Selon un économiste réputé, le retour chez eux de milliers de travailleurs égyptiens à la suite de manifestations massives contre le régime de Kadhafi en Libye suppose des pertes de plusieurs millions de dollars en transferts de fonds. Par ailleurs, les émigrés rentrés au pays risquent de se retrouver au chômage.
« Il est évident que la perte de ces transferts de fonds ne peut qu’envenimer la situation », a dit Rashad Abdu, professeur à l’université du Caire. « La proximité de la Libye en fait une destination importante pour les centaines de milliers de travailleurs égyptiens qui n’ont pas trouvé d’emploi dans leur pays ».
Selon le ministère du Travail égyptien, environ 1,5 million d’Égyptiens travaillent et vivent en Libye. Ils envoient environ 1,5 milliards de livres égyptiennes (254 millions de dollars) par an au pays. Nombre d’entre eux sont venus chercher du travail en Libye parce que l’économie locale était incapable d’absorber le surplus de main-d’œuvre.
« Ce qui est triste, c’est que la plupart d’entre eux mettront du temps à retrouver du travail dans leur pays d’origine », a dit Saleh Naser, président du département du travail de la Chambre de commerce indépendante d’Égypte. La Chambre de commerce regroupe des propriétaires d’entreprises et des hommes d’affaires qui tentent de coordonner les actions du gouvernement et celles des milieux d’affaires.
« Pour résoudre le problème, le gouvernement doit absolument tenter d’ouvrir de nouveaux marchés pour ces personnes dans les pays du Golfe », a-t-il ajouté. Selon la Chambre de commerce, environ 10 pour cent de la population active, qui compte quelque 26 millions de personnes, est sans emploi.
Les Égyptiens qui travaillent à l’étranger envoient environ12 milliards de dollars par an au pays. L’Institut de la planification nationale, une institution gérée par l’État, prévoit cependant une diminution des transferts de fonds pendant le troisième trimestre de l’année fiscale en cours à la suite des troubles politiques qui agitent le Moyen-Orient.
En Égypte, les manifestations contre le régime d’Hosni Moubarak ont obligé la Banque centrale à fermer les établissements bancaires pendant plus de trois semaines. Il a en effet fallu attendre le 20 février pour que les opérations reprennent normalement.
« L’Égypte affiche un déficit budgétaire et une dette publique qui la placent au bord de la faillite », indique le groupe de réflexion Stratfor. La diminution des transferts de fonds ne peut qu’aggraver la situation.
Parmi ceux qui sont retournés chez eux, plusieurs sont les seuls pourvoyeurs de leur famille. Marwan, le fils de Youssef Fawzi, 59 ans, travaillait auparavant en Libye. Sans son soutien financier, la famille risque d’avoir du mal à joindre les deux bouts.
60 000 émigrés rentrés par voie terrestre
Selon des responsables, au moins 60 000 Égyptiens rentrés au pays étaient passés par Salloum, du côté égyptien de la frontière, en date du 24 février, et d’autres y étaient attendus. Si les migrants transportaient des sacs, des couvertures et d’autres effets personnels, nombre d’entre eux ont dit avoir laissé derrière eux de l’argent et des biens.
Lorsqu’IRIN s’est rendu à Salloum, des centaines de parents attendaient de voir si leur fils ou leur fille faisait partie des migrants qui étaient arrivés à bord de toutes sortes de véhicules après de longs trajets par voie terrestre.
« Mon fils m’a appelé hier pour me dire qu’il était en route vers Salloum », a dit Youssef Fawzi, 59 ans. « Je suis venu ici très tôt ce matin pour l’accueillir, mais il n’est pas encore arrivé ».
L’un des migrants, Tamir Mahmud, 27 ans, a dit que l’interruption des travaux sur le chantier où il était dans la ville libyenne d’al-Buraygah à la suite de tirs nourris dans les rues l’avait poussé à rentrer en Égypte.
Un autre, Hossam Rushdy, a dit que certains de ses amis n’avaient pas pu se rendre à Salloum parce qu’ils n’avaient pas de cartes d’identité. « D’autres ont été abattus », a-t-il ajouté.
Les autorités égyptiennes ont décidé de garder ouvert toute la journée le poste-frontière de Salloum, le seul point de passage terrestre avec la Libye, et ont envoyé des autocars en Libye pour aider les Égyptiens qui le souhaitent à rentrer chez eux. Elles ont également installé des tentes de premiers soins pour les migrants malades ou blessés.
Les habitants de Salloum et du gouvernorat côtier voisin de Marsa Matrouh ont rempli plusieurs camions de médicaments, de denrées alimentaires et de couvertures dans le but de les acheminer en Libye. Préoccupée par la possibilité d’une crise humanitaire en Libye, la population locale lance un appel aux dons de sang.
OIM
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a indiqué qu’une équipe de son bureau en Égypte devait, en collaboration avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), entreprendre dès le 26 février une évaluation de la situation qui prévaut à Salloum.
« Parmi les dizaines de milliers d’Africains subsahariens et des Sud-Asiatiques qui travaillent en Libye, seule une poignée ont réussi à atteindre la frontière jusqu’à présent. Les autres n’ont probablement pas d’argent pour payer le transport », a dit Laurence Hart, chef de mission de l’OIM en Libye.
Selon l’OIM, quelque 850 Égyptiens ont été accompagnés par du personnel de l’OIM et des bénévoles du Croissant-Rouge à l’aéroport de Djerba, où deux avions envoyés par le gouvernement égyptien les attendaient pour les ramener chez eux.
« Nous nous inquiétons pour tous ceux qui souhaitent partir mais ne peuvent pas le faire. De nombreux pays n’ont pas les ressources nécessaires pour évacuer leurs ressortissants et font actuellement appel à l’OIM. Nous lançons donc un appel d’urgence aux donateurs afin d’obtenir des fonds pour nous permettre d’intervenir ».