« En Afrique les faussaires auraient été condamnés à la perpétuité. »


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La 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris a requis des peines de 6 mois à 2 ans et demi de prison ferme pour « transport et mise en circulation » de fausse monnaie pour 6 personnes impliquées dans un trafic de faux billets CFA estimé à 75 millions d’euros. La Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest dénonce le manque de sévérité des sanctions demandées et demande à ce que l’affaire soit jugée au pénale, comme c’est le cas en Belgique. Le jugement a été mis en délibéré au 21 juin.

Par Smahane Bouyahia

Le tribunal correctionnel de Paris a demandé des peines de 6 mois à 2 ans et demi de prison ferme pour 6 personnes impliquées dans un vaste trafic de faux billets de francs CFA estimé à 50 milliards de francs CFA (75 millions d’euros). Accusés de « transport et mise en circulation » de coupures falsifiés, les inculpés bénéficient, pour la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO)[[<*>La zone CFA concerne huit pays: le Sénégal, le Mali, le Niger, le Bénin, le Togo, le Burkina Faso, la Guinée Bissau et la Côte d’Ivoire]], d’une trop grande clémence des juges. Elle souhaite que l’affaire soit plutôt jugée dans un tribunal pénal.

Un trafic démantelé

L’histoire commence en 2002 au Sénégal. Des immigrés, de bonne foi, installés à Paris avaient échangés leurs euros contre des francs CFA à une jeune Ivoirienne, Marie-Chantal Diallo. Installées dans le foyer Sonacotra du 14e arrondissement, les victimes ne suspectaient pas qu’il s’agissait de faux billets. La jeune femme se fournissait auprès de Salomon Emmanuel, un Béninois basé à Bruxelles. Ce dernier se procurait les fausses coupures auprès d’un certain Ahmet Ozturk, un Turc vivant en Belgique. L’histoire est à peu près similaire dans le foyer du 12e arrondissement de Paris. C’est Silamakan Traoré, un Malien père de sept enfants, qui a proposé aux cibles d’échanger leurs économies. L’homme se pose pourtant en victime. Il ne savait pas qu’il s’agissait de contrefaçons. Il se fournissait auprès de Abdou Aziz Ndiaye, un Sénégalais. Cinq personnes seront inculpées à Paris.

A Nancy, une autre branche se développe à la même période. Christian Pérouze, un entrepreneur français se trouvait en possession de fausses coupures de 10 000 francs CFA. Emprisonné à Dakar, il livre le nom de son fournisseur, le Congolais Atiakatémo Lombo, lui-même fourni par Aspasia Andrew Madiata, un Camerounais qui se procurait, lui aussi, les faux auprès d’Ahmed Ozturk. Au total, huit personnes sont arrêtées dans ce trafic qui aura berné quelque 23 personnes.

« Le papier utilisé (pour les billets, ndlr) est très spécial. Il a été fait et stocké hors de l’Afrique. L’avocat de la défense a dit que le papier avait été appréhendé en Afrique, ce qui est inexact. Je suis formel et l’instruction aussi puisqu’elle a révélé qu’il avait été créé dans un pays européen. L’Afrique est rigoureusement hors de cause », explique Me Seyni Loum, avocat-conseil de la BCEAO. Les faux billets, de très bonne qualité, auraient en effet été fabriqués, selon les experts de la Banque de France, en Slovénie grâce à de faux bons de commande de la BCEAO.

Une fraude considérable

C’est en 2002 que les banques de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) signalent la circulation de faux billets de 10 000 francs CFA. Selon les autorités françaises, le préjudice s’élèverait à 50 milliards de CFA. Me Seyni Loum, souligne que « l’infraction a été constatée en Afrique et plus précisément au Sénégal. La BCEAO est su prendre des mesures avec célérité et efficacité. Il a fallu retirer de la circulation tous les billets de 10 000 fabriqués sur le modèle de 1992 et créer d’autres coupures. La BCEAO a dû s’exécuter en un temps records : trois mois. Depuis le 1er janvier 2005, plus aucun billet de 10 000 francs CFA du modèle 1992 ne circule. Tout cela a généré des frais considérables».

« La BCEAO demande réparation aux faussaires. Une somme de 2,8 milliards de francs CFA pour répondre non seulement aux frais engagés pour le changement des anciens billets, mais aussi pour les dépenses effectuées au cours de l’affaire. Nous avions également demandé 1 euro symbolique pour répondre au préjudice moral porté aux banques. Vu que nous avons une autre procédure en cours en Belgique, nous demanderons aux juridictions belges de donner un supplément », rapporte Me Loum. Concernant les réparations pour les civils, les indemnités sont moins sûres. « Certes, nous avons étendu nos compétences jusqu’aux victimes dépouillées, car les immigrés ont perdu des sommes importantes. Mais l’issue n’est pas sûre. Ils attendent une décision judiciaire qui leur permettra de poursuivre ».

Pour des sanctions exemplaires

Six mois de prison ferme pour Marie-Chantal Diallo, un an pour Amadou Bello, un an et demi pour Abdou Aziz Ndiaye, dix mois pour Atiyakatémo Lombo, deux ans et demi pour Salomon Emmanuel et 18 mois pour Assia Andrew Madiata. Aucune sanction demandée pour le moment pour Silamakan Traoré. Les peines requises en France sont pour la BCEAO trop légères. « L’infraction a été constatée en Afrique, mais les victimes se trouvent malheureusement à Paris, ce qui explique le lieu de rattachement du procès », rapporte l’avocat de la BCEAO. « Nous avons demandé à ce qu’il y ait un transfert de compétence entre le Tribunal correctionnel et le Tribunal pénal. Nous jugeons le tribunal correctionnel incompétent en la matière. La France ne juge que le délit de transport et la circulation de faux billets. Or les circonstances constatées lors de l’interrogatoire et la réquisition du procureur sont aggravantes. Les peines devaient être plus lourdes. En Belgique (où Ahmed Ozturk sera jugé, ndlr) le dossier a directement été saisi par le tribunal pénal. Le 23 juin, la chambre correctionnelle rendra son jugement définitif et nous aviserons, mais il est sûr qu’en Afrique, les faussaires auraient été condamnés à la perpétuité. » La BCEAO fera sans doute appel à la décision française, ne serait ce pour montrer qu’on ne peut pas jouer impunément avec la devise sous-régionale sans en payer le prix.

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