Élections en Afrique : « Battre ses concurrents revient à se démarquer » (Dr Ndèye Niokhor Gning)


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Ndèye Niokhor Gning, docteure en Sociologie
Ndèye Niokhor Gning, docteure en Sociologie

Dans le cadre de notre série d’interviews portant sur le culte de la personnalité pendant la période électorale en Afrique, AFRIK.COM a tendu son micro à Ndèye Niokhor Gning, docteure en Sociologie. Dans un ton d’analyste, cette enseignante sénégalaise, affiliée à l’université Senghor à Alexandrie et EPF école d’ingénieur.e.s, revient sur les contours de ce phénomène social multidimensionnel.

Entretien

AFRIK.COM :  Qu’est-ce-qui explique la montée du culte de la personnalité à l’approche des élections présidentielles dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne ?

Dr Ndèye Niokhor Gning : Un candidat à la présidentielle est avant tout un leader. La principale caractéristique d’un leader est qu’il est quelqu’un de suivi pour un projet bien défini qu’il veut mettre en place. Dans le cadre d’une élection présidentielle, chaque candidat doit présenter un programme, une vision de ce qu’il envisage de faire s’il est élu. De ce fait, les candidats ont besoin de gagner en popularité afin d’obtenir des suiveurs, ils ont donc besoin de se démarquer.

Cette quête de la démarcation explique les étiquettes qu’ils portent comme « le grand bâtisseur », « fatshi béton de la République ». En outre, ces « titres » s’accordent le plus souvent aux programmes de campagne électoral des candidats. Ils sont des moyens de reconnaissance du candidat en tant que leader sur la scène publique, lors des meetings, conférences de presse. Ils reflètent également une partie de la personnalité du candidat. Qui est-il ? Comment il se voit et se définit en tant qu’acteur politique et comment est-ce qu’il veut que le public électeur national et international le voit en tant que candidat.

La course à la Présidentielle rime avec concurrence. Battre ses concurrents revient à se démarquer par un moyen parmi d’autres qui est le culte de la personnalité. A côté de cela, dans la tradition africaine électorale, généralement, le public s’intéresse d’abord à la personne avant son programme. Qui est-il ? A quoi ressemble-t-il ? Quel est son parcours ? D’où ce culte de soi. L’attention doit être portée sur soi à travers des actes posés, une bonne communication mettant l’accent sur ce que l’on appelle « le cadrage ». Des sorties publiques multipliées afin que les prochains électeurs fassent de ce candidat leur choix aux urnes.

Sur le plan culturel, quel est le sens de ce phénomène multidimensionnel ?

A priori, parler de « culte de la personnalité » peut évoquer chez l’opinion publique, « narcissisme », « égo démesuré », par extension « égocentrisme ». Selon une lecture purement sociologique, chaque sphère sociale a ses réalités et son mode de fonctionnement. Le culte de l’égo est une valeur dans ce contexte et non une contre-valeur. Une personnalité politique doit dégager une extrême confiance en soi, une assurance démesurée et avoir un certain charisme, parler avec fougue et audace afin de gagner le cœur des gens. L’idée des candidats est de gagner le maximum d’adeptes, des individus engagés pour sa cause qui le défendront avec ferveur auprès des autres catégories sociales adeptes d’un autre parti. D’où on peut voir des débats sociaux, médiatiques entre plusieurs clans, chacun défendant, avec un certain fanatisme, leur leader.

Sur le plan politique, quel serait l’impact du culte de la personnalité sur le choix d’un candidat ?

Ce phénomène pourrait avoir une réelle influence sur l’orientation du choix d’un candidat par rapport à un autre. Le culte de la personnalité a pour conséquences de procurer au candidat à la Présidentielle une réputation et un amour fanatique autour de soi. La réputation à elle seule constitue un critère de choix dans l’élection d’un candidat. Des étiquettes comme « le patriote », « le grand bâtisseur » a pour effet, chez celui qui l’entend, d’inspirer la confiance, de susciter une vision attrayante du futur autour d’une personne engagée et loyale envers son pays, d’une part ; d’autre part, on peut entrevoir l’image d’une personne qui pourrait souder les différends sociaux, claniques, diplomatiques, produire une émergence sur beaucoup de secteurs négligés ou sous-développés.

Cet espoir suscité par la réputation et l’amour est celui qui pèse le plus sur la balance, lors des votes. Car chez beaucoup d’Africains, l’émotion et l’habitude à un système orientent leur choix au niveau des urnes. Ceci constitue un risque réel pour nos pays. En effet, certains ne prennent même pas la peine de lire et prendre connaissance du programme du leader politique pour en comprendre les conséquences de son exécution sur le pays, si ce leader venait à être élu.

Les politiciens sont-ils à la base de la montée de ce phénomène ? On a l’impression que le peuple joue aussi à ce jeu, en dépit de la précarité socio-économique…

Les deux parties ont une responsabilité partagée. On a un leader qui a un programme et veut être élu, il doit donc gagner un maximum d’adhérents et de suiveurs pour que sa campagne électorale puisse marcher. Toutefois, pour gagner ces adhérents, il faut que le peuple en fasse un choix. Le choix que ce peuple porte sur un candidat plus que sur un autre a plusieurs explications d’ordre subjective. Comme je l’ai dit tantôt, le problème en Afrique est que, très souvent, l’on ne prend pas la peine de connaitre l’individu candidat, d’approcher ses compétences de dirigeant, de connaitre son projet pour le pays afin d’en juger les retombées futures sur le développement économique, social, politique, industriel et sur la bonne tenue des relations diplomatiques de ce pays envers le monde.

Parce qu’il ou elle est réputée, parce qu’il y a une grande mouvance sociale autour de la personne candidate, parce que les médias en parlent de manière récurrente, certains, malheureusement, tombent dans ce piège et alimentent cette forme de vénération autour de la personne, à travers une défense, avec fanatisme, de leur candidat dans les différents cercles sociaux, en portant des tee-shirts, pancartes, accessoires, photo et slogan du candidat, en produisant de courtes vidéos sur ledit candidat. Lesquelles vidéos sont publiées sur des plateformes dédiées (X, Tik tok, Facebook, Youtube), ou en mettant son effigie en photo de profil, voire de statuts sur différents réseaux sociaux.

Lire : Élection en Afrique : « Le culte de la personnalité travaille pour imposer un candidat » (Régis Hounkpè)

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