Un film événement, qui sort mercredi 11 janvier 2012 en France, et deux concerts historiques, les 9 et 10 janvier, couronnent la folle entreprise de Safinez Bousbia : 8 ans d’efforts pour retrouver et réunir survivants et héritiers de la grande période du Chaabi algérois, et ranimer leur talent. Une réussite impressionnante.
L’immense salle du Grand Rex était pleine à craquer, lundi 9 janvier au soir, pour accueillir les 2700 spectateurs venus, parfois de fort loin, pour ce concert-événement : exceptionnellement réunis sur scène, une trentaine de musiciens, acteurs ou héritiers directs de la grande époque du Chaabi algérois.
Arabes ou juifs, natifs d’Alger, de Constantine ou d’Oran, dispersés par les soubresauts de l’histoire et les blessures de la guerre d’indépendance algérienne, il aura fallu 8 ans et l’opiniâtreté d’une femme exceptionnelle, Safinez Bousbia, pour redonner vie à leur passion commune et donner un nouveau souffle à leur aventure musicale. Miracle de la volonté, miracle de l’art, la vigueur des instruments est intacte, la voix des interprètes toujours aussi puissante, les accents du Chaabi d’El Gusto emportent la danse, avec une émotion décuplée par l’attente.
C’est l’histoire de la Kasbah d’Alger qui revit.
Tout a commencé par hasard, le jour où Safinez Bousbia pousse la porte de Mohamed El-Ferkioui, un artisan de la Kasbah à qui elle veut acheter un miroir. Et qui lui raconte son histoire : celle d’un ancien ténor de la scène algéroise, une star du Chaabi, reconverti en ébéniste d’art. Les photos jaunies, les vieilles affiches déchirées, les Unes de vieux journaux des années 1960… Traces d’une gloire fanée, comme à jamais révolue.
Safinez se prend de passion pour les récits nostalgiques du vieil accordéoniste qui a raccroché son instrument. Elle l’écoute parler de ses amis, elle entreprend de les retrouver : ils sont éparpillés, quelques uns en Algérie, d’autres à Marseille, à Paris, ailleurs. Ils ont gardé en tête les rythmes sur lesquels ils ont fait danser Alger, mais rares sont ceux qui jouent encore de la musique. Elle va les forcer à exhumer leurs souvenirs, dépoussiérer leurs instruments. Peu à peu la passion prend corps : elle veut les rassembler, pour leur offrir en cadeau la possibilité de jouer ensemble à nouveau. Et parce qu’elle est elle-même profondément touchée par leur émotion, elle décide de faire partager cette aventure au plus grand nombre, d’en faire un film.
Une incroyable course d’obstacles
C’est comme un conte de fée, mais la magicienne Safinez ne racontera jamais les trésors d’énergie qu’il lui aura fallu pour réussir ce tour de force : dans cette folle entreprise, elle a accepté d’engloutir tout ce qu’elle possédait, elle a accepté de consacrer intégralement ses forces, surmontant tout, les revers de fortune, la maladie, la surdité des chaînes de télévision et des institutions publiques. Tout cela, sans perdre son sourire, sa beauté, sa certitude de réussir.
La fée aura donc accompli son oeuvre, avec patience et avec fougue, et le miracle s’est produit : il faut aller voir le film magnifique qu’elle en a tiré, où les mots sont justes et accordés à la musique, où les images donnent corps à cette prodigieuse résurrection. Chaque musicien retrouvé apporte sa note personnelle, son génie propre et son histoire particulière… Pas à pas, l’Odyssée s’écrit, partie de la Kasbah, pour suivre les détours de la diaspora du Chaabi.
AFRIK.COM, sous la plume de Saïd Aït Hatrit, avait déjà salué les premières retrouvailles, en septembre 2007, quand pour la première fois les musiciens d’El Gusto s’étaient réunis, à Marseille d’abord, puis pour un concert unique lors de la « Nuit du Ramadan », à Paris.
Le couronnement de l’aventure
Mais le couronnement du projet grandiose, c’est aujourd’hui, avec les deux concerts du Grand Rex, et surtout la sortie du film qui immortalise leur histoire. Présents, Mohamed El Ferkioui, 72 ans, un tonus intact, Luc Cherki, l’auteur d’Alger, Algeria, qui évoque les « verres de thé aux senteurs de jasmin », Maurice El Medioni, qui vit désormais à Marseille ; présent aussi Roger Castel, non pour un one man show à l’accent pied-noir, mais comme le digne héritier de son père, Lili Labassi, qui fut l’un des maîtres du Chaabi, dans l’orchestre duquel il fit ses premières armes… Présent aussi en esprit, par son empreinte musicale éternelle, Mohamed El Anka, celui qui structura les règles du Chaabi et l’enseigna au Conservatoire d’Alger. Et dans la salle, enthousiastes, Jack Lang, ancien ministre de la Culture français, ou David Assouline, sénateur socialiste de Paris…
Pour les privilégiés qui vécurent ou vivront ce moment exceptionnel au Grand Rex, comme pour tous ceux qui peuvent aller voir immédiatement, dès sa sortie en salle, le documentaire El Gusto signé par Safinez Bousbia, une seule certitude : ils seront chavirés d’émotion, et resteront à jamais marqués par cette double aventure artistique. Preuve que l’art est toujours vainqueur, malgré les aléas de l’histoire. La musique algéroise est vivante, elle résonne maintenant à jamais.
NB : Pour plus d’infos, le « facebook » d’El Gusto