Membre de la confrérie des Mbok Ban, mage et thérapeute, consultant cultuel, conseiller municipal à Douala 1er (Rapporteur de la commission, des grands travaux), Mbombok Ndjel Bakeck Ba’mbebi Binyam nous explique un peu comment fonctionne leur confrérie. Nous sommes allés à sa rencontre dans son fief, à New Bell Bassa, où il nous a confié que le mbok est la connaissance ultime de l’univers.
Entretien de notre Envoyé spécial au Cameroun,
Qui est Mbombok Ndjel, chef traditionnel de la tribu Bassa ?
(Il parle longtemps en langue Bassa, ndlr), il s’agit là de moi et de mon pédigrée de 33 générations. Quand on parle de la chefferie, il faut donner des éclaircis. Chez les Bassa, il y a deux formes de chefferies. Il y en a qu’on appelle des chefs traditionnels du fait qu’ils sont auxiliaires de l’administration, et le Mbombok, qui est le véritable chef coutumier. Le mbok est basé sur le lignage, c’est-à-dire que chaque clan à droit à un mbombok. Et le mbok, c’est quoi ? C’est la connaissance ultime de l’univers, dans le strict respect de la vie et de tout ce qui vit. Nous pouvons dire aussi que le mbok, c’est l’amour. Mais, l’amour dans la vérité, la justice, l’altruisme et la probité.
Quels sont les interdits dans la tradition bassa et chez le mbok ?
Nous n’avons pas d’interdits, mais la seule recommandation est d’aimer son prochain comme soi-même. Si vous ne respectez pas cela, vous avez transgressé la loi de la pire des façons, parce que lorsque vous n’aimez pas une personne, vous installez la haine en vous et vous devenez un démon, si je peux utiliser ce vocabulaire.
Quel sera alors la sanction sociale ?
La sanction sociale, c’est déjà l’ostracisme. Qu’est-ce qu’on entend par ostracisme, c’est ce qu’on appelle la mise en quarantaine dans une communauté. Par exemple, si vous avez fait la cour à votre cousine, il s’agit là de l’inceste. Après jugement des anciens, on peut décider que personne ne vous adresse la parole pendant une période bien définie. Mais, si vous faites preuve de bonne volonté et de vertu exceptionnelle, c’est-à-dire vous avez reconnu votre pêché et que vous avez entrepris une introspection de votre acte, si la sanction courait sur six mois, on peut la réduire à trois mois.
Comment se passe le mariage dans la tradition des Bassa ?
Le mariage, oh là là (il soupire). Le mariage d’abord pour le mbok, s’articule autour de la polygamie. C’est-à-dire le Mbombok que je suis, s’il n’assure pas la pérennité de l’espèce, ça veut dire qu’il est déjà condamné sur terre. Un Mbombok qui n’enfante pas est signe de malédiction. Un Mbombok doit avoir une progéniture. Si tel n’est pas le cas, c’est que les dieux l’ont puni. Donc, la polygamie est de mise. Mais le mariage est déjà une union entre deux familles : un homme et une femme non apparentés. C’est-à-dire qui n’ont aucun lien de sang, du moins jusqu’au moins cinq générations.
Pourquoi une telle exigence ?
Il y a ce qu’on appelle les maladies congénitales, pour aller dans la génétique occidentale où on parle de gênes. On peut se retrouver avec des maladies bénignes quand le mari et la femme ont des liens de parenté. Pour en revenir à l’amour de son prochain, je précise que tout homme qui aime sa femme, n’a pas réalisé d’exploit. Il ne fait qu’accomplir son devoir, parce qu’un mari doit chérir sa femme au-delà de l’amour. Un parent doit aimer son enfant, chérir son enfant est un devoir. Quand on parle de l’amour platonique, au-delà de l’amour éros, c’est parce que vous quittez votre famille pour vous unir avec une femme qui n’a pas un lien de sang avec vous. Vous aviez le devoir de la chérir, parce que c’est une femme.
Que représente la femme dans votre tradition ?
La femme représente le principe fondamental de la vie. C’est-à-dire la pérennisation de l’espèce humaine. C’est la femme qui détient le secret du mbok, parce que sans la femme, l’espèce ne peut pas se multiplier. Donc la femme, dans notre tradition, fait partie des piliers.
Quelle sanction est infligée à un homme qui maltraite alors sa femme ?
Mon grand frère qui est assis (il montre son grand frère) n’a aucun droit de maltraiter sa femme. Si je suis au courant et que je ne m’y oppose pas, ça veut dire que j’ai commis le pire des pêchés. Il arrive aussi que certaines femmes viennent se plaindre. Si je suis informé de problèmes et que j’observe sans agir, jusque la femme de mon frère quitte le domicile conjugal pour maltraitance, sans que je ne m’y oppose, le « Njé » qui est l’homme panthère transcendantale, doit me maudire. A mon frère, je peux ne pas être en mesure de lui donner quelque chose, mais si sa femme m’interpelle pour me dire « Mbombok, ton frère ne m’a pas donné de l’argent pour le marché. Cela fait deux jours que les enfants et moi n’avons pas mangé », si j’ai 5 000 FCFA et que je ne lui donne pas les 2 000 FCFA, c’est alors un péché gravissime, qui peut même me porter préjudice. Si aussi votre frère maltraite sa femme et que vous regardez sans rien dire, c’est que vous êtes complice et vous attirez la malédiction au sein du clan. Tous les foyers qui ont une réussite, ce sont des foyers sobres, où on a appris à chérir la femme.
On a parlé du mariage, mais quid de la dot ?
Pour que vous appeliez une fille « votre femme », il faut que vous accomplissiez au moins cinq actions. Il y a ce qu’on appelle les fiançailles, ça commence par là. Je vais utiliser la terminologie la plus ancienne, quand on dit toquer à la porte, cela veut dire une famille X entreprend de vouloir épouser une femme dans une famille Y. Première action, on toque à la porte et on dit qu’à partir d’aujourd’hui, il y a une fleur qui sent bon et désormais, je voudrais m’approprier cette fleur. On demande quel est le nom de cette fleur ? On dit par exemple, cette fleur est noire et élancée. Ce jour-là, on ouvre une bouteille.
À côté de cette bouteille, chez les Bassa, on ajoute 100 000 FCFA, on ouvre quatre casiers de bière, deux casiers de jus, 20 litres de vin de palme et de la cola. Après, il y a ce qu’on appelle la dot proprement dite. Là, on amène des présents : des pagnes, des porcs, la chèvre, du riz, des plantains, du sel, du vin, l’argent, fla bière, du whisky… Tous ceci fait partie des présents. Troisième partie, c’est la bénédiction traditionnelle du mariage ou le chef de famille, ou le représentant de la famille, annonce, de la manière la plus solennelle que désormais, cette femme est la vôtre. Il participe au rite de la chèvre, c’est-à-dire les deux familles se placent devant la chèvre. On gifle l’animal en implorant que votre mariage soit béni avec des garçons et des filles, que le couple s’entende. Qu’il n’y ait pas de graves maladies, de génération en génération. À partir de ce moment, vous pouvez appeler une fille, votre femme, parce qu’on vous a donné solennellement la femme en mariage. Mais, à ce stade encore, cela n’a pas été rendu public, parce qu’il faut le mariage proprement dit, c’est-à-dire la fête où les deux familles sont réunies autour d’une table, avec des amis. On mange, on boit, on s’éclate, on acclame, on prodigue des conseils et autres.
Premier interdit, sa mère ne doit jamais l’accompagner, c’est un signe de malédiction. Elle délègue une autre femme. Et dans cette délégation, il faut au moins une femme qui a déjà donné naissance à des garçons et des filles. Cela permet d’éviter que la jeune femme qui va en mariage ne soit pas en difficulté pour procréer. Il y a aussi le rituel du lit où une femme qui a déjà mis au monde prend en charge les deux conjoints. Elle leur dit : « à partir d’aujourd’hui, voici votre lit conjugal, faites des enfants : des fils et des filles ». Elle vous laisse seuls dans la chambre. Et vous savez ce qui se passe entre un homme et une femme. En l’accompagnant vers son nouveau domicile, on lui donne souvent des lits, des congélateurs, tout ce dont une femme peut avoir besoin dans son foyer.
L’adultère n’est-elle pas sanctionnée ?
Plus on est sain, plus on est écouté par le Hilolombi (Dieu créateur dans la spiritualité du peuple Bassa, ndlr), que vous appelez Allah. Le plus grand mystère que le mbok connaît, est la procréation. L’adultère est sanctionné.
À quel âge intronise-t-on un mbok ?
Dès qu’il est sevré. Si un enfant ne tète plus, il peut être élevé au grade du mbok, parce que celui qui tète n’a pas le droit d’être intronisé. Mais, lorsqu’il est sevré, on peut dire « voilà un souverain de 3 ans ». Fondamentalement, c’est en cas de nécessité absolu. Mais, on est souverain lorsqu’on a rempli certains critères. Celui qui ne peut pas se marier volontairement alors qu’il est de la ligne des chefs, ne peut pas être souverain, puisqu’il n’est pas pour la pérennisation de l’espèce. Celui qui n’a pas encore d’abri ne peut pas également l’être. Celui qui est reconnu coupable d’actes répréhensibles tels que l’inceste, le trafic d’ossements humains, ne peut prétendre devenir un mbombok.
Une femme peut-elle devenir « un mbombok » ?
Non, les femmes ont une confrérie, ce sont les femmes escargots. L’escargot représente la gente féminine, on ne consacre pas un souverain sans la reine. L’escargot, en référence au vagin de la femme, qui est la matrice, qui procrée, qui est la grande marmite, qui garde, qui protège, qui chérit. En principe, quand les autres femmes ont des problèmes, c’est auprès de la reine qu’elles vont se plaindre. C’est la reine mère qui peut leur dire, par exemple que le « problème me dépasse, j’en parlerai à mon mari et vous reviendrai ».
Quelle est la particularité entre le mbombok et les autres chefferies traditionnelles au Cameroun ?
Avant l’arrivée des Blancs au Cameroun, notamment les Allemands, il y avait une hiérarchie différente de celle d’aujourd’hui. Chez les Bassa, la chefferie administrative a pour patron le sous-préfet. Le mbok, qui est la chefferie coutumière, a pour patron les ancêtres. Chez les bamiléké et les nordistes, ils ont mélangé les deux chefferies. Ceux qui étaient de la chefferie traditionnelle ont pris la place de la chefferie du Blanc. Ils sont à la fois administratifs et traditionnels. En tant que mbok, il m’est interdit de livrer un de mes fils à la gendarmerie. Je dois être en mesure de régler tous les problèmes sur place. Toutefois, le chef peut transférer quelqu’un dans une brigade ou dans un poste de police et sans que ne pose un problème.
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