« Elf, la pompe Afrique » : les coulisses de la 5ème République sur le devant de la scène


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Elf, la pompe afrique (affiche)
Elf, la pompe afrique (affiche)

De mars à juin 2003, 37 membres de la compagnie pétrolière français Elf comparaissaient devant la Justice française, officiellement pour abus de biens sociaux dépassant les 170 millions d’euros. Plongée au cœur de la Françafrique, la pièce théâtre de Nicolas Lambert, Elf, la Pompe Afrique, reprend, jusqu’au 18 février à Paris, les passages forts du procès scandale de la 5ème République. Interview.

L’affaire Elf adaptée au théâtre. Adepte d’un théâtre militant, le comédien français Nicolas Lambert, qui a suivi au Palais de Justice à Paris les quatre mois du procès Elf (mars à juin 2003), « ne voulait pas que ce dossier reste dans un coin ». Pour lui : « Il fallait que les gens sachent ». Il écrit et met alors en scène Elf : la pompe Afrique, la 5ème pièce de sa carrière. Il y joue à la fois les prévenus, les juges et les avocats. Un véritable acte citoyen. On rit de l’énormité des combines et des sommes déjouées, tout en ayant conscience de leur gravité. Car avec ça, « la République aurait pu sauter 20 fois ». en 2003, Loïc Le Floch-Prigent, président d’Elf de 1989 à 1993, Alfred Sirven, ancien directeur des affaires générales du groupe et André Tarallo, le « Monsieur Afrique » de la compagnie, comparaissaient à la barre. Leurs témoignages vont en fait mettre à jour un système de relations cyniques entre l’Etat français et l’Afrique francophone. « Elf a été créé pour maintenir l’Algérie et les rois nègres dans l’orbite française par le biais du pétrole. Avec les Algériens, ça a capoté. Avec les rois nègres ça se poursuit », explique l’ex-président d’Elf au tribunal. Quatre mois d’audience, 37 prévenus mais aucun homme politique.

Afrik.com : Avant d’assister au procès, saviez-vous qu’il existait un système « françafricain » (le mot françafrique est une néologisme inventé par Félix Ouphouët Boigny, premier Président de la Côte d’Ivoire. Le mot est devenu aujourd’hui un terme péjoratif pour dénoncer le néo-colonialisme français en Afrique) mis en place par de Gaulle, orchestré par son homme de l’ombre Jacques Foccart et dont le but était que la France garde la main mise sur ses anciennes colonies et continue à exploiter leurs richesses ?

Nicolas Lambert : Non, je ne savais pas. Par exemple, je ne comprenais pas ce que faisait notre armée au Tchad ou en Côte d’ivoire. Le type de liens qu’entretient la France avec ses anciennes colonies me paraissait complètement mystérieux. Ce n’est qu’après avoir assisté au procès que j’ai pu comprendre beaucoup de choses sur le fonctionnement de notre 5ème République. Bien que je craigne que ce ne soit qu’un bout de l’iceberg…

Afrik.com : Quelles conclusions avez-vous tirées à la fin du procès ? Quels ont été vos sentiments ?

Nicolas Lambert : De la colère de voir que tout un système (la françafrique, ndlr) était expliqué dans une cour de tribunal, à Paris, sur l’Ile de la cité. Et tout le monde s’en fichait. Là seule conclusion qu’on en a tiré c’est : « ils s’en sont mis plein les poches ».

Afrik.com : Alors que cette affaire touche directement le Président de la Réplique actuel et ses prédécesseurs ?

Nicolas Lambert : Oui, même si cela n’a pas été dit clairement pendant le procès. Mais dans son livre (Affaire d’Elf : affaire d’Etat, ndlr), Loïc Le Floch-Prigent explique qu’il a dû refuser de voir la juge Eva Joly sur la demande du Président de la République. Dans le livre qu’a écrit Eva Joly, j’ai été effrayé de voir comment les services secrets français ont cherché en permanence à saboter son travail.

Afrik.com : Vous dites au début de la pièce que les bancs réservés aux journalistes dans la salle d’audience étaient quasiment vides. Pensez-vous que la presse française n’a pas suffisamment couvert le procès?

Nicolas Lambert : C’est le moins qu’on puisse dire. Pour comprendre une affaire pareille et la faire partager au public, au lecteur, aux téléspectateurs ou aux auditeurs, il faut assister aux audiences et se plonger dans le dossier. Il y avait environ une douzaine de journalistes qui ont suivi les 4 mois du procès. Certains médias ont fait un boulot admirable comme Le Monde, Libération, RFI, Le Parisien et Le Figaro. Mais il y avait peu de journalistes de télévision. Parce que ces grands médias appartiennent aux grands groupes industriels, comme Dassault, Lagardère, et n’ont pas forcément envie que des affaires, telles que celle d’Elf, soient dévoilées. Enfin, il faut se demander quelle place on veut donner à des informations remettant en cause un système politique et financier en France. Aux Etats-Unis, l’affaire du Water Gate (scandale des écoutes du pentagone aux Etats-Unis qui a obligé le Président Richard Nixon à démissionner en 1974, ndlr) était retransmise 7h par jour en direct sur toutes les chaînes de télévision. Autre exemple, l’opération mani pulite a fait imploser l’ensemble des partis politiques italien. Pourtant, les sommes en jeu étaient bien inférieures à celles du scandale Elf.

Afrik.com : Votre spectacle n’est pas subventionné. Est-ce à cause du sujet que vous traitez ?

Nicolas Lambert : Non. C’est un problème de système de financement du théâtre en France, qui est peu favorable aux pièces traitant de l’actualité un peu lointaine (le procès s’est terminé l’été 2003, ndlr). Par ailleurs ce qui séduit les gens et les financiers de la scène française c’est avant tout un théâtre très joli, formel, poétique. Le théâtre citoyen est peu représenté en France, alors qu’il existe en Belgique où s’est joué Rwanda 94, une pièce sur la responsabilité de la Belgique et de la France dans le génocide. En Angleterre un metteur en scène a monté une pièce sur la relation Bush-Blair. Il est étonnant de voir que je n’ai reçu que des journalistes politiques, et pas un seul journaliste culturel. Alors que le théâtre citoyen reste de la culture.

Afrik.com : Quel type de public draine votre pièce ?

Nicolas Lambert : J’ai un public très large socialement et culturellement. Ce qui m’a beaucoup touché. Au début, il était plutôt militant. Les spectateurs africains sont, pour leur part, très touchés de voir que ces problèmes français soient évoqués par un Français.

Afrik.com : Sur quels thèmes allez-vous travailler par la suite ?

Nicolas Lambert : En ce moment ce sont les problèmes liés à la décolonisation qui me préoccupent. Je ne m’explique pas pourquoi on dit « immigrés » quand on parle des Maghrébins. Quand on parle des Chinois ont dit les Chinois. Quand il y a des problèmes dans les banlieues, c’est toujours le fait de « jeunes immigrés ». Donc pourquoi fait-on une différence entre les personnes venant de nos anciennes colonies et ceux qui viennent d’ailleurs ? Je pense qu’il y a des choses qui ne sont pas digérées parce qu’elles n’ont pas été dites et racontées. Je voudrais aussi me pencher sur le fonctionnement des marchés publics en France ou l’absence d’actes politiques courageux de la part de nos politiciens.

Afrik.com : Vous pensez vraiment, comme vous le concluez dans la pièce, que la 5ème République est malade ?

Nicolas Lambert : Oui. L’information est malade, le pays a voté à moins de 40 % lors du premier tour de l’élection présidentielle, et seulement 22 % pour le Président d’aujourd’hui. Je pense que nous ne sommes pas dans un pays qui va bien.

Propos recueillis par Valentine Lescot

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