Sur 14 candidats, elle est l’unique candidate aux présidentielles anticipées du 3 décembre prochain à Madagascar. Elia Ravelomanantsoa, 46 ans, est la première femme malgache à s’engager véritablement dans la course à la magistrature suprême de son pays. Entrepreneuse aux nombreux succès, elle a décidé d’aider ses concitoyens à impulser une nouvelle dynamique dans leur pays. De passage à Paris, elle a répondu aux questions d’Afrik.
Orpheline à 10 ans, Elia Ravelomanantsoa affirme que ce sont les nombreuses difficultés de la vie qu’elle a dû affronter qui ont fait d’elle la candidate aux présidentielles de 46 ans qu’elle est aujourd’hui à Madagascar. C’est inédit dans la vie politique malgache, mais pour cette mère de six enfants et grand-mère de quatre petits-enfants, ce nouveau défi est une façon bien utile d’achever un « cycle ». « C’est drôle, dit-elle, ma famille a toujours, semble-t-il, senti qu’il en serait ainsi. Tout le monde le savait, sauf moi ». Chef d’entreprise à l’aube de ses 20 ans, elle a renoncé à la direction de Synergy-FCB, la société spécialisée dans la communication et l’évènementiel qu’elle a créée en 1986. Tout comme à la présidence de l’Association des femmes entrepreneurs de Madagascar, qu’elle dirigeait depuis trois ans et demi. Objectif : éviter tout conflit d’intérêt et se consacrer à sa campagne.
Elia Ravelomanantsoa, à qui l’on doit le salon E-bit spécialisé dans les nouvelles technologies, considère comme un devoir de tenter l’aventure politique. S’occuper des « affaires de la cité » relèverait-il aussi du devoir de la chrétienne évangélique qu’elle est et qui affiche haut et fort ses convictions religieuses ? Il est une certitude pourtant, la leader du mouvement « Madagasikarantsika » est déjà, selon les sondages, une sérieuse menace pour le président sortant, Marc Ravalomanana.
Afrik.com : Qu’est-ce que vous pensez pouvoir apporter de nouveau aux Malgaches ?
Elia Ravelomanantsoa : L’accompagnement dans le changement qui doit conduire au développement économique auquel chaque famille, chaque femme et chaque homme de ce pays a droit. Ce changement, qui se résume à « mieux vivre ensemble », équivaut à apporter une certaine sérénité en appliquant les principes de bonne gouvernance et en créant un environnement social beaucoup plus équitable. Pour répondre à votre question, je suis sincèrement convaincue qu’en tant que femme, la seule parmi 14 candidats, mon approche des problèmes des Malgaches est différente. Elle se caractérise par plus de proximité, elle est plus humaine et plus rationnelle.
Afrik.com : Dans un communiqué récent, vous demandez à la France et à l’Union Africaine d’envoyer des observateurs pour veiller à la transparence des élections du 3 décembre prochain qui sont, comme vous le rappelez, anticonstitutionnelles. Pourquoi lancez-vous ce cri d’alarme ?
Elia Ravelomanantsoa : La pluralité des candidats, qui sont pour certains issus des rangs du pouvoir actuel, exprime un malaise. Une « chefferie » basée sur des considérations ethniques et les discours inhérents laisse présager du sentiment de frustration et d’exclusion qui pourrait animer les Malgaches, occasionnant des troubles plus importants que ceux que nous avons connu en 2002. Mon appel est une application du principe de précaution qui devrait être cher à tout politique. Il ne s’agit pas d’être alarmiste, ma requête s’appuie tout simplement sur un constat. En plus d’être anticonstitutionnelle, les difficultés rencontrées par les candidats sur le terrain laissent aussi penser que le recueil des votes ne sera pas équitable. La campagne va s’ouvrir dans 24h et c’est seulement à ce moment là que nous pourrons faire part de nos projets aux Malgaches, soit 21 jours jusqu’au 2 décembre à minuit. Alors que les sept mois précédents, les médias nationaux n’ont cessé de parler du président sortant.
Afrik.com : 70% des Malgaches vivent aujourd’hui avec moins d’un dollar par jour. Ce qui explique, entre autres, la déception de vos concitoyens qui ont porté M. Ravalomanana au pouvoir en 2002. Ils espéraient un changement qui ne semble pas avoir eu lieu. Que ressentent-ils exactement selon vous ?
Elia Ravelomanantsoa : De la résignation. Nous sommes tous fatigués des soubresauts politiques et des promesses non tenues. Le démantèlement de nos usines et l’obsolescence des infrastructures textiles est responsable en partie du désœuvrement auquel les Malgaches doivent faire face. Le pouvoir d’achat des Malgaches n’a cessé de baisser ces cinq dernières années. Il y a certes eu des progrès dans le domaine des infrastructures routières. Mais nous assistons à une mainmise sur de grands pans de l’économie nationale. Les Malgaches reprochent à Marc Ravalomanana d’avoir employé et usé de ses prérogatives de chef de l’Etat pour développer ses entreprises. Cela va jusqu’à un trusting de l’économie nationale. Nous nous retrouvons devant une puissance économique qui défend aux autres d’opérer, par exemple dans l’agro-alimentaire. L’actuel président détient certainement le plus grand fermage en Afrique de l’Est. Son groupe est aujourd’hui à la tête du plus important réseau de distribution des matières premières du pays, du plus important groupe de médias, après celui de l’Etat…Sans compter ses participations directes et indirectes dans des entreprises familiales. « Tentaculaire » est le terme que j’avais employé en 2004 pour décrire ce système.
Afrik.com : Quelles sont vos ambitions économiques pour Madagascar ?
Elia Ravelomanantsoa : Sur le plan économique, je souhaite « relibérer » les initiatives afin de mettre fin à un système économique qui privilégie un seul groupe. Non seulement « relibérer », mais aussi les stimuler par la mise en place d’un réseau de chambres consulaires plus performant. Un réseau qui, au-delà de son aspect institutionnel, impulse une vraie dynamique au tissu économique malgache par le biais d’un service de proximité. En d’autres termes, les chambres consulaires constitueraient réellement un réseau d’intelligence économique. Pôle d’informations, il oriente, veille sur les fluctuations des marchés nationaux et internationaux et est un vecteur de formation. La densification de la formation à court et moyen terme sur toute l’île est un impératif. Car de la formation dépend le développement des entreprises.
Afrik.com : Avez-vous un projet particulier en direction des femmes ?
Elia Ravelomanantsoa : L’un des volets importants de mon programme est le soutien, par le biais de foyers d’accueil, aux familles qui sont déstructurées. Cette situation, qui est une résultante de la pauvreté, est à l’origine du nombre croissant de familles monoparentales dont les chefs de famille sont des femmes. Elles s’évertuent tant bien que mal à subvenir aux besoins de leurs familles. Beaucoup d’hommes malgaches ont démissionné et l’acceptation implicite de la polygamie dans nos cultures aggrave ce phénomène. Je souhaite également, dans une perspective sociale plus large, répondre aux urgences sanitaires en recourant à des unités chirurgicales volantes qui pourraient intervenir partout dans le pays. Tout comme développer les métiers auxiliaires de la santé et liés à la forêt. Pourquoi la forêt ? J’ai une vision écologique du développement de mon pays qui se traduit par une feuille de route qu’il nous appartient en tant que technocrates de mettre en œuvre. Dans la perspective du « mieux vivre ensemble », rétablir les valeurs sociales, éduquer à la bonne gouvernance et à l’alternance au pouvoir sont autant de chantiers prioritaires.
Afrik.com : Vous parlez également « d’une opposition professionnalisée », de quoi s’agit-il ?
Elia Ravelomanantsoa : En dehors du corps législatif, des experts devraient être érigés en consultants permanents des gouvernements. Ainsi, seraient-ils au fait des grands dossiers et des grands chantiers de l’Etat. De telle sorte que l’alternance politique se fasse dans un climat rassurant pour la population et les investisseurs étrangers. Les nouveaux venus auront ainsi directement accès aux informations qui leur seront utiles dans la conduite de leurs missions.
Afrik.com : Qu’attendiez-vous de la classe politique française en effectuant cette visite qui s’achève ce vendredi ?
Elia Ravelomanantsoa : La classe politique africaine est également interpellée. Le message que j’ai lancé s’adresse aussi à M. Denis Sassou Nguesso, le président de l’Union africaine (et de l’Etat du Congo, ndlr). Je suis venue pour briser le silence sur ce qui se passe à Madagascar afin que des pays comme le nôtre ne soient pas en guerre avant d’intéresser le monde. J’attends également un réveil de notre diaspora. Je suis de celles qui croient que Madagascar ne peut se développer sans ses cerveaux enfuis. J’entends, par conséquent, les inciter fortement à un retour au pays.
Afrik.com : Quand avez-vous décidé de vous présenter aux présidentielles ?
Elia Ravelomanantsoa : Entre 2004 et 2005. Au départ, mon idée première était de soutenir un candidat en mettant à son service mon expertise dans le domaine de la communication. Puis, la situation politico-sociale de mon pays s’est dégradée et au vu de la configuration de la scène politique dominée à majorité par des hommes, j’ai estimé qu’il serait plus judicieux de me présenter. Après avoir tenté de trouver, en vain, une « candidate » qui pourrait assumer une telle charge.
Afrik.com : Comment Marc Ravalomanana et vos autres adversaires politiques ont réagi à l’annonce de votre candidature ?
Elia Ravelomanantsoa : L’actuel chef de l’Etat, par partisans interposés, a tenté de m’intimider. Aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’il pense. Quant aux autres, il faut dire que ma candidature les a surpris. Ils pensaient que je plaisantais, notamment parce que mon image était associée au social, à l’économie ou encore à la culture. La plupart a maintenant compris que c’est un devoir que je prends très au sérieux.
Afrik.com : Vous êtes la fondatrice du festival de mode Manja et l’instigatrice du salon E-bit des nouvelles technologies à Madagascar. Si l’on suit votre parcours, vous avez l’étoffe d’une pionnière. Où trouvez-vous la force d’avancer ?
Elia Ravelomanantsoa : J’ai d’abord été portée par la foi. Elle a été mon premier refuge au moment de la disparition de mes parents. J’avais alors 10 ans et j’étais la fille aînée. J’ai la certitude qu’on peut changer sa vie et celle des autres.
Afrik.com : Vous avez été toute votre vie très active. Vous avez créé votre première entreprise à 19 ans. On pourrait légitiment penser que vous souhaiteriez une vie plus paisible auprès de votre famille. Mais vous choisissez, au contraire, de vous lancer dans l’arène politique…
Elia Ravelomanantsoa : Je dirai que cette partie de ma vie correspond à un accomplissement personnel. Je crois que l’on doit aussi se soucier des autres. C’est une chose de demander aux autres de réagir aux situations qui interpellent, c’en est une autre d’agir soi-même, surtout dans un domaine qui est la chasse gardée des hommes.
Afrik.com : Si vous perdez ces élections, comment voyez-vous votre avenir politique ?
Elia Ravelomanantsoa : J’ai définitivement mis un pied dans la politique. Quel que soit le résultat de ce scrutin, j’y reste. Je mettrai en œuvre autrement les ambitions sociales de mon programme.
Afrik.com : Pensez-vous que les Malgaches sont prêts à être dirigés par une femme ?
Elia Ravelomanantsoa : Nous le saurons le 3 décembre. Nous saurons s’ils sont prêts à avancer vers le futur.