Un an après les sanglantes manifestations guinéennes qui ont abouti à la nomination d’un nouveau gouvernement de consensus et à des promesses de reformes ô combien nécessaires, certains observateurs pensent que les changements sont désespérément lents à venir alors que plane la menace d’un nouveau soulèvement populaire.
Les conditions de vie de la majorité des Guinéens restent déplorables, les améliorations des services de base, tels que l’eau et l’électricité, sont minimes et les mesures prises dernièrement par le président Lansana Conté, à la tête du pays depuis 24 ans, pour réaffirmer son autorité, risquent de plonger la Guinée une nouvelle fois dans le chaos, selon certains observateurs. L’année dernière, les Guinéens s’étaient soulevés pour exiger la fin du régime de M. Conté.
« L’ancien entourage du président semble être plus actif et pourrait l’inciter à faire quelque chose qui pourrait provoquer le peuple », a confié à IRIN un diplomate occidental en poste à Conakry, la capitale, le 21 janvier.
Les récentes décisions de M. Conté, qui remettent en cause les accords signés à la suite des manifestations de l’année dernière, et notamment le limogeage d’un important ministre du gouvernement considéré comme un partisan des réformes, avaient conduit les centrales syndicales à appeler à la grève générale au début du mois de janvier – grève ensuite reportée au 31 mars, dans l’attente des résultats des pourparlers en cours.
Frustrations
Etant donné la frustration des Guinéens face à l’absence de changement tangible, les diplomates et les organisations humanitaires appréhendaient le premier anniversaire des affrontements entre les manifestants et les forces de sécurité, qui avaient fait au moins 130 morts et des milliers de blessés.
Mais les commémorations ont commencé dans le calme. Le 22 janvier, date anniversaire d’une des plus sanglantes journées de protestation, les Guinéens se sont rassemblés dans les églises et les mosquées pour prier pour les victimes, et les rues de Conakry étaient calmes, selon certaines sources, présentes sur place.
Des représentants du gouvernement, de syndicats et d’associations de jeunes doivent se rencontrer le 23 janvier dans le cadre d’un forum pour débattre des moyens à mettre en œuvre pour faire appliquer les réformes exigées.
« Je pense que le risque d’incidents lié à l’anniversaire a été réduit par le report de la grève », a déclaré le diplomate. « Mais je ne suis pas du tout certain qu’il n’y aura pas d’incident avant le 31 mars ».
Des réformes qui tardent à se mettre en place
S’il est vrai que depuis sa nomination en février 2007 comme Premier ministre de consensus, Lansana Kouyaté a mis en œuvre un certain nombre de réformes – notamment dans les secteurs de l’éducation et des mines -, son action a souvent été contrecarrée par le président Conté, qui s’est progressivement réattribué diverses fonctions dévolues au Premier ministre.
Au cours du forum organisé du 16 au 18 janvier à l’Institut de Gorée à Dakar, au Sénégal, et intitulé « Soutenir le changement par le dialogue », les délégués des syndicats guinéens, d’associations de défense des droits humains et des partis politiques de l’opposition ont affirmé que le gouvernement et le président Conté avaient violé les accords signés après les émeutes de 2007, des accords censés apporter une réponse à quelques-unes des revendications les plus urgentes de la population.
Pour la société civile, le processus de réformes politiques et socioéconomiques régresse, a confié à IRIN Ibrahima Fofana, secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), lors de la rencontre à Gorée.
« On voit que des choses qu’on a combattues en 2006 et 2007 sont en train de revenir petit à petit. Il y a une tentative de remise en cause des accords de 2007, qui pourrait replonger la Guinée dans le chaos ».
Un pays au bord de la crise
Pour Thierno Sow, président de l’Organisation guinéenne des droits de l’Homme (OGDH), la Guinée est au bord de la crise.
« La situation en Guinée est explosive », a-t-il expliqué à IRIN, lors du forum de Gorée. « Si nous ne trouvons pas de solutions à nos problèmes par le dialogue, il est certain que les gens auront recours à la violence pour imposer le changement, parce que ce changement est absolument nécessaire ».
M. Sow s’est dit préoccupé par les dissensions actuelles entre les syndicats, les jeunes et les autres associations, qui se sont battus pour le changement ; selon lui, ces dissenssions risquent d’entraver d’autant plus la mise en place des réformes dont le pays a besoin.
« Tous les Guinéens ont le devoir d’aider la nation à trouver une issue pacifique à la crise, pour éviter que l’on ne bascule dans la violence », a-t-il dit. « C’est une obligation ».
« La Guinée est en crise chronique, en particulier une crise de leadership […] La situation sociale et politique est précaire et la paix est fragile », selon les conclusions du forum de Gorée.
Les revendications
Le prix élevé des denrées alimentaires et le manque d’accès aux services les plus élémentaires tels que l’eau et l’électricité figurent parmi les principales revendications de la population. Si, dans certains quartiers, quelques progrès ont été accomplis en matière d’accès à l’eau et à l’électricité, la Guinée – qui fait partie des pays les pauvres de la planète, malgré ses ressources naturelles abondantes – est loin d’avoir résolu le problème.
« Il est évident qu’il reste beaucoup à faire pour que tous les Guinéens aient accès [à l’eau et à l’électricité] », a affirmé M. Fofana de l’USTG.
Selon Mamadou Lamarana Bah, un jeune homme de 27 ans qui habite Conakry et qui a risqué sa vie pendant les manifestations de janvier 2006, les personnes tuées pendant ces événements exigeaient du régime de M. Conté « de meilleures conditions de vie dans un pays extrêmement riche, mais pris en otage par des prédateurs de tout bord ».
D’autres habitants ont confié à IRIN qu’ils avaient de plus en plus le sentiment que leurs concitoyens étaient morts pour rien.
« Les jeunes qui ont perdu la vie le 22 janvier 2007 sont morts pour nous », a déclaré N’Fansory Camara, un jeune lycéen qui a participé aux manifestations de l’année dernière. « À l’allure où [le président] Conté reprend les commandes du pays, on se demande si nos amis ne sont pas morts pour rien ».
Des Guinéens en colère
Les Guinéens sont également en colère parce que les enquêtes promises sur les exactions commises par les forces de sécurité en 2006 et 2007 n’ont toujours pas démarré. Le Premier ministre, M. Kouyaté, avait nommé les membres de la commission d’enquête en septembre dernier, mais l’enquête n’a pas encore été ouverte.
« Les Guinéens n’oublieront jamais le 22 janvier », a confié à IRIN Karamba Cissoko, un fonctionnaire à la retraire, à Conakry.
« Un an après ces événements tragiques qui ont endeuillé de nombreuses familles guinéennes, le gouvernement de consensus doit donner à la Commission nationale d’enquête tous les moyens nécessaires pour permettre de traduire en justice les auteurs des massacres de civils. Mais il y a de fortes chances qu’elle n’atteigne pas les résultats attendus par tous. Jusqu’à présent, le peuple ne sait pas qui fait quoi dans cette commission ».
Photo: Nancy Palus/IRIN : Agé de 16 ans, le jeune frère de Mamadou Dian Diallo a été abattu l’année dernière au cours des affrontements entre les manifestants et les forces de sécurité