Une bombe. C’est l’effet produit par l’annonce des nouveaux projets du groupe financier égyptien EFG-Hermes dans le domaine culturel. Cinéma, musique, édition, multimédia : son appétit ne connaît plus de limite. Et les milieux artistiques s’émeuvent.
L’Egypte de Nasser n’est plus. Vive l’Egypte de la mondialisation ! Cette devise pourrait être celle du groupe bancaire égyptien EFG-Hermès qui souhaite, par le biais de sa branche Fonoun Holding Company, diffuser mais aussi produire dans tous les secteurs culturels : cinéma, musique, édition et multimédia.
Le projet est d’envergure puisqu’il embrasse le marché arabophone qui couvre le Proche Orient, l’Afrique Noire, l’Asie musulmane et le Maghreb. Les intellectuels s’émeuvent, le magazine Rose el-Youssef a lancé une virulente campagne d’opposition, le Centre National du Cinéma s’investit dans le lobbying et les rumeurs circulent sur la pénétration étrangère – juive pour ne pas la qualifier -, du patrimoine national à des fins subversives.
Ce à quoi Mehdi Dazi, Directeur Général d’Al Fonoun (les Arts), répond sereinement que ces rumeurs ne soulèvent qu’une question : » celle de la qualité (d’investigation) de la presse arabe « . Si l’émotion est telle, c’est que la stratégie du groupe est particulièrement agressive. En un trimestre, il dévoile le rachat d’une partie des fonds de diverses entreprises culturelles de renom.
Pression des intellectuels
Ce sont la célèbre maison d’édition Al Shorouq, Sawt el Fan (La Voix de l’Art), la maison de production musicale des héritiers de Abdel-Halim Hafez et de Mohammed Abdel Wahab, les noms d’artistes égyptiens, levantins, maghrébins et du Golfe, du catalogue de sa concurrente ‘Alam el-Fan, la chaîne de cinéma et théâtre Renaissance et … 850 pellicules de cinéma sur les 3200 films produits depuis 1935. » Nous ne franchirons pas la barre des 50 à 60% des films produits, assure Mehdi Dazi : la loi nous en empêcherait. »
D’après Business Today, le conseil des ministres a néanmoins réagi à la pression des milieux intellectuels et artistiques en votant un amendement en trois points : l’archivage de copies de tous les films existants et à venir, la protection des producteurs indépendants et celle du marché national de l’industrie cinématographique en anticipant sur les velléités de monopole et de main-mise étrangère. » Il faut bien voir que sans notre projet, argumente Mehdi Dazi, les films d’avant 1955 seraient, à cause du nitrate, menacés de disparition. Concernant la production, nous réagissons à la réalité des chiffres : de plus de cent films par an, elle est tombée, dans les années 80, à 40 films par manque d’argent et mauvaise organisation. »
Le cinéma égyptien perdra-t-il son âme ?
Pourquoi le milieu du cinéma est-il le plus prompt à manifester sa désapprobation ? Au-delà du symbole d’une industrie qui a amplement contribué à la diffusion de la culture égyptienne auprès de plusieurs générations du monde arabe, de nombreux intérêts privés se trouvent aujourd’hui menacés. A savoir, les quelques dizaines de maisons de production tenues par des acteurs. » Rien ne les empêche de trouver des fonds ailleurs. Nous, nous puisons dans nos fonds propres, ajoute non sans ironie M. Dazi. Monsieur Youssef Chahine pourra tout à fait continuer de faire appel à la France, par exemple. »
L’actrice Is’ad Younis a, quant à elle, choisi une autre option. Avec 1% des parts du Holding, elle se trouve à la tête de la Arabiya lil-Intag wal-Tawzia (la Compagnie Arabe de Production et de Distribution), le pôle proprement créatif de la Fonoun. Et elle n’y chôme pas : un premier contact a déjà été pris avec cet autre géant de la production égyptienne qu’est la Media City, en vue de l’utilisation de ses nombreux studios et décors ainsi que pour conclure des co-productions. A elle également de gérer la numérisation de toutes les vidéos acquises afin de nourrir une base de données qui dopera, via internet, la diffusion internationale des films. Idem pour la musique. Quant au monde réel égyptien, il devrait voir fleurir de nouvelles salles de projection.
Le cinéma égyptien est-il en passe de perdre son âme ? A moins qu’il ne réactualise les conditions originelles de son développement spectaculaire : la salle, les studios et la production Misr n’appartenaient-ils pas au célèbre banquier du début du siècle dernier, Tal’at Harb ?