A l’origine de l’organisation des Frères musulmans, aujourd’hui au pouvoir en Égypte, Hassan el-Banna demeure un personnage trouble et obscur. Idolâtré d’un côté, caricaturé de l’autre, son histoire est dans tous les cas sujet à controverses. Une vie entre le militantisme politique et la religion, conclue de la manière la plus tragique qui soit.
Issu d’une famille très pieuse du nord de l’Egypte, Hassan suit d’abord une formation d’horloger. Puis, sous l’influence de son père, imam à ses heures perdues, il s’oriente vers l’islam et le militantisme. En effet, alors qu’il n’a que huit ans, il s’inscrit dans des associations pour le respect des « bonnes mœurs », aux méthodes contestables. Autrement dit, il s’agit d’une observation du comportement des habitants de son village natal, pouvant être suivie d’intimidations. A ses 14 ans, après son installation à Damâhur, le chef-lieu du gouvernorat de Beheira, il décide de devenir un jour instituteur, tout en prenant en charge la fonction de muezzin à la mosquée de son école. Il lui arrive souvent de s’opposer à la direction pour que les élèves participent tous à la prière ou encore pour décaler les cours en fonction de celle-ci. Déjà, il donne l’image d’un garçon sévère et étonnement conservateur pour son jeune âge.
Cela ne l’empêche pas d’obtenir de très bons résultats et d’être admis en 1923 à l’école normale du Caire, où il impressionne ses professeurs. On lui propose d’ailleurs de poursuivre ses études en Europe, grâce à une bourse du Ministère de l’Education égyptien. Or, cela n’est pas dans ses projets, il refuse pour enseigner dans son pays. Chose faite en 1927, à ses 20 ans. Il donne ainsi des cours à l’école d’Ismaïlia, près du canal de Suez, où il impose une discipline de fer à ses élèves. Parallèlement, il nourrit une haine tenace pour les Occidentaux, très influents dans la région, et ressent la nécessité dans s’engager en politique. En effet, il lui est insupportable de constater l’influence culturelle des Européens sur certains Egyptiens et la « perte de valeurs » de la société.
La naissance d’un leader d’envergure
En 1928, Hassan el-Banna créé l’association des Frères musulmans, dont le but est dans un premier temps de lutter contre la « colonisation culturelle » européenne et de faire naître en Egypte « un islam social ». Pour ce faire, lui et ses compagnons prêchent dans la rue afin de se faire connaître et d’influencer les Egyptiens, vers ce qu’ils jugent être la bonne pratique de l’islam. En 1929, les Frères musulmans comptent déjà quatre sections, quinze en 1932 et 300 en 1938. Les militants suivent une formation d’étude du Coran, des hadiths, de l’histoire musulmane, de la vie du prophète de l’islam. A cette période, le roi Ibn Saoud, à l’origine de l’unification du Royaume d’Arabie Saoudite en 1932, est l’exemple à suivre. Or, cela n’empêche pas les Frères musulmans de tisser des liens avec diverses tendances politiques en opposition au régime, parfois même avec des laïcs.
Hassan el-Banna, par le biais de l’organisation, fonde des écoles, des associations de charité, des bibliothèques, des entreprises et des dispensaires. Il comprend que la meilleure stratégie est de faire ce que le roi égyptien Farouk Ier, au pouvoir depuis 1936, n’entreprend pas pour les populations. Il veut gagner le cœur des Egyptiens et se substituer à un Etat qu’il juge téléguidé par les Britanniques. Le leader apporte également un soutien discret aux Palestiniens, en lutte contre les Britanniques et les juifs de Palestine. L’association fait parler d’elle et croît inexorablement, mais n’inquiète pas pour autant le pouvoir, qui minimise son importance.
Trop gênant pour rester vivant
C’est véritablement à partir des années 1940 que la monarchie égyptienne commence à comprendre que le pieux Hassan el-Banna, est en réalité un homme dangereux pour le régime, avec des visées politiques et panislamiques. Il s’oppose de plus en plus aux intérêts britanniques en Egypte, et gêne le roi Farouk Ier, qui l’emprisonne brièvement avant de le libérer. Les Frères musulmans prennent en effet de plus en plus de place, demandent une nouvelle fois la révision des accords anglo-égyptiens, mais aussi la réalisation de l’unité de la vallée du Nil ainsi que l’islamisation du droit.
En 1948, alors que l’organisation compte deux million de militants et intensifie sa lutte contre les juifs de Palestine, le roi décide sa dissolution pour « menées subversives contre l’Etat ». Quelques semaines plus tard, le chef de gouvernement Fahmi El-Noukrachi est tué par un jeune Frère musulman. En représailles, malgré ses appels à l’apaisement, Hassan el-Banna est assassiné le 12 février 1949, sur ordre du roi Farouk. Dès lors, Saïd Ramadan, son gendre, père de Tariq Ramadan, lui succède et tente de faire survivre l’organisation. Qui aurait pu croire à ce moment-là, qu’un jour, les Frères musulmans allaient accéder au pouvoir…