La dernière élection présidentielle, en 2010, avait plongé la Côte d’Ivoire dans la violence. Ce 11 décembre se déroulent les élections législatives. Réconciliation ou discorde ? Enquête à Paris.
10 heures, XVIe arrondissement, avenue Raymond Poincaré. Dans la cacophonie générale, c’est à l’ambassade de Côte d’Ivoire que nous rencontrons Patrick, 28 ans, ivoirien arrivé en France il y a un an. « A chaque élection en Côte d’Ivoire, c’est la même chose, c’est affrontement sur affrontement. » Il se fait donc peu d’illusion sur l’issue du vote du 11 décembre. Il a peur que les législatives dérapent une nouvelle fois. « C’est drôle, c’est le bazar à l’ambassade avec les travaux un peu à l’image de notre pays ! » Patrick ne s’en est jamais caché, son président c’est Laurent Gbagbo, celui qu’il avait choisi lors du second tour de la présidentielle en décembre 2010. La capture du président sortant, le 11 avril 2011, a tout changé. Convaincu par sa famille restée au pays, il décide de soutenir le président officiellement élu, Alassane Ouattara, pour « tourner la page » affirme-t-il.
Même résolution pour Bruno, ivoirien résidant en France depuis 7 ans. « Moi la politique ça m’intéresse plus, ça fait trop longtemps que j’ai quitté le pays. » Avec conviction, il ajoute « que ce soit Ouattara, Gbagbo, Bédié, Soro : ce qui les intéresse c’est le pouvoir ». C’est aux revirements d’alliances constants, dans la vie politique ivoirienne, que Bruno fait référence. En 1995, Henri Konan Bédié, président sortant, avait lancé le concept d’ivoirité pour empêcher son adversaire Alassane Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle. Son parti, le PDCI, Parti démocratique de Côte d’Ivoire est aujourd’hui allié du parti de Alassane Ouattara, le RDR, Rassemblement des républicains. « Je ne fais plus confiance aux politiques dans mon pays ».
La réconciliation des ivoiriens en marche ?
Dates
2 décembre 2010 La commission proclame Alassane Ouattara vainqueur de l’élection présidentielle avec 54,1% des voix contre 45,9 à Laurent Gbagbo. 3 décembre 2010 Le Conseil constitutionnel, composé de proches du président sortant, proclame Laurent Gbagbo vainqueur. 16 décembre 2010 Début des affrontement à Abidjan. 30 mars 2011 Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1975 autorisant une aide militaire extérieure pour protéger les civils. 11 avril 2011 Laurent Gbagbo est arrêté dans sa résidence présidentielle, à Abidjan après une intervention des forces françaises. 29 novembre 2011 Transfert du président sortant à la Cour pénale internationale de la Haye. |
« La réconciliation, ça c’est un truc de journaliste ! Je ne vois pas comment des élections pourraient réconcilier le peuple ivoirien après tout ce qu’on a vécu » affirme Bruno. La réconciliation fait partie des trois objectifs de l’actuel président derrière la relance économique et la pacification. Le succès est partiel. Si l’activité économique du pays est relancée et les relations sociales pacifiées, la population ne s’est pas réconciliée pour autant, puisque, comme l’affirme Bruno « il y a eu trois morts à Grand Lahou, pendant un meeting du PCDI. » Question soulevée par Patrick : « Comment voulez-vous qu’on se réconcilie si les coupables ne sont pas jugés ? Il faut aussi juger le clan Ouattara. »
Opposition, évidemment, dans le camp adverse : Kouadio, un « pro-Ouattara » arrivé en France depuis seulement 8 mois pour ses études. Il quittait alors Abidjan en pleine guerre civile. « Gbagbo, il a ruiné le pays, il a tué plein d’innocents. » C’est donc avec enthousiasme que Kouadio a accueilli l’annonce du transfèrement de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale de la Haye, jugé pour crimes contre l’humanité, meurtres, viols et persécution pendant la crise postélectorale.
La faute à qui ?
« La France » répondent de concert Patrick et Bruno. « C’est la France qui a appuyé l’élection de Laurent Gbagbo, et puis ensuite elle a placé Alassane Ouattara au pouvoir. » Ce qui met d’accord les deux hommes : cette rancœur partagée envers la France, qui a « abimé » leur pays. L’arrestation de Laurent Gbagbo sous les bombes françaises, Patrick s’en dit persuadé et juge cette arrestation « illégale ». Cette France, sous la couverture du mandat des Nations Unies, cette « foutue » opération Licorne, c’est elle qui en intervenant dans les jeux de pouvoirs a « tout déréglé ».
Quand il évoque les affrontements dans son pays, Kouadio n’a pas un jugement si sévère envers la France. Même si la France a sa part de responsabilité, c’est surtout « les différences entre les ethnies et la soif de pouvoir des hommes politiques ivoiriens » qui sont les principales causes de discorde. Derrière leurs sourires et leur apparente légèreté se cachent en réalité des ivoiriens désabusés et désarçonnés face à l’avenir de leur pays.
Par Coralie Pierret