Une enquête a été ouverte par le procureur général égyptien contre le célèbre humoriste et présentateur Bassem Youssef. Il est accusé d’avoir insulté le président Mohamed Morsi pendant sa chronique hebdomadaire sur la chaîne CBC. L’humour politique, démocratisé après la chute de Hosni Moubarak, prend, presque deux ans après, un sérieux coup.
L’humour égyptien est réputé et très apprécié dans le monde arabe. La chute du raïs Moubarak a permis la libéralisation d’une nouvelle forme d’humour. Celle de pouvoir railler les officiels. A l’époque, cela avait lieu uniquement dans le domaine privé et n’avait que peu d’effet sur le pouvoir du régime. Le présentateur et humoriste Bassem Youssef en a fait sa spécialité sur la scène publique. Il est devenu célèbre en mars 2011, quelques jours après la démission de l’ancien président égyptien, grâce à ses vidéos postées sur sa chaîne Youtube. Aujourd’hui, il présente chaque semaine une émission satirique, Al Bernameg, sur la chaîne CBC. Décor à l’américaine, tasse de café à la main, Bassem Youssef veille et raille les politiques. Seulement voilà, l’humoriste, chirurgien de formation, fait actuellement l’objet d’une enquête judiciaire pour avoir « insulté » le grand « Pharaon » d’Egypte, Mohamed Morsi, lors de sa dernière émission. Pour beaucoup, il s’agit d’une enquête antidémocratique dans un pays où le président islamiste a été élu démocratiquement.
« Mohamed Morsi doit être le garant de la liberté d’expression et non le gérant », explique Mona, étudiante égyptienne et humoriste à ses heures perdues. La jeune femme s’est elle-même heurtée à des complications pendant des stand-up dans lesquelles elle a participé. « Quand tu abordes un sujet, tu dois tout le temps faire attention à ce qu’il ne soit pas politique. Maintenant que nous pouvons ouvertement le faire, personne, même pas Morsi, ne doit nous retirer ce droit », fustige la jeune comique. « Morsi court le risque de déclencher de nouvelles tensions, avertit-elle. L’enquête ouverte contre Bassem doit être annulée au plus vite ! »
L’humour complète la révolution
Au summum de la tension, les Egyptiens ont tout de même su garder leur humour pendant le soulèvement populaire. Elle a été et est toujours une arme de contestation. Une manière de prendre de la distance avec la réalité. La place Tahrir s’était transformée en une vaste scène pour comiques en herbe. Les appels à la démission du président Moubarak se faisaient par des chansons et des slogans humoristiques du genre :
« Ya Moubarak, Ya Moubarak, el tayara fi entezarak » (Moubarak, Moubarak, l’avion t’attend,
« Ya Suzanne, Ya Suzanne, Tayaret Malta bel magan » : (Suzanne, Suzanne, l’avion pour malte est gratuit, en référence à Ben Ali qui avait fait escale sur l’ile),
« Egaged, peut-être le comprendra-t-il à l’envers » (Dégage),
« Dégage ! Je suis marié depuis 20 jours seulement et ma femme me manque»,
« Casse-toi, j’ai rendez-vous chez le coiffeur » (avait écrit un jeune avec une coupe afro).
Les Egyptiens sont drôles et savent tourner en dérision ce qui pourrait faire bouillir de colère dans un autre pays. Durant les évènements de février 2011, les réseaux sociaux ont joué un rôle crucial. La satire politique a ainsi pu atteindre un large public. La nouveauté depuis quelques mois, c’est qu’elle trouve sa place dans les écrans.
La satire politique nourrit la télévision
Bassem Youssef est de loin le satiriste égyptien politique le plus acclamé. Avec l’aide de quelques amis, il lance en mars 2011 l’émission B+, comparable au Daily Show, sur sa chaîne Youtube. Il entrelace alors subtilement l’humour aux séquences d’actualité avec pour principales cibles les politiques et les médias. Le buzz est réussi. Les épisodes de B+ reçoivent parfois plus d’un million de visiteurs. En été 2012, la chaîne indépendante ONTV franchit le cap et propose à Bassem Youssef de migrer son émission des médias sociaux à la télévision. C’est ainsi qu’El Bernameg, le rejeton de B+, voit le jour.
Nous sommes à quelques jours de l’élection présidentielle. L’humoriste se lâche et imite, à grand renfort de maquillage, perruques et autres accessoires, les candidats. Railler en public, et à la télévision un politique égyptien, et qui plus est, un futur président… Une première en Egypte. D’autres émissions tels que Rob’e Meshakel (Quartier mixte) ou encore Lamp Show ont vu le jour. Des programmes qui évitaient scrupuleusement l’humour politique au temps de Moubarak.
L’Egypte et l’humour, toute une histoire de famille. Et ce n’est pas le défunt président Gamal Abdel Nasser qui vous dira le contraire. Pendant son mandat (1956-1970, avant la République arabe unie), ce fervent opposant aux Frères musulmans s’est amusé à parodier en public une conversation qu’il aurait eue en 1953 avec le conseiller des frères musulmans. Preuve que l’humour a sa place dans la politique et même au plus haut sommet de l’Etat !