Sénégal et Salah en Égypte. Donc, chacun d’entre eux peut avoir des difficultés parce qu’il n’a plus le même partenaire. Ce sont des questions qui font que le football ce n’est plus un jeu. Mon ami Pape Diouf avait écrit un livre, dans lequel il dit « c’est plus qu’un jeu ». C’est encore plus qu’un jeu, si vous voyez la création de la VAR et tout çà, c’est parce qu’il y a des gens qui investissent des milliards pour faire du football. Si le gars reçoit le ballon sur la main, on dit penalty dire et celui qui investit des milliards perd son argent à cause de ça. Parfois d’une erreur. Ils se disent alors on crée la VAR, parce qu’il y a des moments où on gagne et perd des matchs à partir de certaines erreurs d’appréciation. Ce sont eux qui sont à la base.
Pensez-vous que les enjeux sportifs peuvent influencer le résultat d’une rencontre de football ? Surtout qu’aujourd’hui, ces enjeux sont colossaux…
Moi, je n’écarte rien. Nos joueurs aujourd’hui ont la chance de gagner des centaines de millions par semaine comme salaire, c’est leur chance. Toutes les disciplines sportives sont professionnalisées aujourd’hui et sont financées par des milliardaires, qui ne savent pas quoi faire avec tout leur agent. Ça change la donne fondamentalement. Et c’est pourquoi, il faudrait être très prudent dans la gestion des footballeurs. Heureusement que le président Augustin Senghor a eu la personnalité qu’il fallait pour dissuader les responsables de Watford concernant Ismaël Sarr. Ils ont fait un bon travail de suivi et de personnalité, pour dire niet. Qui a dit que la Coupe d’Afrique était un jeu ? C’est l’entraîneur de Liverpool (Jürgen Klopp), mais il a dit ce que tous les autres pensaient. Comme il est le plus rigolo, il l’a dit ouvertement. Mais, on a vu que ce qu’il a dit, les autres voulaient le faire. Heureusement que nous avons des dirigeants qui ne sont pas tombés dans ce piège et ils ont pu récupérer tous les joueurs.
Aliou Cissé a également su donner une personnalité à cette équipe dont la moitié n’était pas titulaire dans leurs clubs respectifs, à l’image de Bouna Sarr, Nampalys Mendy, Abdou Diallo, Gana Guèye, Cheikhou Kouyaté ou encore Saliou Cissé ?
Oui, mais Saliou Cissé, qui était le plus critiqué, a disputé la CAN de sa vie. À un moment, il m’étonnait même. Tout ça, il faut dire que c’est grâce au professionnalisme. Il paraît qu’il y a un imam qui s’est attaqué à la CAN, pour dire que c’est une petite compétition et qu’on investit des milliards la dessus, alors qu’il y a d’autres priorités pour le Sénégal. Il dit qu’on est allé chercher des joueurs parce qu’ils jouent en Europe et pourquoi on ne fait pas la même chose, en allant voir les meilleurs sénégalais dans les universités du monde pour les faire venir au Sénégal. C’est quelqu’un qui a tenu un discours plus politicien qu’autre chose. C’est cette lecture que j’ai. Aujourd’hui, le football est une vitrine capable de vendre un pays. De formater l’image d’un pays. Ces joueurs convoqués et qui évoluent en Europe auront une nouvelle personnalité auprès de leur employeur européen, car ils les ont vu à l’œuvre, lors de cette CAN. Et c’est une très bonne chose.
Pensez-vous qu’Édouard Mendy est le meilleur gardien de but de l’histoire du football sénégalais, pour avoir été élu meilleur gardien de l’UEFA, Best FIFA et meilleur à son poste lors de la dernière CAN remportée par les Lions ?
C’est la chance du professionnalisme, alors qu’il y a un an, il n’était rien. Il a fait énormément de progrès, mais je suis certain que Toumani Diallo était plus fort que lui, c’est une question de période. À la CAN 1968, Toumani Diallo n’avait pas joué et il s’est blessé trois jours avant la compétition après l’entraînement. Il avait un pantalon de son survêtement sur la transversale qu’il voulait récupérer. Un de nos joueurs l’a subitement appelé, il s’est retourné et il lui a envoyé le ballon. Il a voulu prendre son pantalon et capter en même temps le ballon. Malheureusement, le ballon a trouvé son doigt. Il a souffert. On était avec deux médecins et deux kinés. Ils ont tout tenté, le doigt est resté et le jour du match il était sur le banc. Mais côté talent, je pense que Toumani est de loin meilleur qu’Edouard Mendy. Les époques ont beaucoup joué.
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