« Indigo » : c’est le nom du nouvel album du rappeur togolais Elom 20ce qui vient de sortir ce vendredi 11 décembre 2015. Disponible dans toutes les FNAC de France et également en vente dans la sous-région, le cd est dédié à tous les anonymes, aux parias et aux petites gens qui font battre le cœur de l’artiste. Depuis dix ans qu’Elom 20ce rappe, ce fervent panafricaniste ne cesse d’évoquer la solidarité, la richesse de son continent, les injustices de ce monde et la complémentarité entre les genres et les peuples. Après son premier album « Analgezik », sorti en 2012, cet artiste indépendant défend ce premier opus sur les scènes d’Accra, de Lomé mais aussi de Paris, Berlin ou de Lisbonne. Pour Elom 20ce, il est vital de travailler avec les meilleurs pour sublimer son art. Cela tombe bien, les belles rencontres sont l’un des atouts majeurs de ce nouvel album.
Afrik.com : Apres « Analgezik » vous nommez votre second album « Indigo ». Pouvez-vous nous en dire plus sur ce choix et sur la pochette de l’album, qui, sauf erreur, représente une femme inconnue du grand public bien qu’elle est un faux air d’Angela Davis…
Elom 20ce : Ce titre est un clin d’œil à un classique du jazz « Mood Indigo » écrit par les génies Duke Ellington et Barney Bigard. Comme quoi après Analgezik qui était censé arrêter la douleur, cette dernière persiste encore. C’est un album que je dédie donc à tous les anonymes, ces petits gens qui font battre le cœur de l’univers. Je pense à nos mères, aux vendeuses d’haricots, de foufou, les cireurs de pompes, les maçons, tous ces gens qu’on ne considère pas. Indigo fait références aux indigents : les pauvres, les laissés pour compte, les parias. Indigo, c’est un album inspiré par tous ces gens qui subissent le « code de l’indigénat » sous sa forme moderne… Ces damnés de la terre dont parle Fanon. En ce qui concerne la pochette, il s’agit d’une photo de ma mère dans sa jeunesse, et à qui je voulais faire un clin d’œil.
Oxmo Puccino, qu’on ne présente plus dans le milieu rap, et Pépé Oléika, chanteuse montante de la scène ouest-africaine, vous accompagnent sur le morceau « J’ne pleure pas ce sont les Oignons » et la chanson « Aveugles, Bavards & Sourds » avec Amewu, rappeur allemand très talentueux, et Blitz the Ambassador… Beaucoup se battraient pour avoir de telles pointures sur leur album. Quel est au juste votre secret ?
Je n’ai pas de secret. Je pense qu’il faut plutôt poser la question aux invités. Je pense néanmoins que cela est dû à beaucoup de travail de mon côté et beaucoup à ma bonne étoile aussi, car c’est vrai que lorsque j’étais plus jeune, j’écoutais les casettes audio des morceaux d’Oxmo Puccino en boucles avec mes frères. C’est sur que c’est un rêve qui se réalise.
« Les Cercueils sont individuels » et « Dead man walking », Un peu morbides comme titres non ? Quelles idées avez-vous voulu traduire par là ?
« On ne partage pas un cercueil» … cette phrase du rappeur Lex aka Allassane dans le titre « Peine de mort » sur le projet « Braquage à l’Africaine » du Collectif hexagonal R.A.O Staff m’a inspiré le titre « Les cercueils sont individuels ». Il illustre le fait que personne mieux que toi ne peut ressentir ta peine, ta souffrance ou ton désarroi, même s’ils peuvent compatir et imaginer ce que cela fait. Quant à « Dead man walking » cela fait référence au danger et menaces auxquels ceux qui ne veulent pas toujours rentrer dans les rangs sont souvent exposés. Regardez ce qu’ils ont fait à Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Felix Moumié et les autres. Etre panafricain, c’est marcher la vie dans la paume de sa main : d’où le titre « Dead man walking ».
Pourtant l’Afrique est en pleine croissance économique. Le Nigéria, pays tout proche de votre pays le Togo le démontre puisqu’il est la première puissance économique du continent et que l’Afrique est décrite comme la future puissance mondiale.Tout reste alors possible pour votre continent, non ?
Oui, d’où mon morceau « Africa is the présent » que je partage avec LK. « Africa is the future » est encore un slogan, une marque de vêtement aussi, lancée il y a quelques années. C’est vrai que l’Afrique est l’avenir et a beaucoup d’atouts mais si, et seulement si on comprend qu’elle est avant tout le présent. Cela signifie qu’il faut se bouger et faire les bonnes actions aujourd’hui afin que l’Afrique soit un paradis demain. Pour moi, il est important de se baser sur les travaux de nos aînés pour aller vers l’unité africaine.
Autre morceau partagé, « Fourmis ». Avec les rappeurs hexagonaux Sitou Koudadjé & Zalem, vous évoquez à ces petits insectes connus pour leur capacité à se faufiler partout afin d’atteindre leur objectif. Pourquoi cette référence ?
Avez-vous déjà entendu une fourmi ? (sourire) Ces insectes travaillent durs sans faire aucun bruit, en toute discrétion. Elle ne se lamente pas, ne crie pas, elle travaille. Ce titre est donc une ode à la solidarité, à la complémentarité entre les genres et les peuples, une ode à l’excellence et à l’humilité. La musique que nous faisons, le rap en l’occurrence, n’est pas très respecté dans le milieu musical et les africains sont stigmatisés dans le monde car nous sommes considérés comme des petits. Moi je suis rappeur et africain mais je considère que même si nous sommes plus petits mais nous abattons souvent bien plus de travail que ceux que le monde considère comme des Lions…
Tous vos textes sont précisément emprunts d’engagement, vous n’êtes pas tendre avec le système capitaliste. Que reprochez-vous concrètement au monde de la finance ? Et avez-vous une alternative à proposer à ce qui se fait actuellement ?
Ce n’est pas en piétinant les autres qu’on se grandi. Ceci est d’ailleurs contraire aux valeurs de l’Afrique. Le principe Ubuntu, par exemple, « c’est l’expression de ce vouloir vivre, non pas les uns avec les autres, mais les uns par les autres », citant le professeur Joseph Ki-Zerbo. Lors de l’initiation du jeune Mandigue, on lui pose la question : « Qui es tu ? ». Sa réponse : « Je ne suis riens sans toi, je ne suis rien sans eux. Quand je suis arrivé, j’étais dans leurs mains; ils étaient là pour m’accueillir. Quand je repartirai, je serai encore dans leurs mains; ils seront là pour me reconduire ». Voilà le genre de valeur à prendre en compte dans les formes d’alternatives à repenser. Certains parleront de communisme, socialisme, etc. Je pense qu’il est important que le respect de l’Humain et le sens du partage dominent dans l’alternative à proposer.
Justement, en parlant d’humain… au Togo comme au Bénin, où vous avez vécu, le « Vodoo Sakpata » dont vous parlez dans l’un de vos morceaux, est le Dieu de la terre, un Dieu très redouté par les populations de la sous-région car perçu comme très méchant dans la religion Vodoo…
Il ne s’agit pas de faire peur aux gens. Là où les gens voient obligatoirement la religion, je vois la culture. La terre est une entité vivante. Rien que si on prend la chose au premier degré, c’est d’elle que sort notre nourriture et l’eau qui nous abreuve. C’est dans son ventre qu’on enterre le cordon ombilical en Afrique et nos morts. Les scientifiques ont prouvé qu’elle tourne sur elle-même et autour du soleil. Le titre, Vodoo Sakpata, A l’heure de la COP21, l’heure est aussi à la mise en garde : la terre part à la dérive par notre faute. Je veux parler de pollution, de dérèglement climatique mais aussi de racisme, de guerre, etc. L’appât démesuré du gain, au détriment de la valeur de ce qu’est l’humain. Je crains qu’elle ne se fâche et qu’un déluge ou autre calamité ne s’abattent sur nous. Le sage africain dit que « tout ce que tu avales, tu devras le ressortir un jour ».
A l’occasion de la sortie de votre nouvel album, vous organisez une exposition de photographies qui seront tous ponctuées de proverbes africains, comme celui que vous venez de citer, avec le photographe Juvencio Ayivi du 10 au 23 décembre 2015, au Mix Bar de Lomé. Vous aimez toucher à tous les univers ?
Je suis naturellement curieux et les rencontres m’amènent souvent à découvrir de nouveaux univers intéressants qui parlent à ma musique. J’ai rencontré Juvencio il y a de cela plusieurs années et c’est un homme de talent. On a commencé par prendre quelques photographies pour le fun et le projet a vu le jour tout doucement. L’oralité et les proverbes sont incontournables en Afrique, tandis que le pouvoir de l’image l’est tout autant dans le domaine de l’art. Allier les deux pour partager les émotions que véhicule l’album nous a semblé naturels.
En fin d’album, vous proposez un entretien inattendu nommé « Don’t Agonize, Organize» avec l’historien et écrivain Amzat Boukari-Yabara. Encore une belle rencontre de votre parcours d’artiste que vous avez tenue à partager avec nous ?
Oui, cette interview innovante a été faite pour donner la parole à un homme brillant qui a beaucoup de savoir à partager. Les historiens sont pour moi des griots, des Masters of Ceremony (Mc). Ce dernier track qui referme l’album est un lexique en quelque sorte car il y a des explications détaillées de bon nombre de références que je cite dans mes chansons. C’est aussi un rappel pour dire que même si nous lamentons souvent, le plus important c’est de s’organiser en osant inventer l’avenir, comme le disait Thomas Sankara : « Don’t agonize, Organize ! »