Les conflits de terre entre éleveurs et cultivateurs empoisonnent la vie rurale sénégalaise. L’absence de législation claire prenant en compte le mode de vie pastoral laisse s’envenimer une situation déjà tendue. Difficile pourtant de faire l’impasse sur un problème qui concerne trois millions d’éleveurs sénégalais et leur bétail.
Un animal s’échappe, un éleveur tente de faire passer discrètement son troupeau sur une terre qui ne lui appartient pas… Il n’en faut pas plus dans la région de Saint-Louis pour voir naître une bataille rangée entre éleveurs et agriculteurs. » Généralement, ça se termine en discussions au conseil rural. Mais il peut y avoir des altercations virulentes », confie docteur Yade, inspecteur régional des services vétérinaires de Saint-Louis. Sa région n’est pas la seule à connaître ce genre d’incidents. Dans tout le centre du Sénégal, éleveurs et agriculteurs ne cessent de se disputer la terre et les ressources en eau.
» Le problème date de l’indépendance. Au moment du partage des terres, l’élevage n’était pas considéré comme une forme de mise en valeur. Résultat : on a distribué des terres à des cultivateurs, sans prendre en compte le problème des éleveurs qui n’ont pas forcément besoin de champs fixes, mais d’un certain parcours pour promener leurs bêtes. Le droit coutumier a peu à peu été remplacé par la législation en faveur des propriétaires terriens, au détriment des éleveurs « , explique Ossouby Touré, sociologue rural dans la région de Dakar. Aujourd’hui, le problème n’est toujours pas réglé.
La révolution juridique
Au Sénégal, il ne s’agit pas d’un détail : 350 000 familles, soient 3 millions de personnes vivent – partiellement ou totalement – de l’élevage. L’absence de législation adéquate quant au partage des terres est un souci auquel sont confrontés la plupart de ces gens. L’élevage péri-urbain intensif demeure très minoritaire (7%), et la plupart des exploitations pratiquent l’élevage extensif (37%) ou agropastoral (65%). Dans ces deux derniers cas, et plus encore pour les populations nomades de la région sahélienne, le conflit pour la terre fait souvent partie du quotidien.
Au ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, on reconnaît le problème. Abdoulaye Bouna Nyang, directeur de l’élevage, insiste tout de même sur l’évolution de la législation ces dernières années et sur la mise en vigueur de la Loi sur le domaine national. Malheureusement, celle-ci tend à favoriser une forme d’appropriation privée de la terre pour sécuriser l’investissement. Une logique qui ne convient pas aux éleveurs. » Nous ne pouvons pas nier les conflits permanents entre éleveurs et cultivateurs. Surtout en cette période de l’année, à l’époque de l’hivernage et du défrichement des terres, où nous sommes interpellés sans cesse pour trancher entre des intérêts différents « , assume Abdoulaye Bouna Nyang.
Propriétaire ou rien
Que faire ? Chacun, à son échelle, envisage un règlement différent du problème. Pour l’inspecteur des services vétérinaires de Saint-Louis, c’est aux éleveurs de se plier au système et d’acquérir des terres. Il met l’accent sur le fait qu’aujourd’hui, l’élevage est reconnu comme forme de mise en valeur et que l’attribution d’une terre ne leur sera jamais refusée. Le directeur de l’élevage pense, lui, à une solution plus législative. Mais les tentatives initiées au début des années 1990 visant à l’élaboration d’un code pastoral sont restées lettre morte. Et si un comité pastoral national a été constitué, son existence est surtout formelle.
Selon Ossouby Touré, » le problème vient surtout de ce que les éleveurs représentent une population émiettée, incapable de se mobiliser pour faire valoir ses droits. Nombre d’entre eux sont analphabètes ou simplement en marge de ces problèmes législatifs… » C’est donc toujours au coup par coup, selon les us et les habitudes de chaque communauté que se règle le problème. Ou que, comme dans le cas de la commune de Saint-Louis, il ne se règle pas.