Le dernier film du Mauritanien Abderrahmane Sissako, Heremakono, a été présenté à Cannes à » Un certain regard « . Le regard du réalisateur est lucide et poétique. L’ailleurs n’est pas toujours synonyme de bonheur. Et l’attente n’est pas forcément stérile.
Un buisson vole dans l’air, un homme enterre une radio dans le sable, des baraques en torchis attendent dans le désert. Pour son sixième film, Abderrahmane Sissako retrouve un thème qui lui est cher, l’exil, et la douce poésie du temps qui passe irrigue son oeuvre. A Nouadhibou, petite ville de la côte mauritanienne, Abdallah retrouve sa mère avant de repartir pour l’Europe. Il ne parle pas la langue de ce lieu de passage, et observe par une petite fenêtre au ras du sol le monde qui l’entoure.
Même si Khatra, un enfant espiègle, lui en apprend quelques mots, il restera un éternel observateur avant de s’en aller. Car dans ce pays battu par le vent et le sable, tous attendent de repartir vers un ailleurs, pas forcément meilleur. Parfois, la mer charrie un corps, symbole de cet exil refusé, tandis que le village recycle peu à peu les objets d’une civilisation moderne (télévision, frigo) qui se refuse à lui. Comme le dit sagement Maata, ancien pêcheur reconverti en électricien, » j’installe la lumière chez les gens, mais en ont-ils vraiment besoin ? « .
Le temps perdu ne l’est jamais
Ce qui importe, c’est davantage la transmission qui continue, envers et malgré tout : une petite fille apprend le chant avec une vieille griotte (Nema Mint Choueikh), Khatra veut devenir électricien comme son mentor. C’est d’ailleurs sur l’image de cet enfant que le cinéaste clôt son film, un enfant qui erre dans le sable après avoir été vidé du train dans lequel il essayait de s’échapper de cette ville perdue… En attendant le bonheur est en partie autobiographique, car le cinéaste a séjourné à Nouadhibou avant de partir pour la Russie, et il a d’ailleurs dédié le film à sa mère. » Ces lieux sont comme des parenthèses, ce sont des lieux provisoires. Au Mali ils portent un nom : » Heremanoko » c’est-à-dire en attendant le bonheur » souligne-t-il » Mais c’est peut-être ça le bonheur, en attendant. »
Le réalisateur : Né en Mauritanie, il a été formé à l’école de cinéma de Moscou : de ce séjour, il a d’ailleurs tiré son premier film, Octobre, tourné en Russie et présenté à Un certain Regard à Cannes en 1993. En 1998, La vie sur terre était présenté à la Quinzaine des réalisateurs.
Le film : Il fait partie d’une collection de six films d’Afrique noire et des Antilles coproduits par l’Unité fiction d’Arte (Pierre Chevalier), » Regards noirs « . Il a été produit par Duo Films, une société montée par Guillaume de Seille et Abdherrahmane Sissako.