Blouse blanche, lunettes vissées sur le nez, Emily Santos, nous accueille dans son bureau. Dans cette petite pièce aux murs blancs, trône au dessus d’une étagère en bois, le portrait d’Almicar Cabral. Un hommage rendu au leader charismatique qui lutta pour l’indépendance du Cap-Vert en 1975.
(De notre correspondant)
L’année de l’indépendance, c’est aussi l’année charnière qui marqua le début du centre de santé maternelle-infantile de Bela Vista, l’un des premiers du genre. Depuis 35 ans, l’établissement promulgue des soins aux mamans et aux nourrissons et tente de combattre la malnutrition. Un centre de santé qui fonctionne très bien, selon Emily Santos, la directrice du centre qui se rappelle de la situation nutritionnelle catastrophique au Cap-Vert et des progrès réalisés par son pays depuis l’indépendance.
Afrik.com : Depuis quand ce centre de santé existe-t-il ?
Emily Santos : Le centre de santé maternelle-infantile a vu le jour il y a 35 ans, suite au projet d’une ONG baptisée Save the children qui agissait avec l’appui du gouvernement suédois. Ce projet consistait à mettre en place des services de protection maternelle-infantile. Il a commencé ici et s’est étendu à tous les centres de santé du pays. Après l’indépendance du Cap-Vert en 1975, on n’avait rien, les gens disaient à cette époque qu’on se trouvait dans « un désert sanitaire ». On a donc commencé de zéro et le succès a vu le jour grâce à ce projet. Au début c’était un projet vertical, par la suite, dans les années 90, le gouvernement cap-verdien a pris le relais. Maintenant, ce projet est devenu un programme de l’Etat avec l’appui des organismes internationaux comme le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Afrik.com : Quel est l’objectif de ce programme ?
Emily Santos : L’objectif de ce projet est de faire changer les habitudes nutritionnelles et d’enseigner aux mamans comment elles doivent se nourrir et comment elles doivent alimenter leurs enfants. On fait aussi des examens prénataux et on donne des compléments (acide folique, fer, etc.) aux mamans qui en ont besoin. Quand on a commencé ce projet, la situation nutritionnelle dans le pays était catastrophique surtout chez les femmes et les enfants. Il a fallu porter une attention particulière aux mamans et faire beaucoup d’efforts pour changer les habitudes.
Afrik.com : Quelles étaient ces habitudes alimentaires ?
Emily Santos : Avant, il y avait des superstitions, autour de certains aliments mais ce n’est plus tellement le cas aujourd’hui. Les gens ont vraiment changé leur comportement. Dans certains milieux, on entend encore quelques personnes qui disent que l’on ne doit pas manger tel ou tel légume, viande, poisson. Je me souviens qu’on a eu beaucoup de problèmes avec l’usage des tisanes au romarin qui n’étaient vraiment pas bonnes pour les enfants et les mamans. Ces tisanes étaient censées donner plus de lait aux mamans après leur accouchement et elles étaient administrées à l’enfant après la naissance.
Afrik.com : Selon vous, les mentalités ont-elles évolué ?
Emily Santos : Les tisanes s’inscrivent dans une tradition très forte. Maintenant, ça a baissé mais on ne peut pas dire encore que c’est nul. Les mamans arrivent dans le centre de santé et nous disent que leur grand-mère ou leur mère ont donné des tisanes à leurs enfants. La plupart du temps, ces mamans sont très jeunes et n’ont pas la force de s’imposer face à leur famille. Cela a de graves conséquences pour le bébé.
Afrik.com : Qu’est ce que les femmes donnent aujourd’hui à leurs enfants ? Pratiquent-elles l’allaitement exclusif ?
Emily Santos : La maman peut me dire qu’elle allaite son enfant et puis en discutant avec elle, je m’aperçois qu’elle lui donne quelques gouttes d’eau. Néanmoins, même s’il y a toujours quelques exceptions, on peut dire que la femme cap-verdienne allaite son enfant mais l’allaitement exclusif, c’est notre bataille. Avant, les femmes ne donnaient pas le colostrum (premier lait maternel, ndlr), considéré comme sale, du fait de sa couleur jaunâtre, et pauvre en protéines et sels minéraux. Les mamans remplaçaient ce premier lait par des sucettes de sucre qui étaient très mauvaises pour le bébé. Elles prenaient de la gaze, y mettaient du sucre et donnaient ça au nourrisson pour le calmer pendant les trois jours. Pour lutter contre ce comportement, tous les enfants, nés dans la maternités, sont mis au sein. Du coup, ce problème est un petit peu dépassé dans les milieux où l’accès à l’accouchement institutionnel est courant. Je pense que dans les milieux ruraux c’est plus difficile mais on a fait beaucoup de campagne de prévention et de sensibilisation à la radio. Le message que l’on passe est que le colostrum est comme un vaccin. C’est ce lait qui protège l’enfant.
Afrik.com : Est ce que les campagnes de sensibilisation ont eu un réel impact sur la population cap-verdienne ?
Emily Santos : On remarque avec plaisir que les gens ont changé leurs habitudes nutritionnelles. On constate que les Cap-verdiens s’occupent de l’alimentation de leurs enfants. Avec l’initiative de l’allaitement exclusive, on a remarqué que les maladies diarrhéiques ont baissé significativement. Les femmes ont compris que l’allaitement était mieux pour leurs enfants et ne coûtait pas cher. Les habitudes d’hygiène ont également changé grâce à la sensibilisation mais aussi aux cantines scolaires. L’Unicef nous a énormément aidé dans ce sens. Les cantines scolaires ont eu un rôle très important car c’est dans ce cadre que les élèves ont appris la valeur et le rôle des aliments. Désormais, les enfants arrivent à la maison et demandent à leurs parents de leur préparer tel ou tel aliment.
Afrik.com : Si la situation nutritionnelle a changé au Cap-Vert, le taux d’anémie dans le pays reste encore assez élevé (52,4% des enfants de moins de cinq ans sont touchés par cette forme de malnutrition). Comment l’expliquez-vous ?
Emily Santos : Les mamans disent qu’elles veulent donner de la soupe, des fruits et des yaourts à leurs enfants mais que les conditions économiques ne leur permettent pas d’acheter ce genre de produits. Il faudrait que ces aliments soient moins chers. Notre production est très basse, 80% de nos produits sont importés à un prix qui n’est pas abordable pour tout le monde. Et puis, parfois, l’argent est dirigé vers d’autres choses que la nourriture. Les mamans n’ont pas forcément envie de préparer un repas avec tous les aliments qu’elles connaissent. Quand on fait des visites dans des quartiers, on trouve beaucoup de femmes qui bavardent entre elles et qui, à l’heure du repas, distribuent de l’argent aux enfants pour qu’ils aillent s’acheter de la nourriture au lieu de leur préparer à manger. Les Cap-verdiens savent comment s’alimenter mais ils font ce qu’ils peuvent.
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