Est-ce une mutinerie ? Une rébellion ? Personne ne peut caractériser les affrontements qui opposent, dans la ville de Bukavu, les soldats de la 10e région militaire à un groupe de combattants de l’ancienne armée du RCD. Ne trouvant pas leur compte dans l’environnement politique post-conflit, ces derniers se sont singularisés dans un combat d’arrière-garde en faisant un appel du pied au Rwanda. Joseph Kabila promet de sévir.
De notre correspondant Octave Kambale Juakali
Personne n’ose encore parler de mutinerie avec ce qui passe à Bukavu, dans l’Est de la République démocratique du Congo. Pourtant, deux armées, dont l’une irrégulière, s’affrontent à l’arme de guerre depuis mercredi dernier. Ce n’est pas non plus une rébellion, car celle-ci est sensée être terminée depuis les accords de paix de Sun City. Pourtant elle fait des morts. En trois jours, environ 10 à 15 personnes ont été tuées dans les affrontements. Les mutins se réclament du colonel Mutebusi, commandant en second de la région militaire, aujourd’hui suspendu de ses fonctions pour avoir attaqué son supérieur hiérarchique, le général Prosper Nabyolwa, en février.
A l’origine des événements : le refus des militaires en faction devant le pont de la Ruzizi, à la frontière entre le Rwanda et la RDC, de laisser passer un convoi de militaires armés en compagnie de leurs familles voulant se rendre au Rwanda. « La garde en faction sur le pont de la Ruzizi a cherché à connaître les raisons de ce déplacement massif et à vérifier s’il était autorisé. C’est ainsi que les tirs ont commencé, les autres ne voulant pas obtempérer aux vérifications d’usage», a expliqué le jeudi 27 mai au soir, depuis Bukavu, le correspondant d’Antenne A, une radio privée de Kinshasa.
Revendications pour une citoyenneté congolaise
Le malaise est général à Bukavu pendant qu’à Kinshasa, on parle de paix. Les militaires tutsi banyamulenge qui sont de toutes les guerres au Kivu et en RDC, depuis celle dite de libération de Laurent Désiré Kabila, ont pris les armes, disent-ils, « en guise de revendications pour une citoyenneté congolaise », prétendument confisquée par l’Etat au détriment de la tribu banyamulenge. Et s’étant accommodés de la rébellion du RCD/Goma, ils semblent ne pas bien s’acclimater dans l’environnement politique d’après-guerre. Enrôlés dans les rangs de la rébellion, ils se sentent pratiquement abandonnés par les nouveaux arrangements politiques issus de Sun City et paraissent ne pas exactement trouver leur compte dans une nouvelle armée intégrée.
C’est ainsi que, d’une manière générale, c’est chez eux que la Monuc (Mission des Nations unies pour le Congo) retrouve généralement des caches d’armes, les exposant ainsi à la vindicte de la population qui, à tort ou à raison, les soupçonne de vouloir préparer une nouvelle guerre entre les provinces du Nord et du Sud-Kivu, l’ancien fief du RCD/Goma. Seul les enquêtes judiciaires diligentées pourront répondre aux multiples interrogations qui circulent ça et là.
L’armée intégrée en question
Les coupables seront châtiés. Kinshasa ne voudrait pas laisser passer ce qu’il considère comme une véritable mutinerie dans une armée intégrée en gestation. Joseph Kabila, le Président de la république, l’a répété aux nouveaux gouverneurs des provinces, à l’occasion de l’ouverture d’un séminaire à leur intention, avant qu’ils ne rejoignent leurs lieux d’affectation. « J’appelle tout notre peuple à appuyer les efforts du Gouvernement dans cette partie de la République pour ne pas permettre aux aventuriers de retarder le processus de paix et le développement de notre pays. La justice fera son travail pour établir les responsabilités afin que les coupables soient châtiés, conformément aux lois de la République ».
Parmi les victimes des affrontements, se trouve le juge Kabamba, le Président de la Cour d’Appel de Bukavu. Selon le quotidien kinois « Le Potentiel », le juge aurait été abattu par le colonel Eric Ruhoringeri, officier de l’ancienne branche de l’armée du RCD/Goma. Deux jeunes enfants se trouveraient également dans le lot des victimes, pris entre les tirs croisés de part et d’autre. Le général Felix Mbuza Mabe, qui dirige la 10e région militaire, a annoncé jeudi soir depuis Bukavu qu’il avait lui-même été attaqué à sa résidence, mais qu’il avait réussi à faire fuir les assaillants. Ces incidents surviennent pratiquement au lendemain du séjour de M. Jean-Marie Guéhenno, secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix, dans la ville de Bukavu.
Responsabilités contextuelles
Jean-Marie Guéhenno qui vient de quitter le Congo pour l’Afrique du Sud, a regretté ce qui est arrivé à Bukavu. « De tels incidents arrivent, a-t-il déclaré, à cause du retard accumulé dans la matérialisation de l’intégration de l’armée ». Jean-Marie Guéhenno a insisté sur l’urgence qui s’accroît, face à l’absence de l’Etat dans plusieurs parties du pays, au fonctionnement du gouvernement de transition et à l’effondrement de l’économie.