Les violences post-électorales au Kenya ont fait environ 300 morts. Les attaques ont pris un tour ethnique, mardi, avec l’incendie volontaire d’une église qui a fait une trentaine de morts, non loin de l’Eldoret (Ouest du Kenya). Les supporters de Raila Odinga, candidat malheureux de la présidentielle du 27 décembre, ont mis le feu à l’édifice religieux où s’était réfugiée une majorité de femmes et d’enfants supposés kikuyu, l’ethnie du président réélu Mwai Kibaki. La communauté internationale se mobilise pour restaurer le calme.
Environ 300 morts, des dizaines de blessés, 70 000 déplacés, des centaines d’habitations et de commerces incendiés, routes coupées… C’est le bilan provisoire des affrontements qui opposent les partisans du président réélu Mwai Kibaki et ceux de son challenger Raila Odinga depuis les élections générales kenyanes contestées du 27 décembre. Le tiers des victimes sont tombées à Kisumu (Ouest), fief du candidat malheureux de la présidentielle. On compte également de nombreuses victimes à Eldoret et ses environs.
Le bilan mortuaire de cette zone occidentale a été dramatiquement alourdi mardi par l’incendie d’une église en bois de Kiambaa où s’était réfugiée une majorité de femmes et d’enfants cherchant à échapper aux violences. Selon le quotidien kenyan The Nation, une foule de 200 jeunes en colères ont incendié l’édifice en estimant que ses occupants étaient kikuyu, l’ethnie de Mwai Kibaki, et qu’ils étaient donc responsables de la défaite de Raila Odinga, d’ethnie luo.
Accusations de « nettoyage ethnique » et de « génocide »
Un épisode sombre qui n’est pas sans rappeler les exactions commises lors du génocide de 1994 au Rwanda. Le chef de l’Etat et son allié d’hier s’accusent d’ailleurs l’un l’autre de massacres ethniques. Le porte-parole du gouvernement a déclaré à la BBC que Raila Odinga se livrait à « un nettoyage ethnique », alors que l’opposant rend le pouvoir responsable de « génocide ». Lorsque la BBC a demandé à Raila Odinga s’il comptait appeler ses partisans au calme, il a ajouté : « Je refuse qu’on me demande de donner au peuple kenyan un anesthésiant pour qu’il puisse être violé ».
C’est la première fois depuis la tentative de coup d’Etat avortée de 1982 que le Kenya connaît de telles violences. Il faut dire que le climat explosif est entretenu par certains politiciens qui, à l’approche de chaque élection, instrumentalisent les ethnies pour glaner des voix. On se souvient qu’en 1997, l’ex-président Daniel Arap Moi, d’ethnie kalenjin, avait orchestré des violences qui avaient essentiellement ciblé les Kikuyus.
La communauté internationale inquiète
Face à la situation dramatique, le président Mwai Kibaki a proposé à ses opposants une rencontre mais Raila Odinga a décliné l’offre, à moins que le président reconnaisse qu’il n’a pas été « élu ». Sur le plan international, le président de l’Union Africaine, le chef de l’Etat ghanéen John Kufuor, doit arriver ce mercredi au Kenya pour tenter d’assurer une médiation dans cette crise.
La secrétaire d’Etat des Etats-Unis – qui avait au départ félicité Mwai Kibaki avant de se raviser – et le ministre des Affaires Etrangères de la Grande Bretagne ont signé un communiqué commun où ils appellent les leaders du pays à faire « preuve d’esprit de compromis ». Précisant que « des informations indépendantes font état d’irrégularités graves dans le processus de décompte », Condoleezza Rice et David Miliband ont également expliqué que « la priorité immédiate doit être un appel durable des dirigeants politiques pour que la violence de leurs partisans cesse, assorti d’un processus politique et légal intenses, qui pourrait mener à un avenir uni et pacifique pour le pays ».
L’Union Européenne a quant à elle fait part de son souhait que les troubles trouvent une « solution crédible et transparente ». Sa mission d’observation a demandé, mardi, une enquête indépendante sur la présidentielle, jugeant qu’elle n’avait « pas respecté les critères internationaux et régionaux d’élections démocratiques ». Un avis corroboré par les dires du président de la commission électorale, Samuel Kivuitu, qui a déclaré au quotidien kenyan The Standard qu’il avait subi des pressions pour annoncer les résultats au plus vite et qu’en réalité il ne savait pas « si Kibaki a gagné l’élection ».
Menace de crise humanitaire
Les événements post-électoraux inquiètent aussi les personnels humanitaires. La Croix-Rouge du Kenya fait appel aux donateurs et organisations humanitaires pour la ravitailler en nourriture et en matériel médical. Une volontaire de l’organe a expliqué à The Nation que des « femmes et des enfants risquent la famine ». Une situation qui concerne ceux qui sont restés dans les zones où ont lieu les violences, mais aussi les déplacés qui sont partis à l’Ouest du pays ou en Ouganda.
Côté business, les tours opérateurs kenyans sont plutôt rassurants, expliquant que les troubles ne s’étendent pas aux traditionnels circuits touristiques. Un message que délivre aussi le voyagiste Thomas Cook/Neckermann, qui précise cependant qu’il laisse le choix à ses clients de différer leur date de départ, d’annuler leur voyage ou de choisir une autre destination. Jetair a pour sa part annulé tous les vols prévus les prochains jours. Les voisins du Kenya n’ont en revanche pas le choix : ils doivent attendre la fin de la crise pour pouvoir reprendre normalement leurs activités.
Lire aussi :
Kenya : La FIDH et KHRC condamnent fermement la mort de plus 300 personnes
Diplomates et observateurs critiquent les élections kenyanes
Mwai Kibaki vainqueur contesté de la présidentielle au Kenya
Elections au Kenya : Kibaki et Odinga se disputent le pouvoir