Face à l’ampleur de la mobilisation populaire, le président Hosni Moubarak est sorti de son mutisme. A la télévision, dans la nuit de vendredi à samedi, il a annoncé la démission du gouvernement et promis des réformes. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans plusieurs villes d’Egypte vendredi pour réclamer son départ et l’avènement de la démocratie. Selon la chaîne d’information internationale Al Jazeera, l’armée égyptienne n’aurait pas encore fait son choix dans la gestion de la crise entre le respect des ordres de Moubarak qui lui a ordonné de soutenir la police et un soutien aux manifestants. Depuis le début des manifestations, mardi, environ 85 personnes auraient été tuées.
«Il y aura de nouvelles mesures pour une justice indépendante, la démocratie, pour accorder plus de liberté aux citoyens, pour combattre le chômage, augmenter le niveau de vie, développer les services et soutenir les pauvres», a déclaré le président Hosni Moubarak dans un discours diffusé dans la nuit de vendredi à samedi sur la télévision nationale. Il a aussi annoncé avoir demandé au gouvernement égyptien « de démissionner » avant la formation dès samedi d’un nouveau cabinet.
Des dizaines de milliers d’Egyptiens avaient manifesté vendredi dans plusieurs villes du pays, pour la quatrième journée consécutive. Ils réclamaient le départ du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981. « A bas Moubarak! », « le peuple veut la chute du régime! », «liberté ! liberté ! liberté !», scandaient-ils. Depuis le début des manifestations, environ 85 personnes auraient été tuées, un millier blessées et des milliers arrêtées dont, dans la nuit de jeudi à vendredi, une vingtaine de membres des Frères musulmans – la première force d’opposition au régime. Plusieurs sources rapportent qu’il y aurait eu des affrontements entre militaires et policiers aujourd’hui au Caire alors que, dans plusieurs villes, l’armée égyptienne a été acclamée par les manifestants. Il est à noter que Sami Anan, le chef d’état-major égyptien, vient d’écourter un séjour au Etats-Unis pour rentrer en Égypte d’urgence. Pour gérer le changement de pouvoir ?
La mobilisation a été particulièrement forte dans les villes du Caire, de Suez et d’Alexandrie ce vendredi. Deux commissariats ont été incendiés dans la capitale égyptienne. Des dizaines de personnes ont été blessées dans le centre ville du Caire et près de l’opéra, où la police a tenté de disperser la foule à l’aide de gaz lacrymogène et de canons à eau. Des violences ont eu lieu notamment devant la mosquée du centre ville du Caire à l’issue de la prière hebdomadaire, qui rassemblait 2000 personnes, à laquelle participait l’opposant et prix Nobel de la paix 2005 Mohamed El-Baradei revenu en Egypte jeudi soir. Ce dernier a dû se réfugier dans une mosquée pour éviter les tirs des forces de l’ordre. Selon des responsables des forces de la sécurité, il a été assigné à résidence. Des policiers qui stationnent devant sa maison dans la banlieue du Caire lui interdisent de quitter son domicile.
Alexandrie n’a pas été épargnée par la fureur des manifestants. Au centre ville, ils ont incendiés le siège du Gouvernorat. Les forces de l’ordre ont également fait usage de gaz lacrymogène et de balles caoutchoutées pour disperser quelque 4000 à 5000 manifestants rassemblés après la prière dans une mosquée proche de la gare routière de Raml. La foule en colère criait « On ne veut plus de Hosni Moubarak ! », et ripostait par des jets de pierre aux tirs de la police. Des heurts ont aussi éclatés à Mansoura, dans le delta du Nil, ainsi qu’au sud du Caire, dans la ville de Minia, et à Suez.
Face à cette montée de violence, le président Hosni Moubarak a fait appel à l’armée pour soutenir la police. L’armée, qui avait fait profil bas jusque là, est arrivée au Caire en fin d’après midi. Des responsables militaires ont déclaré un couvre-feu à 18h dans la capitale, ainsi qu’à Suez et Alexandrie. Il sera effectif jusqu’à 7h samedi du matin. Mais les manifestants ne l’entendent pas de cette oreille. Selon la chaîne Al-Jazeera, le siège du parti au pouvoir PND a été incendié au Caire. Les locaux du ministère des Affaires étrangères avaient été aussi pris d’assaut.
La communauté internationale inquiète
La communauté internationale n’est pas restée de marbre face à la crise. Les Etats-Unis jugent «profondément inquiétants» les événements qui se déroulent en Egypte. « En tant que partenaires, nous croyons fermement que le gouvernement égyptien doit dialoguer immédiatement avec le peuple égyptien pour mettre en œuvre les réformes économiques, politiques et sociales nécessaires », a déclaré vendredi Hillary Clinton, la Ministre des Affaires Étrangères américaine. Elle a demandé au gouvernement égyptien de « réfréner les forces de l’ordre », de « permettre les manifestations pacifiques et mettre fin aux mesures sans précédent qu’elles ont prises pour bloquer les communications ».
De même, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a affirmé que les manifestations ont des raisons de mécontentements légitimes. « Inquiet des images provenant d’Egypte », il a appelé toutes les parties à la retenue. La France a elle aussi appelé à « la retenue et au dialogue ». La ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, a fait part de « sa vive préoccupation face aux récents événements ».
Internet n’a pas été épargné par la répression du régime. Pour empêcher les manifestants d’utiliser les mails et réseaux sociaux dans l’objectif d’organiser les manifestations, tous les accès à internet, ont été bloqués depuis jeudi. Selon certains observateurs, Internet avait jusqu’à présent joué un rôle clé dans la contestation. D’après les chiffres officiels, un quart de la population égyptienne, soit 23 millions de personnes, avait un accès ponctuel ou permanent au réseau. Mais désormais, «environ 88% du réseau Internet n’est plus disponible en Egypte», a déclaré Rik Ferguson, expert sécurité pour Trend Micro, troisième éditeur mondial de solutions de sécurité, à l’Agence France Presse.
De même, tous les opérateurs de téléphonie mobile présents en Egypte «ont reçu l’ordre de suspendre leurs services dans certaines zones sélectionnées», a annoncé vendredi la compagnie britannique de télécommunications Vodafone.