300 000 enfants dans le monde à qui l’on confie des armes. Pour tuer à la place des adultes. En quête d’identité ou tout simplement poussés par la misère de leur village, ces jeunes, âgés de 7 à 17 ans, quittent le clan familial pour atterrir en première ligne sur les fronts de bataille. André Lokisso, ancien fonctionnaire de l’Unesco, a fondé une association en France qui concrétise sa volonté de réinsérer ces jeunes.
Bures-sur-Yvette, dans l’Essonne, en banlieue parisienne. En tunique colorée, André Lokisso pose son énorme tas de paperasses sur la table. Il chausse ses lunettes, et feuillette son dossier : coupures de journaux et comptes-rendus d’assemblées générales défilent entre ses mains. Puis commence le récit du combat qu’il mène depuis quatre ans. Ce Congolais plein d’énergie est un ancien fonctionnaire de l’Unesco. A la veille de sa retraite, on lui demande de présenter la problématique des enfants soldats devant la Commission des droits de l’Homme à Genève. Sujet pour lequel il se passionne… et décide d’agir. En 2000, il fonde l’association AIED, Assistance à l’Intégration des Enfants Démobilisés. Quatre ans plus tard et une bonne dose de voyages au compteur, en Sierra Leone, Côte d’Ivoire ou encore République démocratique du Congo, André connaît la situation sur le bout des lèvres. Situation dont il nous fait part…
Afrik : Qui est l’enfant soldat ?
André Lokisso : L’enfant soldat est le meilleur des guerriers. Plus de 300 000 enfants dans le monde sont utilisés pour tuer. Dont 120 000 uniquement sur le continent africain. On les appelle aussi « milices ». Ce sont eux qui font la guerre à la place des adultes. Et ce n’est pas récent. Souvenez-vous de la Seconde guerre mondiale. Hitler enrôlait la « jeunesse hitlérienne ». Il utilisait les enfants comme grenadiers. De même, dans les années 80, lors de la guerre Iran-Irak, on envoyait les enfants en première ligne pour faire sauter les mines. On en a tué comme ça des milliers, âgés de 7 à 17 ans.
Afrik : Comment sont-ils enrôlés ?
André Lokisso : Il y a deux possibilités : le recrutement involontaire et l’enrôlement. Dans le premier cas, des hommes armés sont envoyés dans les villages, ils tuent les familles, pillent les habitations, kidnappent les jeunes. Les enlèvements se font aussi plus facilement à la sortie des écoles. Et puis il y a ce que l’on appelle l’enrôlement. Les enfants se laissent tenter parce qu’on leur promet de l’argent à la place de la misère dans laquelle ils vivent. Ils sont à la recherche d’une identité et trouvent leur place en tant que soldats. Ou bien c’est le désir de vengeance qui les pousse à prendre les armes, parce qu’on a tué leurs parents, leur famille. Enfin, il y a les raisons économiques : la famille n’a pas un sou, elle envoie donc son fils à l’armée. C’est une fierté pour elle.
Afrik : On a toujours recouru à l’enfant soldat pour un certain nombre d’avantages…
André Lokisso : L’enfant coûte bien moins cher qu’un adulte, les rares fois où on le paie. Il mange moins. Il obéit toujours aux ordres, et il est plus manipulable. Et puis, il n’a peur de rien. Il n’a pas d’enfants ni de femme restés au village à l’attendre, il est donc moins enclin à déserter. Sa jeunesse facilite son adaptation à la vie de l’armée qu’il considère comme sa nouvelle famille. Souvent, on envoie ces enfants voler, piller, dans leur propre village. Ainsi, ils sont haïs chez eux et n’auront jamais le désir de fuir l’armée pour rentrer à la maison.
Afrik : Y a-t-il de jeunes soldates ?
André Lokisso : Oui, les filles sont nombreuses. On les force à prendre les armes aux côtés de leurs frères. Elles sont également chargées d’aller chercher de l’eau, de laver les vêtements des chefs militaires, dont elles sont les esclaves sexuelles. Enceintes, elles sont jetées hors du camp, livrées à elles-mêmes. Certaines ont à peine 13 ans. L’enfant soldat est un adulte prématuré. Mais sans avenir car loin des bancs de l’école et sans argent. Ce sont des enfants illettrés, ou qui ont perdu rapidement tout ce qu’on leur a appris. Souvent, ils ont attrapé la malaria ou le sida. Drogués, traumatisés, ils souffrent de malnutrition.
Afrik : Quel est le rôle de votre association ?
André Lokisso : Après avoir désarmé et démobilisé les petits soldats, il faut les réhabiliter et les réinsérer. C’est sur ces deux derniers points que nous travaillons. Une fois que l’enfant a quitté l’armée, s’il n’est pas encadré, il devient un bandit qui ne sait se servir que de son arme. Il reste donc une proie facile pour les armées. Il lui faut un minimum de discipline. Notre association bouillonne d’idées. Mais dans l’attente de financements, nous ne pouvons pas agir pour le moment. Dans nos têtes et sur le papier, tout est prêt. Nous proposons d’encadrer l’enfant démobilisé dans un premier centre, ce qui lui garantira un toit et une formation de base. Remise à niveau, éducation civique (apprentissage du respect d’autrui), activités culturelles, un peu d’histoire et beaucoup de sport pour dépenser son énergie. L’enfant soldat est un enfant actif, qui s’impatiente sur les bancs de l’école. Il lui faut de la pratique. Pour cela nous avons pensé à un second centre. Un centre de formation technique et professionnelle qui lui donnerait les outils de base pour trouver du travail.
Afrik : Comment trouver du travail dans un pays détruit par la guerre ?
André Lokisso : Dans un pays en situation de post-conflit, le marché du travail s’est effondré, le chômage explose, les entreprises ont fermé et il n’y a plus de système bancaire. Le seul domaine où peuvent s’en sortir les jeunes est le milieu rural. Les formations de quelques mois dispensées dans les centres les orienteront vers l’agriculture, l’élevage, l’électricité ou la maçonnerie en milieu rural. Ces enfants doivent se sentir responsables. Il faut qu’ils prennent leur avenir en main. Par groupes de 10 à 15 jeunes, ils formeront des villages où ils vivront ensemble. Leur village deviendra pôle de développement au sein d’une communauté. C’est-à-dire qu’il sera équipé en tracteurs, semences, poste de premiers secours, et en fera bénéficier les villages environnants. C’est ça la finalité de notre projet : l’autosuffisance alimentaire. Les surplus de production seront vendus, et cette activité, devenue génératrice de revenus, leur permettra de s’installer en dur.
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