Ouagadougou a été vendredi le théâtre de violences urbaines suite à l’application zélée d’une circulaire d’avril 2005 sur le port du casque obligatoire pour les utilisateurs de vélomoteurs. Entre saisies des deux roues avec obligation de présenter un casque pour les récupérer et ruptures de stock chez les marchants, une partie des jeunes usagers ont réagi par la violence. S’en prenant autant aux forces de l’ordre qu’à ceux qui roulaient avec leur désormais indispensable couvre-chef blindé.
Jamais une opération de la police n’a été autant contestée par les usagers de la circulation que celle qui a eu lieu le 1er septembre 2006. Le contrôle sur ce port du casque a fait certes le bonheur de ceux qui le vendent. Mais le revers de la médaille, ce sont les mouvements d’humeur de la population, qui se sont manifestés par la destruction de biens et des échauffourées avec la police. Mamoudou est agent de liaison dans une entreprise au centre-ville. Comme à ses habitudes, il s’est levé tôt le matin pour s’y rendre afin d’éviter les embouteillages. En plus, il faut bien récupérer les journaux du boss avant son arrivée au bureau.
Malheureusement, Mamoudou, qui abhorre les longs bouchons, rencontrera une plus grosse allergie devant lui, à côté de l’Hôpital pédiatrique. En effet, une escouade de policiers « lève-tôt », comme lui, l’ont arrêté à l’intersection de l’avenue Charles-de-Gaulle et du Boulevard Circulaire. Ils ont récupéré sa monture et lui ont intimé l’ordre d’aller chercher un casque avant de venir récupérer son moyen de déplacement. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’au même moment, beaucoup d’autres usagers étaient en train de vivre la même mésaventure que lui.
La révolte du casque
Et dans la ville, comme dans une cocotte minute, la révolte était en train d’enfler et a finalement pris une tournure violente. Ailleurs, on a connu les émeutes du pain, ici on vient de vivre la révolte du casque. Ce vendredi 1er septembre donc, des agents de la Police municipale, en collaboration avec ceux de la Police nationale, se sont déployés sur toute la ville de Ouagadougou, afin de vérifier que tous les utilisateurs de cyclomoteurs portaient bien un casque de protection, comme l’impose le décret du 4 avril 2005 paru à cet effet. Pendant une heure, les flics ont procédé à l’interpellation de nombreuses personnes en infraction, dont les motos ont été saisies. Les plus chanceux d’entre eux, qui ramenaient un casque, même emprunté, quelque temps après, pouvaient repartir avec leur moto tant qu’elle restait sur les lieux. Mais, une fois les mobylettes embarquées et amenées à la fourrière, il fallait payer une amende de 3 000 Fcfa (5 euros) en sus (…)
Quelques instants après, tous les alentours de Rood Woko sont pris d’assaut. Le cours du cabasset est subitement monté à la bourse de Ouaga et ces gamelles s’achetaient comme des petits pains. Des achats qui se faisaient avec une grande amertume au cœur. C’est le cas d’Adama Ouédraogo, résidant au secteur 9. Quand il achetait sa moto, cette garniture n’était pas intégrée à la vente. Et la décision de réprimer le surprend d’autant plus qu’il y a, selon lui, d’autres priorités. « Il y a la hausse de l’essence, de l’électricité et nous sommes à la veille d’une rentrée scolaire ». Parfait Ki, lui, possède l’accessoire, mais il l’a laissé à son lieu de travail. Et voici qu’il est tombé entre les mains des flics. Pour pouvoir reprendre sa moto, il lui a fallu aller le chercher dare- dare. Après quoi, il fait le tour des échoppes aux alentours du marché Rood Woko à la recherche d’un casque pour sa collègue de service.
« Nous les avons votés, voilà ce qu’ils nous font »
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les petits revendeurs et autres gros revendeurs du désormais précieux outil, eux, se frottaient les mains. Les prix ont pratiquement doublé. Pire, les stocks disponibles commencent à manquer. Propos d’un petit commerçant, Abdoul Rasmané Simporé : « C’est bien, mais c’est pas arrivé » (1). « Jusqu’à hier (Ndlr : le jeudi donc), les gens venaient surtout pour se renseigner sur les prix, qui tournaient autour de 4 000 FCFA. Aujourd’hui, les prix ont doublé ».
Ce petit commerçant devrait pourtant être content, lui qui a déjà vendu une soixantaine de casques avant midi. Et pourtant : « Je suis vendeur de casques, mais cette mesure me déplaît. Si une autre marchandise s’achetait autant, cela me ferait énormément plaisir. Quand je me rends compte que ceux qui achètent sont mes propres parents, ça me fend le cœur ». Mais, ces états d’âme, les gérants de la boutique chinoise en face de l’ex-ciné Burkina ne devaient pas l’avoir. Les prix sont plus bas dans ce magasin, comparativement à ceux d’autres commerçants. Entre sept heures et onze heures, une foule immense s’y est attroupée te c’était la bousculade pour avoir le fameux objet.
Rupture de stock
Il y avait de la tension dans l’air et l’ambiance confinait à l’émeute. Les visages étaient tendus. Propos d’une dame qui a requis l’anonymat. « Je suis là depuis 6 heures. J’ai eu mon casque, mais il m’en faut 5 autres pour mes enfants ». A l’écouter, ce n’est pas le prix qui pose problème, mais le fait de devoir jouer des biceps pour en avoir. L’air révoltée, elle a tiré à boulets rouges sur nos autorités, les traitant d’ingrats. « Ils nous ont flattés, nous les avons votés et en retour, voilà ce qu’ils nous font », a-t-elle conclu, résignée.
Adama Compaoré venu pour les mêmes raisons ne dit pas autre chose, avec son langage imagé : « Nous les avons choisis et ils veulent nous enfermer dans une boîte ». Pour ce dernier, la sensibilisation devrait être la première étape.
Et d’ajouter que l’Etat ne devrait pas forcer les gens à porter cet armet des temps modernes. D’ailleurs, a-t-il ajouté, en cas d’accident, c’est la victime qui paye la totalité de ses frais d’ordonnance, ce n’est pas l’Etat. Toujours est-il qu’à la boutique chinoise, l’imposant stock de casques dont l’unité coûtait 3 000 FCFA s’est envolé avant midi. La caissière (une chinoise) visiblement ravie mais excédée par la présence de journalistes a consenti à ouvrir la bouche pour promettre la prochaine arrivée… dans deux mois.
Milices « anticasques »
On aurait pu en rester là, mais pendant ce temps de bousculade pour acheter le casque, le degré de mécontentement au sein des usagers allait grandissant. Jamais, une action de la police n’a été autant contestée. Cette opération a mis en ébullition la ville et la tension était perceptible. Aux environs de 9 h, des attroupements se sont formés sur la route de Ouaga 2000. Au rond-point de la Patte-d’Oie, des barrages de pierres ont été vite érigés, des pneus incendiés et des plantes ornementales, fraîchement plantées sur le milieu des deux voies, sont prestement arrachées sur au moins un kilomètre.
Ce sombre tableau est l’œuvre de jeunes gens qui protestaient contre l’obligation de porter le bassinet. Avant que la foule soit aussitôt dispersée à coups de matraque et de gaz lacrymogènes par la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) appelée en renfort, à travers la ville, des milices « anticasques » sont formées. Leurs membres voient rouges quand ils aperçoivent un porteur de ce gadget.
Un de nos collègues en a d’ailleurs fait les frais. Si vers Ouaga-Est, on demandait au porteur de s’en débarrasser, ailleurs on était plus radical. Comme à Tampouy, où on vous le récupérait et on vous le brisait devant vous. Comme on le sait en pareilles circonstances, les bus sont rarement épargnés. Aux environs de Ouagarinter, le car immatriculé 11 JJ 5530 de la « Ligne 2 » de la SOTRACO, qui revenait du SIAO, a été pris à parti avec des jets de pierre qui ont vite brisé les vitres. Les passagers n’ont dû leur salut qu’à la vigilance de Rasmané Bonkoungou, le chauffeur, qui a tout de suite ouvert les issues afin de permettre aux passagers de prendre la clef des champs. Ce conducteur a aussi laissé entendre que les manifestants ont tenté d’incendier le véhicule en mettant le feu à une de ses roues. Les pompiers, arrivés sur place, ont vite maîtrisé l’incendie, évitant ainsi qu’il soit entièrement carbonisé.
Les hommes en tenue exemptés du port du casque
Côté intervention, la Police semble avoir également commis des bavures. A écouter certains interlocuteurs, elle s’en est parfois prise à des innocents. C’est le cas de ce ferrailleur, Aboubacar Nikièma, au quartier Paglayiri. Il était dans son atelier quand des CRS sont arrivés et s’en sont pris à lui et à ses employés à coups de matraque. Un de ses employés, Boureima Tiemtoré, a même été emmené au poste, alors qu’il était convalescent. « C’est normal que la police poursuive et arrête les vandales », a dit Aboubacar. Il est contre la destruction de la chose publique comme tout bon citoyen, car « c’est à nous-même qu’on fait du mal », a-t-il renchéri. Cependant, il ne comprend par que les forces de l’ordre s’en prennent à des honnêtes citoyens qui essaient de gagner leur vie.
Pour lui, il y a eu trop d’excès dans la répression : « sinon pourquoi sont-ils entrés jusqu’à l’intérieur de l’atelier ? ». Et la chose qui a révolté plus d’un pendant cette opération sur le port du casque, c’est que les policiers ont fermé les yeux sur tous les usagers en tenue militaire ce jour-là. Il suffisait, pour ces hommes de tenue, de présenter soit leur carte professionnelle soit d’avoir leur béret vissé sur la tête pour continuer leur chemin, au grand dam des civils interpellés. « Comme s’il suffisait de porter le képi ou le béret pour avoir une tête blindée », a fait remarquer, outré, un usager de la circulation.
Issa K. Barry Avec la collaboration de : Didier Ouédraogo Adama W. Ouédraogo Alassane Kéré.