Aujourd’hui, les causes telles que l’émancipation des femmes et l’égalité des genres sont prônées presque partout dans le monde. Et même si de nombreuses avancées sont notées quant aux traitement réservés aux femmes, il faut dire qu’il reste encore de nombreux secteurs où elles n’apparaissent pas vraiment. Il s’agit notamment de ces métiers dits “d’hommes”, comme la menuiserie, la maçonnerie ou encore la soudure. Dans ces métiers presque jalousement conservés par les hommes, quelques femmes arrivent tout de même à émerger. C’est le cas de Mme Edna Amagbegnon Zimonse, jeune femme de 24 ans, experte en soudure que nous avons découvert dans les méandres du concours “Le Trophée femme d’Afrique lumière du monde” et qui nous a accordé un entretien téléphonique sur son parcours et son expérience assez riches. Lisez plutôt.
Afrik.com : Qui est Edna Zimonse ?
Edna Zimonse : Edna Zimonse est une ingénieure en génie mécanique option productique, experte en physique et directrice de CENUS-Bénin, un centre d’usinage et de charpente sis à Abomey-Calavi.
Comment êtes-vous tombée amoureuse de la science ?
Depuis toute petite, quand il m’était posée la question de savoir ce que je voulais faire dans la vie, je parlais d’avoir une grande usine de fabrication de machine agricole. Cela me passionnait d’une façon toute naturelle. Aussi, ai-je eu la chance de grandir dans une zone où près de notre résidence, il y avait des mécaniciens tracteurs qui réparent les Caterpillar. Déjà que j’aimais cela par nature, je restais avec eux pendant les vacances pour voir comment ils travaillaient, et cela ma passion ne grandissait que davantage.
De toutes les filières scientifiques pourquoi avoir choisi la soudure ?
Pendant mes vacances quand j’étais au cours primaire, je restais avec eux pendant toute la journée et les soirs je rentrais. Je m’étais toujours dit qu’après la fin de mes études, je ferais de la mécanique. Et comme j’avais aussi un bon niveau, je ne pouvais pas abandonner l’école. J’avais eu d’abord un Bac C et plus tard, j’ai eu aussi le Bac D. Ensuite, je me suis inscrite à l’EPAC (Ecole polytechnique d’Abomey Calavi) pour faire le cycle ingénieur en génie mécanique. J’y ai passé 5 ans.
C’est impressionnant. Quand on parle de soudure, on pense d’abord aux hommes. Alors quel a été votre parcours dans ce métier considéré à priori comme réservé à la gente masculine ? Comment parvenez-vous à vous faire un nom dans ce secteur où l’on voit rarement les femmes ?
Ça dépend, vous savez. Moi par exemple, étant donné que je suis dans un travail où il n’y a que des hommes, l’essentiel pour moi est de savoir se respecter. Souvent, les gens me demandent : “Est-ce que vos ouvriers vous respectent ? Comment ça se passe ?” Je réponds souvent : “Oui, pourquoi cela vous étonne ?” Naturellement les gens me respectent, je n’ai pas besoin de quémander leur respect. Ce n’est pas une guerre. Il suffit juste de se respecter soi-même, c’est tout. Ce n’est pas si difficile. Lorsqu’on l’on est soi-même performant, que l’on maîtrise son travail et que l’on se respecte soi-même en tant que chef, les autres vous respectent presque automatiquement.
Maintenant, si vous sentez que l’on vous piétine un peu et que l’on essaie de dévaloriser votre travail, vous n’avez pas forcément besoin de riposter. En tout cas, moi je ne riposte pas. Je fais comme si je n’avais rien remarqué et je continue le travail normalement. Même quand j’étais en formation, j’étais déjà victime de ce type de brimade. Pour moi, c’étaient des collègues et je ne faisais aucune différence entre nous. Je ne les voyais pas comme étant supérieurs à moi.
Comment vos proches ont-ils réagi face à votre choix de métier ?
Ça a été un véritable problème parce que tout le monde n’accepte pas ce fait. Pour certains, c’est presque un péché, un événement surnaturel. D’autres encore ont essayé de me décourager, prétextant que je n’avais aucun avenir dans ce milieu.
Avez-vous eu des proches qui vous ont apporté un soutien particulier ?
J’ai eu le soutien inconditionnel de ma mère. Mon père, lui, n’était pas d’accord. Il disait que c’était un métier d’homme. Pour lui, je n’allais pas pouvoir réussir. Mais au fil du temps, il a finalement accepté. Mais au début ce n’était pas facile. Il voulait que je fasse la médecine. Il ne comprenait pas cette affaire de mécanique. C’était très difficile au début. Mais je lui ai tenu tête et j’étais persuadée que j’allais réussir. J’étais déterminée.
Parlez-nous de votre entreprise CENUS-Bénin
CENUS-Bénin est spécialisée dans la fabrication de constructions métalliques à l’instar des charpentes métalliques, des grilles de sécurité, les rampes pour les escaliers, etc. Le client peut exiger une conception en 3D. On la lui montre et une fois qu’il l’approuve, nous passons à la fabrication. Nous sommes comme un bureau d’étude. Tous nos contrats sont absolument remplis avec un service-conseil, un accompagnement et un suivi après la livraison. Nous nous investissons également dans la fabrication de machines agricoles et offrons un accompagnement aux jeunes entrepreneurs qui souhaitent faire la promotion du “Made in Benin”.
Quelles sont les atouts de CENUS-Bénin par rapport à ses concurrents?
Ce qui fait notre particularité, c’est le fait que nous soyons dans l’innovation. Nous offrons un service sur mesure à chaque client ; un service qui respecte les cahiers de charges. Il ne s’agit pas de mentir au client pour lui promettre de la qualité et d’utiliser du matériel de basse qualité. Nous avons à cœur de faire preuve de clarté dans la conception et la gestion des commandes.
Aussi, avons-nous un cahier de charge explicite où le client peut décrire ce qu’il veut vraiment. Nous lui faisons donc les propositions qui s’ajustent à son budget tout en ayant à cœur de lui fournir un travail de qualité. La conception se fait donc avec le client pour lui donner une idée précise du rendu final. Cette étape est importante parce que des fois, les clients ont un budget de 150.000 FCFA pour faire un portail par exemple, mais ils choisissent un portail qui vaut 300.000 FCFA. Il y a donc parfois cette disproportion dans l’esprit des clients. Nous essayons donc de les recadrer un peu en leur proposant des modèles à la fois designés, résistants et qui rentrent dans leur budget. Un autre élément sur lequel nous misons est le respect du délai de livraison.
Quels sont vos projets ou rêves pour l’avenir ?
Mon rêve ultime est de bâtir une grande usine. Déjà, nous avons un produit que nous sommes en train de promouvoir. Il s’agit des « brouettes 229 ». Notre premier objectif est donc de promouvoir cette rouette afin qu’elle soit connue et adoptée non seulement au Bénin, mais aussi dans la sous-région. Ce sont des brouettes très résistantes, qui résolvent beaucoup de problèmes au niveau de la construction sur les chantiers. Voilà donc notre objectif à court terme.
Quels sont vos attentes en ce qui concerne le concours « Le Trophée femme d’Afrique lumière du monde » ?
Bon, ils m’ont contactée pour que je participe et moi déjà, j’aime beaucoup faire parler de mon entreprise. Et c’est le premier avantage que je tire de la participation à ce concours. Cela m’offre une certaine exposition au monde. Rien n’est aussi précieux pour l’ingénieure que je suis et pour l’entreprise que je dirige. Mais au-delà de cet aspect, je vise, bien entendu, le premier prix.
Quels sont vos plus grands regrets ou échecs ?
Il y a quelque temps, nous avons conçu et réalisé près de 10 portes pour un chantier. Premièrement, le client a refusé de réceptionner le travail à la livraison. C’étaient des grilles, il a voulu que ce soit plus serré au mépris de nos accords initiaux. Nous avons dû reprendre l’ensemble du travail pour satisfaire sa demande. Le client est roi, comme on dit. C’est un jour qui reste gravé dans ma mémoire.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes filles qui hésitent à suivre des formations dites “d’hommes” comme la soudure ?
Je vais leur dire de foncer droit, de ne pas se décourager. A force de volonté, on parvient toujours à ses objectifs. Seule la volonté et rien d’autre. Certes, il y aura des obstacles et ils seront de diverses natures. Le premier est de type physique. Il faut le reconnaître, nous, en tant que femmes, n’avons pas les mêmes capacités que les hommes. Du coup, en nous lançant dans les disciplines qui sont la plupart du temps embrassées par des hommes, nous allons déployer plus d’énergie et d’efforts avant de parvenir au même résultat que les hommes.
La combinaison de la volonté, de l’entraînement régulier, de la persévérance et de la foi nous aide à surpasser nos limites et à faire autant, parfois plus que les hommes. Ce qu’il faut surtout garder en mémoire, c’est que nous ne sommes pas en concurrence avec les hommes. J’insiste sur cet aspect, parce qu’il y a des femmes qui agissent avec violence et brutalité lorsqu’elles s’insèrent dans des métiers d’homme. Elles n’agissent plus comme des femmes. Même leur habillement change. Elles veulent, en tout, se comporter comme des hommes. C’est n’est pas le mindset qu’il faut développer. Il ne s’agit là que d’une simple dérive.
Lorsque l’on me voit à la maison ou hors de mon cadre professionnel, on ne peut s’imaginer que je fais un métier d’homme. Physiquement, je m’habille comme une femme. C’est ma nature, et je ne suis pas agressive. Faire un métier d’homme ne veut pas dire ressembler à un homme. C’est deux choses différentes. Et ce n’est pas aussi une guerre contre les hommes. Tout se passe en vous, en étant pleinement consciente de vos capacités. En vous mettant dans une guerre, c’est comme si vous faites deux choses à la fois. Si en plus d’apprendre, vous devez encore comparer vos performances à celles des hommes, vous risquez d’exploser à un certain moment.
Comment arrivez-vous vous à dissocier vie personnelle et vie professionnelle ?
Dans l’entreprise, j’applique les principes élémentaires de rigueur comme n’importe quel chef d’entreprise, sans aucune forme de complaisance. Mais après, je suis juste une femme… comme toutes les autres. Oui, j’ai une vie privée. Je ne mélange pas ma vie professionnelle à ma vie privée. Je vis comme tout le monde. J’ai mes distractions. Quand je rentre, je prépare et je mange. C’est comme n’importe quel autre travail. Ce n’est pas parce que je fais un métier d’homme que je ne vais pas préparer à la maison, que je ne vais pas balayer ma maison. Je suis donc naturellement comme toutes les femmes.
Que peut-on retenir de votre parcours actuel en termes d’ expériences ?
Ce que je retiens essentiellement, c’est qu’il ne faut jamais baisser les bras. A un moment donné, j’ai failli tout abandonner. Il m’est arrivé plusieurs fois de laisser tomber la mécanique. A un moment donné, j’ai failli me trouver un emploi classique et m’asseoir dans un bureau comme la plupart de mes connaissances. À maintes reprises, je me suis découragée, mais je n’ai pas baissé les bras. Il est possible de se décourager, mais ce qui n’est pas permis, c’est de baisser les bras.
J’exhorte la jeunesse à être déterminée parce que c’est cela le véritable handicap aujourd’hui. Filles comme garçons ne savent plus vraiment ce qu’ils veulent. Quand ils se lancent dans une entreprise, ils abandonnent à la moindre petite difficulté. Or sur cette terre, rien n’est facile. Nous rencontrons tous des embûches, mais face à cela, il faut se relever au lieu d’abdiquer.