Égypte : les choses pourraient encore empirer


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Bien que de nombreuses raisons, parfois contradictoires, existent pour expliquer l’échec de la transition égyptienne, allant des divisions religieuses du pays à son héritage autoritaire, il ne faut pas sous-estimer la puissance explicative de la cause la plus simple : et s’il s’agissait essentiellement d’économie?

Dans leur ouvrage influent sur les moteurs de la prospérité, Why Nations Fail (« Pourquoi les nations échouent »), les économistes Daron Acemoglu et James Robinson soutiennent que, historiquement, la combinaison d’institutions politiques inclusives (permettant aux citoyens d’influer sur la conduite des affaires publiques) et d’institutions économiques extractives (empêchant à la plupart de la population l’accès aux opportunités économiques) a tendance à être instable et fragile. Un gouvernement représentatif qui maintient ses citoyens dans la pauvreté, soit cessera d’être représentatif soit devra changer les règles du jeu économique pour permettre la prospérité de masse.

La répression politique de citoyens économiquement émancipés est difficile

À l’aune de ce prisme, la fragilité des nouvelles démocraties arabes était à prévoir. La libéralisation politique précoce de l’Égypte a eu lieu à un moment où l’économie du pays souffrait d’un copinage généralisé, de corruption et de règlementations kafkaïennes. En conséquence, en 2010-2011, un quart des Égyptiens vivaient sous le seuil de pauvreté avec un revenu de 444 dollars par an ou moins. Dans la zone historiquement connue comme Haute-Égypte, c’était plus de la moitié de la population.

L’avantage du cadre d’Acemoglu et de Robinson est qu’il n’y a rien de permanent en matière d’autoritarisme. Même les régimes les plus oppressifs peuvent renoncer à leur mainmise sur le pouvoir politique, surtout après une période de libéralisation économique et de croissance. La raison en est simple : la répression politique à l’encontre de citoyens économiquement émancipés est difficile.

Au Chili , le Président Allende élu démocratiquement a été renversé par Augusto Pinochet, dont le régime commit des violations des droits de l’homme à l’encontre de milliers de personnes quand il prit le pouvoir. Mais après 1975, le régime militaire mit en place des réformes économiques radicales, avec des coupes budgétaires et une privatisation de la sécurité sociale.

Ces réformes économiques contenaient en elles les germes de la disparition du régime. Entre 1975 et 1988, le revenu moyen au Chili est passé d’environ 2 000 dollars à près de 3 000. En 1987, Pinochet légalisa les partis politiques et en 1988, il perdit le pouvoir, lors d’un référendum marquant le retour de la démocratie au Chili .

L’exemple de la Corée du Sud est encore plus saisissant. En 1960, des manifestations populaires renversèrent le régime autocratique de Syngman Rhee, donnant l’occasion à l’armée, comme en Égypte, d’intervenir et de prendre le pouvoir. En 1961, lorsque le général Park Chung-Hee instaurait une dictature militaire dans le pays, le revenu annuel moyen était de 1 180, un peu moins qu’au Yémen d’aujourd’hui.

Réticence des élites à poursuivre les réformes économiques

Les régimes successifs des généraux Park et Chun Doo-Hwan virent la montée fulgurante de la Corée, le pays passant d’un trou perdu à une économie est-asiatique de premier plan, tirée par les exportations. Comme au Chili , le succès économique donna aux gens le pouvoir d’exprimer leur mécontentement politique et d’appeler à la liberté politique. En 1987, les Coréens, profitant alors d’un revenu moyen annuel de plus de 5 500 dollars, obtinrent finalement de voter, lors d’une élection libre.

Les succès économiques du Chili ou de la Corée, sous un régime autoritaire, ne doivent en aucun cas être interprétés comme une justification de toute forme d’oppression. Cependant, leurs transitions réussies peuvent fournir aux nations arabes une leçon quant à la façon dont la libéralisation économique et la croissance économique peuvent être un moyen détourné de parvenir à la responsabilisation démocratique et à un gouvernement représentatif.

En Égypte comme ailleurs dans le monde arabe, des économies créant de la richesse et des emplois et donnant aux gens ordinaires la possibilité de réussir rendraient la perspective d’un système politique inclusif beaucoup plus prometteuse. Hélas, il y a peu de signes que cela sera le chemin pris par le gouvernement égyptien actuel. Le ministre des Finances, Ahmed Galal, a par exemple annoncé une nouvelle frénésie de relance, financée par des emprunts à court terme et l’aide des pays du Golfe.

La tragédie de l’Égypte réside non seulement dans la réticence de l’armée à permettre un transfert pacifique du pouvoir à un gouvernement démocratiquement élu, mais aussi dans la réticence de ses élites à poursuivre les réformes économiques dont l’Égypte a besoin. En fin de compte, tout cela signifie qu’en Égypte les choses pourraient encore empirer.

Par Dalibor Rohac Publié en collaboration avec LibreAfrique.org

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