A l’occasion de la journée internationale de l’enfant soldat, le 12 février, l’Euro Coopération Ingénierie (ECI) a organisé une conférence de presse à l’École militaire de Paris, en vue de sensibiliser sur le sort des enfants soldats dans le monde.
« L’existence des enfants soldats est une réalité cruciale », a dénoncé vendredi Paul Perrin, délégué général et fondateur d’ECI, lors d’une conférence de presse à Paris. On en parle que trop peu. Selon les estimations de l’ONU, encore plus de 300 000 enfants soldats seraient impliqués dans les conflits et guerres dans le monde. Pourtant, le recrutement des enfants de moins de 18 ans dans les forces armées est considéré comme un crime de guerre par la Cour pénale internationale depuis 1998 avec le traité de Rome.
« Les chefs de guerre n’ont-ils pas d’autres moyens que de prendre des enfants? N’ont-ils pas d’autres moyens que de porter atteinte à la dignité humaine? Le fait est là. Ils sont incapables de rassembler des troupes suffisantes », a déclaré Paul Perrin. Pour cela, les enfants sont des proies faciles, encore innocents et ignorants. Drogués, alcoolisées, ils entrent dans un monde de violences sans nom. « Les chefs armés les manipulent, les endoctrinent sans vergogne pour en faire des machines à tuer, à piller », a-t-il ajouté.
Pourquoi s’engagent-ils?
Le contexte politique et économique des pays concernés est d’une grande importance dans l’émergence du fléau. Un pays fragilisé par des guerres et des tensions créées par la pauvreté constitue un terrain favorable. « La vulnérabilité des enfants dans un contexte difficile en font des proies faciles », a déploré Paul Perrin. Des régions sont dans une violence permanente, forgeant une forte « identité régionale de conflit », a précisé Cyril Musila, professeur de géopolitique des conflits africains, spécialiste de la région des Grands Lacs.
Le système de scolarisation des enfants étant très souvent insuffisant, ils sont livrés à eux-mêmes et cherchent des activités lucratives. L’engagement dans l’armée semble être une alternative au travail. « L’enrôlement dans l’armée est vu comme la seule perspective d’emploi. Un enfant qui a une kalachnikov a accès tout ce qu’il veut. Il a accès à l’argent qu’il n’a pas, à la maison qu’il n’a pas, à la femme qu’il n’a pas normalement », a expliqué Cyril Musil.
Des raisons psychologiques et idéologiques peuvent pousser des enfants à s’engager militairement. Dans un climat de violence constante, des enfants peuvent vouloir venger la mort d’un proche ou participer au combat pour libérer son peuple.
La présence des filles soldats a aussi été reconnue comme une réalité. « Certaines rejoignent volontairement des groupes armés. Elles ont peur de se faire agresser ou d’être torturées par ceux qu’elles appellent leurs ennemis. Parfois, c’est pour des raisons de survie. Elles pensent qu’elles pourront avoir de quoi se nourrir », explique Élodie Pelois, responsable des projets ECI spécialiste des enfants et filles soldats. Mais les filles sont souvent réduites à l’esclavage sexuel, à la maltraitance. Elles font la cuisine, assurent l’assistance médicale et fournissent surtout aux groupes armés ce que leurs chefs appellent « la nouvelle génération » d’enfants soldats. Souvent enceintes très jeunes, elles doivent élever leurs enfants pour les préparer à devenir enfants soldats à leur tour.
Embrigadement
Plus grave encore, des enfants ne s’engagent pas dans l’armée de leur plein gré. Beaucoup d’entre eux sont embrigadés de force par les armées rebelles. Marc Fontrier, officier de troupes de Marine française en Afrique, a expliqué que, dans des pays comme le Liberia, « des voyous arrachent les enfants de leur sillage et les forcent à tuer leurs parents. Des enfants commencent à se droguer, à tuer, à violer dès l’âge de six ans. Ils s’automutilent et mangent n’importe quoi », s’est-il révolté.
Dociles, naïfs, influençables et peu coûteux, les enfants sont d’une grande efficacité sur des terrains difficiles mais aussi comme espions ou kamikazes. Ils sont aussi parfois utilisés comme « chair à canon » sur les champs de bataille, placés en première ligne pour faire diversion.
Programme de réintégration
« Tu es le bienvenu, mais tu n’es pas bien parti ». Telle a été la phrase d’accueil que Lucien Badjoko à reçu quand il s’est volontairement engagé dans les forces rebelles de Laurent-Désiré Kabila (RDC) à l’âge de 12 ans. Maintenant étudiant en droit à Paris, il témoigne de son lourd passé. «Des gamins de 10-13 ans meurent en formation. La journée, l’entraînement était basé sur la tactique de combat. Le soir, les « causeries morales » nous lavaient le cerveau», a-t-il raconté avec émotion.
« Beaucoup d’enfants sont récupérables. Ils sont des valeurs ajoutés s’ils sont bien encadrés. Tant qu’il n’y aura pas la paix, les enfants seront utilisés », dénonce Lucien Badjoko. Il faut plusieurs années pour réintégrer un enfant. Selon Paul Perrin, « il n’y a pas plus dangereux au monde qu’une personne qui n’a rien à perdre. Donnons-leur un travail». La réintégration des enfants soldats constitue un défi majeur des sociétés post conflictuelles. Très peu de programmes de réinsertion prennent en compte les difficultés des jeunes filles qui ont des besoins spécifiques, car elles reviennent souvent avec des enfants. ECI œuvre à créer des centres de réintégration pour les enfants en vue de faire des formations professionnelle et du développement personnel.
L’utilisation d’enfants soldats constitue un crime grave faisant l’objet de poursuites pénales depuis le traité de Rome. L’ancien rebelle congolais Thomas Lubanga est actuellement en train d’être jugé par la CPI pour utilisation des enfants lors de la dernière guerre du Congo. Les responsabilités pénales d’un enfant pour génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre, ne sont pas exclues par le droit international. Six jeunes Darfouris, âgés de 11 à 17 ans ont été condamnés à mort par le tribunal spécial du Darfour en décembre 2009.
La pénalisation de l’utilisation d’enfants soldats dans l’armée fait preuve d’une grande avancée. Le processus de réinsertion doit aussi prendre en compte le travail de prévention dans les pays à risque. Le Président d’ECI, Bernard Le Van Xieu, a dénoncé le cas d’Haïti où beaucoup d’enfants abandonnés ont dernièrement été repris par l’armée. Un travail de longue haleine et dangereux, la France continuera à faire de ce combat une de ses priorités en matière de défense des droits de l’homme.