
Alors que les projecteurs se braquent souvent sur les conflits armés pour expliquer les ravages humains sur le continent africain, une autre crise silencieuse continue de faucher des vies dans l’indifférence générale : les accidents de la route. En 2021, ils ont causé 259 601 morts sur le continent, soit près d’un quart des décès routiers dans le monde, alors même que l’Afrique ne compte que 4 % du parc automobile mondial.
Selon le Africa Status Report on Road Safety 2025, publié par le SSATP en collaboration avec l’Union africaine et l’OMS, le taux moyen de mortalité routière en Afrique s’élève à 19,6 pour 100 000 habitants — le plus élevé au monde. À titre de comparaison, le nombre de décès directement liés aux conflits armés en Afrique est estimé, selon diverses sources (notamment ACLED et UCDP), à environ 50 000 personnes par an ces dernières années. Avec 259 000 victimes d’accidents, cela signifie que les routes africaines tuent cinq fois plus que les armes.
Cette hécatombe touche surtout les hommes (75 % des victimes), principalement âgés de 18 à 59 ans. Les usagers les plus vulnérables — piétons, conducteurs de deux-roues, cyclistes — représentent plus de la moitié des morts. Les piétons à eux seuls comptent pour 31 % des décès.
Un fardeau sous-estimé et sous-déclaré
La tragédie est aggravée par l’ampleur du sous-reporting. En 2021, seuls 82 865 décès ont été officiellement recensés, alors que les estimations de l’OMS en dénombrent plus de trois fois plus. Cela s’explique par des systèmes de données encore défaillants, souvent dépendants des seuls rapports de police. Seuls 21 pays utilisent leurs registres civils pour enregistrer les morts sur la route, et dans la majorité des cas, les données sont incomplètes, voire inexistantes.
Des routes inadaptées, des comportements à risque
Les infrastructures africaines sont souvent conçues sans prendre en compte les usagers vulnérables. Seules neuf nations imposent des audits de sécurité routière. Par ailleurs, les comportements à risque — vitesse excessive, conduite en état d’ivresse, non-port de la ceinture ou du casque — sont rarement sanctionnés efficacement. Aucune législation nationale n’atteint les standards recommandés par l’OMS.
L’Union africaine a adopté un Plan d’action pour la sécurité routière 2021–2030, avec pour objectif de réduire de moitié les décès sur les routes d’ici 2030. Mais sur 49 pays dotés d’une agence nationale pour la sécurité routière, seuls 29 lui allouent un budget, souvent dérisoire. Les financements, lorsqu’ils existent, proviennent en majorité de taxes ou de dons internationaux, rarement de priorités gouvernementales.
« Créer des routes plus sûres, c’est sauver des vies. C’est aussi libérer le potentiel économique et humain du continent« , rappellent les auteurs du rapport publié par le SSATP, le groupe de la Banque mondiale et l’OMS.