Il n’est pas surprenant que l’attention, tant en Égypte que dans le monde, ait porté sur des questions telles que le rôle de l’islam politique, la criminalité, l’ouverture politique et la rivalité entre l’armée et les Frères musulmans. Pourtant, il y a eu relativement peu de débat autour de la question qui peut finalement avoir l’impact le plus durable sur l’avenir de l’Égypte : la nécessité de réforme économique.
Il ne fait aucun doute que l’économie de l’Égypte est en lambeaux. La croissance réelle du PIB a été de seulement 1,8 % en 2011, et devrait être encore plus faible cette année. Le taux de chômage officiel est de 10,4 % et en augmentation. Le chômage des jeunes atteint 25 %. L’inflation dépasse les 10 % par an.
Comme dans les Etats-providence en Europe, l’économie égyptienne est écrasée par le fardeau d’un État obèse, des impôts et de la dette. Le déficit budgétaire devrait atteindre 10 % du PIB cette année, un fardeau plus lourd qu’en Grèce, tandis que la dette publique est à peu près 80% du PIB. Et la dette serait sans doute beaucoup plus élevée sans les 3 milliards de dollars d’aide étrangère que l’Égypte reçoit chaque année. La note de crédit du pays a été dégradée à trois reprises durant l’année écoulée. En outre, ces mesures de la dette sous-estiment le problème. Selon la Fondation Muhanna, le niveau réel d’endettement de l’Égypte, si l’on inclut le passif non financé des régimes de retraite du pays et le système de sécurité sociale, est trois à quatre fois plus élevé.
Certains des problèmes économiques de l’Égypte sont évidemment les répliques de la chute de l’ancien président Hosni Moubarak et du printemps arabe, mais les problèmes économiques de l’Égypte existaient bien avant la récente crise politique, à commencer par le poids écrasant d’un État vaste et intrusif. L’État central égyptien consomme un tiers de tous les biens et services produits dans le pays. La charge d’impôt dépasse 23 % du PIB.
L’Etat égyptien consacre près de 10 % du PIB aux subventions des biens de base, très nocives, parce qu’elles faussent les prix et bénéficient aussi aux riches. En outre, les entreprises publiques, en particulier celles dirigées par l’armée, dominent de vastes secteurs de l’économie. Et elles ne sont pas pleinement prises en compte dans les mesures de dépenses publiques (les recettes provenant des sociétés militaires sont un secret d’État), mais sont estimées représenter jusqu’à environ un tiers de l’activité économique du pays. Combinées aux dépenses publiques directes, près des deux tiers de l’économie égyptienne est donc sous contrôle étatique.
En outre, l’un des environnements réglementaires les plus oppressifs du monde étouffe l’esprit d’entreprise, la croissance des entreprises, et le développement de la société civile. Le rapport mondial de la liberté économique le plus récent classe l’Égypte 80ème sur 141 pays.
Malheureusement, aucun des deux candidats qui sortent du premier tour de scrutin ne semble apprécier pleinement la nécessité d’une réforme économique.
Shafiq représente clairement le capitalisme de copinage et l’étatisme de l’ancien régime. Il qualifie la situation économique actuelle l’Égypte de « stable » et s’oppose à des changements drastiques. Il s’est engagé à conserver la propriété de l’État et des militaires dans les entreprises. Il s’est engagé à réduire le déficit budgétaire à 6 % du PIB, mais n’a fourni aucun détail sur la façon dont il le ferait. Il parle de la réforme des subventions, mais là encore sans plus de détails.
Comme sur tant de questions, le candidat des Frères musulmans, Morsi, a fait des déclarations très contradictoires en matière de politique économique. D’un côté, il a proposé un programme plus axé sur le marché, promettant de « limiter le rôle de l’État aux services de base ». Il réduirait et réorienterait les nombreuses subventions, et dit soutenir le libre-échange. Lui aussi réduirait les déficits à environ 6 pour cent du PIB. Il établirait une banque centrale indépendante, avec comme objectif principal la stabilité des prix. D’un autre côté il a appelé à accroître le nombre d’Égyptiens éligibles à l’aide sociale, cherche à annuler les dettes des petits agriculteurs, et veut créer un système de finance islamique parallèle au système bancaire et financier traditionnel.
Les deux candidats représentent également des menaces potentielles pour le type de société ouverte nécessaire pour promouvoir la croissance réelle et les opportunités. Un virage vers la charia ou la continuation de l’État sécuritaire de Moubarak assombriraient les perspectives de prospérité du pays.
La nécessité d’une réforme économique n’est pas particulière à l’Égypte, bien sûr. Les pays du monde arabe ont désespérément besoin d’ouvrir leurs économies. Tous les pays arabes non exportateurs de pétrole connaissent un déficit budgétaire important, et si on inclut les engagements de retraite non financés, leurs dettes se montent à plusieurs fois le PIB. En règle générale, les dépenses de l’État accaparent une large part ou la plupart de l’économie, les subventions sont omniprésentes, et le fardeau de la réglementation est énorme. À l’exception d’Oman et des Emirats arabes unis, pas un seul pays arabe ne fait parie des 50 premières nations en termes de liberté économique.
Quelle que soit l’issue du scrutin les 15 et 17 juin, il est évident que l’Égypte a besoin d’une bonne dose de liberté économique. L’Égypte doit commencer à réduire la taille et le coût de l’État, de son fardeau fiscal et réglementaire, mettre fin aux subventions, et mettre en concurrence les entreprises détenues par l’État ou les militaires. La réforme des retraites doit être reprise. Et l’accroissement de la liberté économique devrait aller de pair avec celui de la liberté personnelle. Sans ces réformes, l’économie continuera à stagner, la pauvreté et le chômage s’aggraveront, et la porte de l’extrémisme s’ouvrira toujours davantage.
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