En Éthiopie, les établissements de microfinance enregistrent de remarquables succès depuis leur légalisation il y a douze ans. Mais leur présence reste limitée dans les villes. Pourquoi ? Pour Afrique Renouveau, un reportage de Andualem Sisay.
À 45 kilomètres au Sud d’Addis Abeba, la capitale éthiopienne Aselefech Desalegn prépare l’injera, le pain national. Comme des millions d’Éthiopiennes, elle doit faire des pieds et des mains pour nourrir ses enfants.
Depuis peu, Aselefech gagne sa vie en livrant l’injera dans des hôtels de la ville. « En dehors de la chaise que vous voyez là-bas, tout ce qui est dans ma maison vient de Buusaa Gonofaa » affirme-t-elle. Buusaa Gonofaa c’est le nom de la microfinance qui lui a permis de financer son activité.
Il y a 15 ans qu’Aselefech a quitté ses parents, installés dans une région rurale non loin, pour s’installer à Bishoftu, anciennement nommée Debre Zeit. Avec la réduction de la fréquence des récoltes à une seule fois par an, beaucoup de jeunes Éthiopiens migrent vers les villes et même dans les pays du Moyen-Orient où ils travaillent comme filles ou garçons de ménage.
Lorsqu’elle a reçu son premier prêt de 500 birrs (environ 30 dollars) de Buusaa Gonofaa il y a sept ans, Aselefech a commencé à vendre du charbon et des œufs sur les trottoirs de Bishoftu. « Même si je gagnais davantage que dans mon précédent travail de cuisinière dans un hôtel, je ne pouvais plus supporter la chaleur et la pluie dans la rue. De plus, cette activité m’éloignait de mes enfants ». Trois ans plus tard, la jeune femme a changé d’activité. La préparation de l’injera qu’elle livre dans des hôtels de la ville lui permet de rester proche de ses enfants. Seul inconvénient : la chaleur du feu de bois.
Aselefech fait désormais partie des clients réguliers de Buusaa Gonofaa, ceux qui ont accès à des prêts pouvant atteindre 455 dollars remboursable avec un taux d’intérêt annuel de 18%. Avec les bénéfices qu’elle réalise, elle peut non seulement s’occuper de ses enfants, mais aussi envoyer de l’argent à sa famille restée au village.
Les établissements de microfinance en Éthiopie offrent des prêts fondés sur la responsabilité collective. Chaque membre du groupe est responsable pour tous les autres, puisque, en général, aucun ne dispose de biens pouvant garantir son prêt. De sorte qu’au début, Aselefech a eu du mal à trouver suffisamment de personnes pour former un groupe. Ils sont finalement 12 membres à l’avoir rejoint. Chacun d’eux est une entrepreneuse dans l’âme, mais la plupart exerce dans le commerce de détail.
Buusaa Gonofaa a été créée en 2001 et compte actuellement 50 000 clients à travers le pays. Elle accorde des prêts allant jusqu’à 852 dollars pour les individus qui sont membres d’un groupe. Tous, ou presque, sont des clients pauvres vivant dans des zones rurales. « Nous augmentons le montant du prêt à nos clients en examinant leur passé, » explique Getachew Mekonnin, responsable de Buusaa Gonofaa.
Après les villes, direction les zones rurales ?
Les membres d’un groupe sont censés rembourser l’intégralité de leurs prêts à des taux d’intérêt variant entre 18 et 30% par an. Les clients sont tenus de payer chaque semaine une partie de leur dette.
Les microfinances ont vu le jour dans le pays il y a 12 ans. Il y a deux ans, on en comptait 28, pour un capital cumulé de 375 millions de dollars. Aujourd’hui, on en compte 31. En 2010, ces institutions ont déboursé 108 millions de prêts à 660 000 emprunteurs.
Le potentiel d’expansion est inépuisé, mais de tels établissements possèdent des capacités limitées et craignent de prêter aux ménages pauvres, surtout en zones rurales. « Il est évident que certains établissements de microfinance craignent de se ruraliser, » affirme Baptiste Ast, spécialiste de la microfinance chez PlaNet Finance, une ONG. « De tels groupes nécessitent une formation et le renforcement des capacités ».
Sur la base de son expérience en Afrique et ailleurs, M. Ast pense que les gouvernements et les bailleurs de fonds internationaux peuvent mettre en place une législation plus contraignante pour obliger les établissements de microfinance et les banques à se déployer davantage dans les zones rurales. On peut aussi imaginer que des mesures incitatives telles que des exonérations fiscales puissent permettre d’étendre [le prêt] dans les zones rurales, » insiste-t-il.
« La microfinance en zone rurale est encore très récente et possède un énorme potentiel, étant donné que la majorité des africains vivent encore dans des zones rurales, » déclare M. Ast. « On peut être optimiste en ce qui concerne l’impact que pourraient avoir des produits de prêt ou d’assurance de culture ou du bétail innovants sur la vie des petits agriculteurs, » ce qui permettrait de la protéger contre des catastrophes telles que la sécheresse ou des inondations.
Afrique Renouveau