La proportion d’entrepreneurs en Ouganda est supérieure à celle des Etats-Unis. Si l’entreprenariat est vecteur de création de richesse, pourquoi l’Ouganda reste pauvre alors que les US sont riches ?
Dans son article, Hicham El Moussaoui, explique une différence importante entre l’entreprenariat de nécessité et l’entreprenariat d’opportunité. Le premier est celui qui permet de survivre et qui s’impose comme moyen de survie ; le second est un choix éclairé et réfléchi. En Ouganda, comme dans tous les pays d’Afrique, la micro entreprise est un moyen de survie. Notons en plus que dans les Etats défaillants africains, le manque de liberté économique et la corruption absorbent une bonne partie des efforts fournis par l’entreprise. Ceci explique pourquoi le fort taux d’entrepreneurs ne booste pas plus le développement.
Si l’on vous demandait qui des deux pays, Etats-Unis ou Ouganda, a le taux d’activité entrepreneuriale le plus élevé ? Certainement que vous répondrez sans hésitation les Etats-Unis. Pourtant, selon l’indice du Global Entrepreneurship Monitoring (GEM), mesurant l’entrepreneuriat dans le monde entier, il y a plus d’entrepreneurs en Ouganda qu’aux Etats-Unis (28% en Ouganda contre 4% pour les US). Est-ce pour autant que l’Ouganda est plus développé que les Etats-Unis ? Bien évidemment que non. D’où l’importance de tenir compte de la qualité de l’entrepreneuriat, et ce pour plusieurs raisons.
L’entrepreneuriat de nécessité et l’entrepreneuriat d’opportunité
D’abord, regardons du côté de l’impact de l’entrepreneuriat sur la croissance. Si l’idée dominante est que l’entrepreneuriat impacte positivement la croissance, il n’en demeure pas moins que plusieurs études de terrain ont prouvé que cet impact diffère suivant le niveau de développement. Plus exactement, il a été établi que l’impact était plus fort et positif dans les pays avancés plutôt que dans les pays à faible revenu et sous-développés. Cela signifie-t-il pour autant que les pays pauvres doivent abandonner l’entrepreneuriat comme stratégie de croissance ? Bien sûr que non ! En réalité, ce que révèlent ces travaux de terrain est que l’impact de l’entrepreneuriat est à différencier suivant sa nature. En effet, il existe deux types d’entrepreneuriat : l’entrepreneuriat de nécessité et l’entrepreneuriat d’opportunité. Le premier signifie que des individus entreprennent faute d’opportunités d’emplois. Dans ce cas, l’entrepreneuriat relève plutôt de l’auto-emploi de survie. En revanche, l’entrepreneuriat d’opportunité découle d’une vraie conviction. Il est tourné vers la saisie d’une opportunité perçue par l’entrepreneur. Or, il se trouve que dans les pays pauvres c’est l’entrepreneuriat de nécessité qui prédomine, alors que les pays développés affichent un niveau d’entrepreneuriat d’opportunité plus conséquent.
Comme l’entrepreneuriat par nécessité porte sur des activités de survie de débrouillardise, à faible valeur ajoutée, souvent dans l’informel, il n’est pas étonnant que son impact sur la diversification et la structure de ces économies soit faible (Rodrik, 2007 ; Acs et Amoros 2008 ; Bosma et al., 2008). De la même manière, l’entrepreneuriat d’opportunité est plus tourné vers l’innovation, la créativité, la transformation, la création de valeur ajoutée, d’où son impact plus substantiel sur la croissance. D’où son impact significatif en termes de création d’emplois directs et indirects. Alors que dans les pays pauvres, l’entrepreneuriat de nécessité crée peu d’emplois car c’est souvent de l’auto-emploi avec des structures informelles et rudimentaires.
Recul de la pauvreté ?
Ensuite, l’impact de l’entrepreneuriat sur la pauvreté n’est pas non plus uniforme. Certes, l’entrepreneuriat permet de réduire la pauvreté. Néanmoins, selon les données du GEM, l’impact sur la pauvreté dépendra du rapport entre l’entrepreneuriat de nécessité et celui d’opportunité. Encore une fois si l’entrepreneuriat de nécessité prédomine, la réduction de la pauvreté sera moins importante que dans un pays où l’entrepreneuriat par opportunité est la forme la plus dominante.
Enfin, la qualité de l’entrepreneuriat compte car comme l’expliquait bien Baumol (1990), le problème pour les pays sous-développés n’est pas tant l’offre quantitative de l’entrepreneuriat, mais plutôt l’allocation (répartition) de cet entrepreneuriat entre les différentes activités. Il distinguait ainsi entre l’entrepreneuriat productif (création de valeur, innovation, transformation), et l’entrepreneuriat improductif (recherche de rente, corruption, etc.). Dès lors, le problème n’est pas l’absence de l’esprit entrepreneurial en Afrique, mais plutôt sa mauvaise allocation ou orientation. Autrement dit, les pays qui sont sous-développés le sont en raison de la prédominance de l’entrepreneuriat improductif par rapport à l’entrepreneuriat productif. Ainsi, au lieu d’utiliser des ressources pour produire transformer, créer, innover, dans la majorité de nos pays africains on utilise les mêmes ressources pour la corruption, le copinage avec les politiques, la recherche de rente (subventions, protectionnisme, etc.). De précieuses ressources sont mal utilisées en vue de s’accaparer la plus grande part du gâteau, quitte à réduire sa taille au lieu de l’agrandir. Cette allocation entre entrepreneuriats productif et improductif est le résultat des arbitrages individuels sur la manière d’utiliser leurs ressources (temps, effort, argent, etc.). Un arbitrage qui est conditionné, aiguillonné par les institutions au sens de règles du jeu encadrant l’entrepreneuriat et l’investissement. En effet, chaque règle (loi, réglementation, procédure, etc.) implique un calcul, une distribution de coûts et de bénéfices.
Un entreprenariat improductif en Afrique
Malheureusement, dans la majorité des pays africains les règles du jeu favorisent aujourd’hui l’entrepreneuriat improductif. La pression fiscale réglementaire et fiscale est étouffante, le climat des affaires hostile, les politiques publiques arbitraires et orientées vers la sauvegarde d’intérêts particuliers. Cela augmente le risque et le coût de l’entrepreneuriat pour la majorité des Africains. En revanche, ceux qui ont des entrées, qui ont des relations et des connexions, pourront faire du lobbying auprès des législateurs et des décideurs afin de profiter des règles sur mesure qui leur permettent de capter des rentes de situation au détriment des autres. Ceux qui ne peuvent influencer directement ces règles du jeu, utiliseront la corruption et des stratégies évasives pour les contourner (création de sociétés-écrans, paiement au noir, fraudes etc.). Encore une fois des ressources ponctionnées pour payer des pots-de-vin au lieu d’être utilisées dans la production et la création de richesse. Quant à ceux qui n’ont ni connexions ni argent pour manipuler ou contourner les règles, ils se trouvent obligés de se rabattre sur l’informel afin de fuir l’enfer réglementaire et fiscal qu’on leur fait subir (entre 30 jusqu’à 80% en Afrique). Au total on se retrouve avec un grand pan des économies africaines dominé par l’entrepreneuriat improductif sous des formes différentes: entrepreneuriat de rente, entrepreneuriat de corruption, entrepreneuriat d’évasion, entrepreneuriat informel. Il n’est pas étonnant alors que l’impact en termes de création de richesse, d’emplois soit moins que ce qui aurait pu être si l’on avait un entrepreneuriat mieux orienté.
Dès lors, le véritable enjeu pour les économies africaines n’est pas d’avoir le plus grand nombre d’entrepreneurs, mais la meilleure qualité d’entrepreneuriat possible. Nos dirigeants devraient alors cesser de raisonner en termes quantitatifs, pour tenir compte de l’aspect qualitatif. En ce sens, il faudrait cibler la promotion de l’entrepreneuriat d’opportunité tourné vers des activités productives. Un objectif qui passe impérativement par l’influence des arbitrages individuels dans le sens de la création de valeur et de productivité. Encore une fois, l’amélioration de la qualité de nos institutions politique et économique s’avère incontournable afin que nos entrepreneurs choisissent la bonne voie et mettent nos économies définitivement sur la voie de la prospérité.
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc)