L’élection présidentielle du 27 juin prochain en Guinée-Conakry s’annonce palpitante. Le pays de Sékou Touré, qui voulait construire un modèle de développement opposé au néocolonialisme adopté par ses voisins, n’en finit pas de se faire solliciter par l’Union africaine et les puissances occidentales. Après les déclarations du secrétaire d’ État adjoint américain Phillip Crowley, et de son ambassadeur, qui parlent d’ une « élection historique », le sort du pays est suspendu à celui d’un scrutin qui s’annonce intéressant.
«Notre histoire s’est arrêtée en 1958 ! ». La formule lapidaire de Moustapha Niasse, ancien Premier ministre du Sénégal, vaut bien des analyses et traduit parfaitement la désespérance du peuple guinéen. Tout se passait comme si ce petit pays d’Afrique de l’Ouest payait encore le prix de la condescendance de ses trois dirigeants : de Sekou Toure à Dadis Camara en passant par Lansana Conté.
Les impunités, les frustrations, les tueries qui se sont accumulées pendant les trois régimes de peur et de terreur, s’ effaceront-elles avec la cérémonie de réconciliation nationale lancée par le Général de brigade, président par intérim, Sekouba Konaté le lundi 21 juin au Palais du peuple.
Sous la bienveillance du gouvernement de transition et des diplomates, il a demandé pardon au peuple de Guinée pour ses prédécesseurs. Certes, il faut avancer et tourner cette page sombre de la Guinée après 52 ans d’ indépendance. Mais les élections du 27 juin marqueront-elles elles la rupture avec les anciennes pratiques qui ont ternies l’image d’une nation prospère ?
En Guinée, la vie économique quotidienne s’organise autour de passe-droits, de la corruption, de concessions de ressources naturelles octroyées aux «grandes compagnies» étrangères, de sorte qu’un pays qui recèle les deux tiers des ressources mondiales de bauxite est paradoxalement en faillite chronique, que les grands commerçants ne paient pas la douane mais des bakchichs systématiques, et que militaires et policiers rackettent du matin au soir les populations.
Trois ans durant, la Guinée a tenu la lanterne rouge mondiale de l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies. Alors que le secteur informel représente plus de 60% du produit intérieur brut (PIB), le chômage touche presque 80% de la jeunesse urbaine, avec une inflation supérieure à 30%. La population vivant au dessous du seuil de la pauvreté absolue est passée de 49,9% en 2002/03 à 53% en 2007. A en croire, certains spécialistes estiment que ce taux serait même passé aujourd’hui aux environs de 56%. Bien que les caisses de l’État sont vides, les gouvernements précédents ont déjà gaspillé trois ans d’avances sur les recettes minières, organisant les filières d’évasion fiscale et de corruption par certains clans qui ont gravité autour du pouvoir.
L’impossibilité d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et l’absence quasi totale d’industrialisation et d’infrastructures rendent impossible tout décollage économique. Cependant, la Guinée relève, comme nombre de pays africains, de l’affreux néologisme de « démocrature » : élections périodiques mais parodiques, médias divers mais contrôlés, opposition légale mais malmenée, répression militaire contre des manifestants pacifiques
Prévue ce dimanche 27 juin 2010, l’élection présidentielle s’annonce ouverte. Et c’est une première. Une nouvelle page d’histoire s’écrira, un espoir immense qui transcendera toutes les barrières morales et ethniques, un espoir pour des milliers de Guinéens. L’homme issu des urnes aura la lourde tache de raffermir les liens séculaires entre les quatre grandes régions qui compose la Guinée.
Le nouveau régime ne doit plus se contenter des fastes du pouvoir et l’argent du contribuable. Il faudra qu’il impulse l’élan nécessaire au décollage socio-économique, qu’il partage équitablement les ressources pour juguler une pauvreté dans un pays cruellement riche.
Modio, Bruxelles
Critique/journaliste.