Les enlèvements d’occidentaux en Afrique perdurent. Pas plus tard que mercredi dernier, un ingénieur français a été enlevé dans la ville de Rimi, dans le nord du Nigeria, par le mouvement dissident de Boko Haram, Ansarou. La France est particulièrement touchée par ces rapts souvent menés par des groupes islamistes tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Ce dernier accuse Paris de bloquer les négociations pour la libération des quatre otages français enlevés au Niger en septembre 2010. Le journaliste spécialiste de l’Afrique Antoine Glaser, ex-rédacteur en chef de La lettre du continent, analyse pour Afrik.com la situation.
Afrik.com : Que pensez-vous de la multiplication de ces prises d’otages qui touchent la France ?
Antoine Glaser : Je pense que c’est assez inquiétant de voir cette multiplication de mouvements islamistes qui se créent. Je parle notamment du groupe islamiste Ansarou, dissident de Boko Haram, auteur de l’enlèvement de l’ingénieur français mercredi dernier. La situation est préoccupante car jusqu’à présent, les groupes qui opéraient dans le nord du Nigeria n’étaient pas des islamistes radicaux mais des nationalistes qui s’en prenaient aux églises, à l’Etat, aux forces de l’ordre… Ces mouvements ressemblent plus à de la « gangstérisation » pour soutirer de l’argent aux Etats concernés. C’est devenu une espèce de supermarché d’enlèvements d’occidentaux. Il y a une attente de présence d’occidentaux dans la région. C’est pour cela que le Quai d’Orsay a interdit à tous ses ressortissants de se rendre dans les pays du Sahel.
Afrik.com : Pourquoi les auteurs de ces enlèvements ciblent-t-ils la France ?
Antoine Glaser : La France est ciblée car c’est une ex-puissance coloniale de la région. Parmi les pays européens, c’est aussi elle qui a déposé les résolutions au Conseil de sécurité de l’Onu pour une intervention militaire dans le nord-Mali. La France est le pays qui prend le plus d’initiatives pour le Sahel. Elle est également la seule puissance occidentale à avoir des bases militaires dans cette zone, notamment dans des pays comme le Tchad avec l’opération Epervier, le Sénégal et Djibouti.
Afrik.com : Est-ce que la France doit modifier sa politique en Afrique pour éviter que ses ressortissants soient les premières victimes de ces rapts ?
Antoine Glaser : Je constate que la France est dans une position difficile. Elle ne peut pas se désintéresser de ce qui se passe dans ces pays. En raison de ces relations historiques avec ces Etats, la France est beaucoup plus exposée aux enlèvements que les autres pays européens. En tant qu’ex-puissance coloniale, elle est également très mal placée pour intervenir dans les pays du Sahel. Dans le même temps, elle ne peut pas détourner le regard sur ce qui s’y passe. Car cela la touche directement. Si dans le nord-Mali, les troupes militaires africaines sont incapables d’agir, elle serait contrainte de mettre la main à la patte. Mais elle sait qu’elle est dans une mauvaise posture. C’est pour cela que le président Hollande n’a cessé de répéter que cette aide serait uniquement logistique.
Afrik.com : Y-a-t-il selon vous une islamisation dans la région du Sahel ?
Antoine Glaser : Oui, il y a y a une poussée des groupes radicaux. Mais il faut différencier l’islam modéré aux extrémistes. Ce qu’il faut expliquer aux gens, c’est que la religion musulmane n’est pas liée aux groupes extrémistes radicaux. Il faut faire confiance aux Africains qui savent différencier la religion de ces mouvements. Tous les pays d’Afrique ne sont pas concernés par la montée de ces groupes extrêmes. Au Sénégal, l’islam est très modéré. Il y a différentes confréries qui vivent en harmonie.
Afrik.com : Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, a-t-il les épaules assez larges pour faire face à cette situation tendue dans le Sahel ?
Antoine Glaser : Non. La marge de manœuvre de la France est extrêmement mince. Son levier est de plus en plus faible. Elle se retrouve souvent en première ligne dans un état de faiblesse. Et il ne faut pas oublier que la France a les caisses vides, qu’elles n’a plus les moyens. Depuis près de 20 ans, on est entré dans une nouvelle période historique. L’Afrique se mondiale. La croissance est du côté de l’Afrique. L’Afrique est le continent de demain. Il va y avoir des bouleversements démographiques importants. C’est un continent de plus en plus convoité par certains pays des Brics (Brésil, Chine et Inde). La Turquie s’intéresse de plus en plus à l’Afrique.