Quadruple champion de France, champion d’Europe et champion du monde poids lourds en titre de savate boxe française, Enoch Effah affiche, malgré ses 22 ans, un redoutable palmarès. Le jeune boxeur français d’origine ghanéenne veut s’inscrire dans la légende. Une image qu’il entend mettre concrètement au service de son pays d’origine. Portrait d’une force tranquille de la nature au mental d’acier et aux pieds bien sur terre. En bonus, un clip vidéo du boxeur.
Nom : Effah, prénom : Enoch. 1,93 m pour 100 kg. Age : 22 ans. Signes particuliers : quadruple champion de France poids lourds de savate boxe française, champion d’Europe et champion du monde en titre. 34 combats, 31 victoires (dont 22 par KO) et 3 défaites. Sans commentaire. Un palmarès pour le moins éloquent pour ce jeune boxeur français d’origine ghanéenne qui est pourtant loin d’être arrivé à maturité dans son art. Un potentiel énorme pour une déjà star qui n’a pas fini de briller.
S’il règne en maître aujourd’hui sur les rings, c’est un peu par hasard qu’Enoch est arrivé à la boxe. Au départ pour lui c’était le football. Notamment repéré pour sa bonne frappe, il était plutôt bon et avait même intégré un centre de formation. Il était promis à un bel avenir, si ce n’avait été quelques promoteurs véreux. Il rate le coche. Pour le plus grand bonheur des arts pugilistiques.
C’est un ami qui l’emmène pour la première fois dans une salle de boxe française. Pour remonter la pente. Car à l’issue d’un drame familial, il avait momentanément tout abandonné, les études, le sport, ses ambitions. Quelle ne fut pas sa (mauvaise) surprise, lui qui dehors arrivait facilement à s’imposer physiquement, de prendre une bonne correction, lors d’un petit combat initiatique, par quelqu’un qui avait tout sauf le physique de l’emploi. « Il avait une tête de gentil, limite une tête à claques. Cette déconvenue m’a vraiment tourmenté. C’est la première fois que je subissais une telle humiliation. »
Une bonne école de la vie
Il cogite et commence à comprendre. « La boxe ce n’est pas mettre des droites et des balayettes comme on peut le faire dans la rue. J’ai compris qu’il ne fallait pas se fier aux apparences et qu’il fallait d’abord travailler l’intérieur. J’ai également compris toute la rigueur et la maîtrise que ce sport exigeait. Et ça m’a plu », explique-t-il. Alors il commence consciencieusement à s’entraîner. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, il est toujours là, jour après jour. Il rassurera son égo en ne tardant pas à rendre correctement la monnaie de sa pièce à celui qui lui avait fait mordre la poussière.
« En boxe, ce n’est pas comme dans les sports collectifs : vous n’avez pas le droit à l’erreur. Car il n’y aura que le sol pour vous rattraper. Toutefois le problème n’est pas de tomber mais de savoir se relever. Je trouve que c’est une bonne école de vie. Il faut se fixer des objectifs et tout mettre en œuvre pour les atteindre. Ça nous apprend à prendre conscience de nos capacités », analyse l’actuel champion du monde.
Il révèle un indécent potentiel qui ne manque pas d’intéresser son premier entraîneur. « Il me voyait malheureusement comme un cheval de course et me faisait croire que sans lui je n’étais rien. Il me dopait avec du vent et vivait à travers moi, sans aucun respect pour ma personnalité. Il distillait par ailleurs un mauvais esprit au sein du club car il se basait uniquement sur l’esprit de compétition. Il n’y avait pas de pédagogie », se souvient le boxeur. Pour son premier combat officiel (2001), son entraîneur l’envoie carrément au casse-pipe. KO à la première reprise. Il faut dire qu’en tant que débutant, il affrontait, sans le savoir, rien de moins qu’un boxeur de la catégorie Elite pro. Un boxeur qui, quelques mois plus tard, devait se retrouver en finale des championnats du monde.
Quand la défaite motive
Mais sa cinglante défaite ne l’arrête pas pour autant, bien au contraire. « Ça m’a motivé deux fois plus pour continuer, explique-t-il. Ça m’a ramené sur terre. J’avais abordé ce combat sans aucun stress, j’étais juste content de montrer à tout le monde que je m’étais trouvé un sport. Après mon KO, j’ai quand même dû encaisser le coup. Mais je crois que sans ça je n’aurais pas continué la boxe. Car je me suis dit que je n’arrêterais pas la boxe tant que je ne rencontrerais pas à nouveau cette personne sur un ring ». Jamais défaite n’aura été plus bénéfique.
Et Enoch la foudre ne tarde pas à frapper. Fort. Tant et si bien qu’on le surclasse en 2003, avec l’accord de la fédération, pour qu’il puisse trouver des adversaires à sa mesure. « J’étais junior et déjà champion de France. Pour me mesurer à des Seniors il me fallait une dérogation pour tenter ma chance ». Son jeune âge et son visage de poupon s’avèrent plutôt un atout. Car ses adversaires, souvent de 10 ou 15 ans ses aînés, le prennent un peu de haut. Avant de se rendre compte de leur funeste erreur et de tomber sous les coups du jeune guerrier ashanti.
Champion du monde avec 30% de ses capacités
Malgré les premiers sacres, ses relations avec son premier entraîneur ne sont désormais plus au beau fixe. Il ne s’épanouit pas dans son art. Il désespère de trouver le bon coach. Celui qui lui permettrait de pleinement se révéler. Après un bref crochet à l’Institut national du sport et de l’éducation physique, le destin lui fait croiser, en 2004, la route d’Alain Zankifo, dont l’écurie, la Team Zankifo, recelait déjà de nombreux champions dans d’autres catégories de sports de combat (boxe thaï, kick boxing, kempo, K one, et boxe anglaise…). Les choses sérieuses pouvaient commencer.
Mais au fait pourquoi la boxe française et non la boxe anglaise, beaucoup plus prestigieuse ? « Parce que l’histoire a déjà été écrite en boxe anglaise. Je ne pense pas qu’on puisse faire autant que Mohamed Ali, tandis qu’en boxe pied-poing, il y a de la place pour écrire une grande histoire », répond tout de go Enoch. Des ambitions plutôt en bonne voie à en juger par son parcours. Champion de France espoir en 2002, il s’impose dans la catégorie supérieure (Honneur) l’année suivante, avant de décrocher les titres 2004 et 2005 en Elite pro. Mais c’est en 2004 qu’il gagne une nouvelle dimension. Effet Zankifo, il passe à la vitesse supérieure en entrant en équipe de France et en devenant champion d’Europe. Il obtient enfin la consécration suprême en décembre 2005 en devenant champion du monde. Alors que son entraîneur estime qu’il « ne boxe encore qu’à 30% de ses capacités ».
Concilier seul école, travail et carrière sportive
Le voici donc au sommet pas encore de son art. Il touche au but, non pas d’avoir fini sa collection de trophées. Car s’il veut briller c’est pour mieux éclairer les autres. Et du haut de ses 22 ans, son plan a toujours été de mettre sa notoriété au service de causes. « Une carrière sportive est finalement assez courte. Et j’aimerai capitaliser sur mon image de champion pour développer des projets personnels », explique-t-il. Mais les médias le boudent. Lui qui assure tout seul sa communication se heurte au mur des préjugés. Un Noir champion ou l’intégration par le sport, un cliché véhiculé par la presse et qui énerve un peu Enoch. « Quand j’ai remporté mon quatrième titre de champion de France, un journal spécialisé disait de moi ‘le banlieusard de 22 ans’. Je trouve que ça minimise beaucoup ma performance. Et puis les médias confondent toujours agressivité et détermination, car ils ne voient la boxe que comme un sport violent. Alors que c’est un sport extrêmement physique, tactique et technique. Surtout en boxe française où il y a beaucoup d’enchaînements et de combinaison pieds poing», reproche-t-il. Plus dur encore la réaction de TF1 face à ses succès. « TF1 m’a expliqué que le cliché d’une personne issue des minorités qui réussissait à travers le sport était dépassé et que ça ne les intéressait pas », explique Enoch dépité. Pas de vraie couverture médiatique, donc pas de vraie opportunité en matière de sponsoring.
Alors il fait comme il peut, tirant le diable par la queue pour garder ses ambitions à flot. Tout champion d’Europe et champion du monde qu’il soit, il ne reçoit étrangement aucune bourse de sa fédération. On voudrait faire croire que c’est la boxe qui l’a sorti de la galère, or jusque-là il n’a toujours pas fini de ramer. Car tout le monde semble oublier qu’il vit et s’assume seul depuis ses 17 ans et qu’il n’a jamais arrêté les cours. C’est parallèlement à son cursus scolaire qu’il a donc toujours dû concilier son entraînement de sportif de haut niveau (trois heures par jour) et ses différents jobs. Après un BTS avorté d’assistant de gestion, il a passé avec succès le premier degré du brevet d’Etat de savate boxe française et prépare activement, cette année, le second degré. Coût de la formation : 3 000 euros. Ce n’est pas avec son cachet de 1 219 euros, qu’il a eu pour son titre de champion du monde, qu’il ira bien loin. Mais il en faut bien plus pour abattre le bonhomme.
Ghana mon amour
Sa volonté de fer a été d’autant plus renforcée après un voyage initiatique au Ghana. La terre de ses parents, cette terre qu’il n’avait jamais connue. Quand il s’y rend pour la première fois en 2004 c’est le choc : « les mots me manquent … J’ai vu d’où je venais, mes origines, et bien qu’au départ les gens là-bas ne me considéraient pas comme un Ghanéen, parce que je ne parlais pas bien la langue, je me suis senti profondément appartenir à ce pays. J’ai aussi pris une vraie leçon d’humilité en voyant des gens qui avaient moins que moi mais qui entreprenaient beaucoup plus de choses ». Il savait désormais vers où concentrer ses efforts et comment utiliser sa notoriété.
«La boxe anglaise est très populaire là-bas, mais personne ne connaît les disciplines de boxe pied-poing. J’aimerais monter une fédération là-bas et une structure autonome », explique-t-il. Raison pour laquelle il a d’abord commencé par monter sa propre association, Frace-Ghana RSBF. Ne lui parlez pas d’humanitaire. Lui veut des choses concrètes. Il veut bâtir et refuse l’assistanat et la dépendance. Son idée est simple : construire un mini complexe éducatif et sportif qui se suffit à lui-même. Avec une salle de boxe, une salle de cours pour de l’alphabétisation et surtout un lieu de vie centré autour d’un petit bar-restaurant. « Le bar restaurant permettra de générer des ressources pour faire vivre la structure, explique-t-il. Je compte même y rajouter de petits commerces tels que des kiosques téléphone ou d’autres petits étals pour mieux m’adapter aux réalités locales. D’après mes calculs, ça devrait rendre pérenne l’ensemble. »
Son projet pilote est déjà en marche. Il est déjà retourné deux fois au pays pour baliser le terrain et attend juste de trouver les moyens pour amorcer concrètement les choses. Par ailleurs,il commence à côtoyer d’autres grands champions internationaux africains ou français d’origine africaine, dans le milieu du football et de l’athlétisme. Champions auprès desquels son discours rencontre un écho extrêmement favorable. Il tisse ainsi son propre réseau en espérant que ses initiatives feront boule-de-neige. Voilà ce pour quoi il se bat, voilà en ce qu’il croit, voilà ce pour quoi il ne baissera jamais les bras. Ni la garde sur le ring.
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Contacter Enoch Effah :effah1@hotmail.com