Entre les pressions de l’Europe, du Sahara Occidental et de l’Algérie, la pêche marocaine dans la tourmente


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Tension sur la pèche au Maroc
Tension sur la pèche au Maroc. Image générée par AI

Avec un littoral de plus de 3 500 km, le Maroc est le premier exportateur mondial de sardines et possède une flotte de pêche industrielle puissante qui exploite non seulement ses propres eaux, mais aussi les zones contestées du Sahara Occidental, où se trouvent des ressources halieutiques abondantes. Cependant, cette exploitation est aujourd’hui sous pression, tant sur le plan juridique qu’écologique, avec des accusations de mauvaise gestion dans les eaux transfrontalières partagées avec l’Algérie.

Le secteur de la pêche au Maroc, représente environ 2% du PIB avec des exportations atteignant 2 milliards d’euros en 2022. Mais ce secteur stratégique se trouve aujourd’hui confronté à des défis majeurs sur trois fronts : européen, sahraoui et algérien. Premier exportateur mondial de sardines, le royaume dispose d’un littoral immense mais voit son modèle d’exploitation maritime remis en cause de toutes parts.

La pression européenne : l’annulation des accords de pêche, un coup dur juridique et économique

Le 4 octobre 2024, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a porté un coup sévère au secteur de la pêche et de l’agriculture en annulant les accords commerciaux UE-Maroc. Cette décision historique met fin à une compensation annuelle de 50 millions d’euros versée par l’Union Européenne et bouleverse l’ensemble du secteur halieutique marocain. Les droits de pêche, qui permettaient jusqu’alors la capture de 90 000 tonnes de poissons par an par les flottes européennes, principalement espagnoles, sont désormais suspendus. Cette situation remet également en question les importants investissements réalisés dans les infrastructures portuaires du pays.

Ce verdict de la CJUE, en réponse à une plainte du Front Polisario, réaffirme que l’exploitation des ressources du Sahara Occidental, maritime ou terrestre, doit être approuvée par le peuple sahraoui. Cette décision a un impact direct sur le secteur de la pêche, puisque les eaux du Sahara Occidental, particulièrement riches en ressources, représentent près de 75 % des prises de la flotte européenne au Maroc

Les implications environnementales de la rupture

La fin des accords avec l’Union Européenne pourrait avoir des effets paradoxaux sur l’environnement marin marocain. Si la réduction de la présence des flottes européennes pourrait soulager certains stocks de poissons actuellement surexploités, le risque existe que le Maroc intensifie sa propre activité de pêche pour compenser les pertes économiques liées à la fin des versements européens. Une telle décision risquerait cependant d’accentuer la pression sur les ressources marines. Par ailleurs, l’incertitude plane sur le devenir des programmes de surveillance écologique qui étaient menés conjointement avec l’Union Européenne, essentiels pour le suivi et la protection des écosystèmes marins mais que le Maroc risque de ne pas vouloir financer seul.

La question du Sahara Occidental : un enjeu de droit international

En annulant les deux accords commerciaux, la CJUE a posé un acte fort en faveur du droit international et de la légalité du processus de décolonisation. Ce nouvel épisode du conflit sahraoui marque une étape décisive dans la lutte pour l’indépendance du peuple du Sahara Occidental et impose aux acteurs internationaux de repenser leurs relations avec le Maroc. La décision souligne que l’exploitation des ressources naturelles du Sahara Occidental ne peut se faire sans l’accord explicite du peuple sahraoui, conformément aux principes du droit international.

Déjà, de nombreuses ONG internationales réagissent pour que l’accord soit appliqué. C’est par exemple le cas du Comité norvégien de soutien au peuple sahraoui qui a exhorté la compagnie maritime norvégienne Green Reefers à cesser de transporter des cargaisons de poisson pêché dans les eaux sahraouies occupées. Dans une lettre adressée à l’entreprise, le Comité a dénoncé le rôle de son navire frigorifique, le Green Austevoll, dans ce qu’il appelle un « pillage des ressources naturelles » de ce territoire non autonome, en violation du droit international.

Des implications économiques majeures

Les eaux territoriales du Sahara Occidental constituent l’une des zones de pêche les plus riches de la région. Jusqu’à présent, 75% des captures réalisées dans le cadre des accords de pêche UE-Maroc provenaient de ces eaux. En outre, le Maroc y a développé une importante infrastructure de pêche industrielle, avec des investissements importants dans les ports et les installations de transformation du poisson, notamment dans les villes de Dakhla et Laâyoune. La décision de la CJUE remet fondamentalement en cause ce modèle d’exploitation.

La question de la gestion durable des ressources marines du Sahara Occidental se pose désormais avec une acuité particulière. Les droits des pêcheurs traditionnels sahraouis doivent être au cœur des futures décisions concernant l’exploitation de ces eaux. La communauté internationale devra veiller à ce que toute exploitation future des ressources halieutiques respecte non seulement les principes du droit international mais aussi les droits fondamentaux du peuple sahraoui sur ses ressources naturelles.

La tension algérienne : la guerre de l’eau s’étend à la mer

Les relations déjà tendues entre le Maroc et l’Algérie se compliquent davantage avec les accusations portées par Alger concernant la gestion des ressources hydriques communes. L’Algérie dénonce vivement l’impact des pratiques marocaines sur les écosystèmes côtiers partagés et leurs répercussions sur la biodiversité marine transfrontalière. Ces tensions s’inscrivent dans un contexte plus large de désaccords sur la gestion des ressources naturelles entre les deux pays.

Les effets de ces tensions se manifestent de manière concrète sur le terrain. Le ministre algérien de l’Hydraulique, Taha Derbal, a notamment mis en lumière la disparition documentée de 43 espèces d’oiseaux migrateurs dans la région. La perturbation des routes migratoires des poissons et la dégradation significative des écosystèmes du barrage de Djorf-Torba illustrent l’ampleur des impacts environnementaux de ces conflits de gestion des ressources.

Un secteur contraint à la mutation

Face à ces multiples défis, le secteur de la pêche marocain se trouve contraint à une profonde mutation. Le royaume doit désormais repenser ses accords internationaux, moderniser sa flotte et développer des pratiques de pêche plus durables.

Cette période de turbulences pourrait paradoxalement offrir au Maroc l’opportunité de refondre son modèle de pêche. Le développement de pratiques plus durables et la recherche de nouveaux partenariats internationaux pourraient émerger de cette crise.

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