Le virus Ebola frappe de plein fouet l’Afrique de l’Ouest, notamment la Guinée, le Liberia, la Sierra Leone, où près de 4000 morts sont à dénombrer. Le Sénégal, pays voisin, est loin d’être à l’abri, même s’il a réussi à guérir son unique cas d’Ebola. Afrik.com est allé rencontrer la ministre sénégalaise de la Santé, Eva Marie Coll Seck, qui dit tout sur cette fièvre hémorragique qui fait trembler le monde entier.
Ebola sévit en Afrique de l’Ouest et étend ses tentacules vers l’Occident où des cas de contagion voient le jour. Au Sénégal, un cas de la maladie y a d’ailleurs été détecté et soigné. Comment les autorités sénégalaises sont-elles parvenues à gérer ce cas unique et éviter une propagation du virus à l’échelle nationale ? Quelles sont les dispositions prises par le gouvernement du Sénégal pour faire face à Ebola ? Pourquoi le Sénégal a fermé ses frontières ? Autant de questions auxquelles la ministre sénégalaise de la Santé, Eva Marie Coll Seck, répond. Entretien exclusif.
Afrik.com : Le Sénégal a réussi à guérir l’unique cas d’Ebola. Peut-on dire que le pays est tiré d’affaire ?
Eva Marie Coll Seck : Je voudrais dire tout de suite que tant qu’il y aura un cas d’Ebola dans la sous-région, on ne peut pas considérer que le pays est tiré d’affaire. Et c’est pour cela que nous appuyons fortement la solidarité internationale qu’il y a pour aider les pays les plus touchés, notamment la Guinée, la Sierra Leone, le Liberia. Tant qu’il y aura des problèmes là-bas, nous aurons toujours la possibilité d’avoir Ebola, comme on l’a toujours appelé : un cas importé. Le Sénégal était relativement bien préparé et organisé, mais la situation dans la sous-région est quand-même inquiétante. Il faut que l’on soit sur nos grades pendant encore quelque temps.
Afrik.com : Comment expliquez-vous la guérison rapide du jeune Guinéen atteint d’Ebola et qui avait réussi à passer à travers les mailles des filets du Sénégal ?
Eva Marie Coll Seck : Je ne pense pas que cela soit une guérison rapide. Le malade a été diagnostiqué positif du virus, et il était malade déjà depuis une semaine lorsqu’il a été admis aux soins. Il était au niveau des postes de santé, ensuite il est allé à l’hôpital, etc. Puis il est sorti guéri au bout de deux semaines. Il faut savoir qu’on peut vite mourir du virus Ebola, mais on peut aussi en guérir. Il y a d’autres malades qui ont guéri de la maladie dans la sous-région. Dans les trois semaines, le malade peut avoir son sort scellé. Il peut soit mourir de la maladie ou en guérir. Je pense que c’est cette information que beaucoup de personnes n’avaient pas pour qu’elles soient étonnées qu’un malade guérisse de la maladie. Quand ce jeune garçon (Guinéen, ndlr) vous raconte ses souffrances, cela n’a pas été évident.
Afrik.com : Cela veut dire qu’on peut guérir du virus Ebola ?
Eva Marie Coll Seck : Oui, l’être humain peut parfois spontanément guérir d’une maladie, à plus forte raison quand il a tout un appui, notamment avec les signes que le malade a, les traitements symptomatiques. Par exemple, on a une forte fièvre quand on a Ebola, et le malade a reçu les médicaments nécessaires pour faire baisser la fièvre déjà, et faire de sorte qu’il soit serein. Il a eu des maux de tête, des diarrhées, il a été déshydraté. On l’a perfusé. On a utilisé tous les signes pour lui apporter le traitement adapté. On a tout fait pour que son cas ne s’aggrave pas aussi. Il y a aussi des cas fulgurants ou ça va très vite, le malade peut très vite mourir, en deux jours par exemple. Tout dépend des organismes. Ce qui est sûr est que ce malade, s’il n’avait pas eu ces différents traitements, il aurait pu ne pas s’en sortir. On a donc traité les symptômes, mais il n’y a pas eu de traitement contre le virus lui-même. Quand on aide l’organisme a combattre tous les signes évoqués, c’est l’organisme lui-même qui va chasser le virus. Par exemple, quand on a la grippe, on traite avec beaucoup de médicaments : de la vitamine C, du paracétamol, et autres. Et on en guérit. Mais on n’a pas eu de traitement contre la grippe elle-même. il faut comparer ainsi pour que les gens comprennent mieux. Quand il y a des épidémies de grippe, des gens meurent. Certains de façon rapide, car il y a peut-être eu une forme fulgurante, d’autres meurent plus lentement. Certains et beaucoup même en guérissent.
Afrik.com : Et si d’autre Guinéens s’aventuraient vers la frontière, d’autant que le Sénégal a réussi à guérir le seul cas de virus Ebola qui s’est présenté ?
Eva Marie Coll Seck : Guinéens ou pas, la frontière est fermée. Et il y a eu plus de 500 personnes refoulées depuis ces dernières semaines. Et ce sont des personnes d’origine guinéenne, des Sierra-Léonais, des Libériens, des Américains, des Irlandais. Ils ne sont pas passés parce qu’ils venaient des zones infestées. C’est juste pour dire qu’il y a eu des gens de différentes nationalités qui ont voulu passer les frontières, mais c’est fermé. Ceux qui veulent traverser les frontières sont refoulés, idem pour ceux qui tentent de traverser les frontières artificielles. La gendarmerie, la police et l’armée font des patrouilles pour veiller au respect de cette fermeture de la frontière. Les gens parlent de frontières poreuses, il faut quitter Dakar et aller vers ces localités. En effet, c’est libre et sans patrouille, c’est le désordre. Et nos forces de sécurité veillent au grain.
Afrik.com : Quels sont les moyens mis en œuvre par le gouvernement pour faire face à Ebola ?
Eva Marie Coll Seck : Le Sénégal a mis sur pied un plan de riposte dès début mars. Le 27-28 février, on nous a dit qu’il y avait Ebola en Guinée. Quelques jours plus tard, on a convoqué tout le monde pour mettre sur pied un comité de crise. Et ce comité a identifié des points faibles de notre système, qui étaient d’abord que le personnel de santé n’était pas très bien informé de la maladie. Nous n’avons pas mis dans les programmes les maladies rares. Et Ebola ne faisait pas partie du tout des maladies qui étaient connues dans la sous-région. On entendait vaguement parler d’Ebola au Congo, qui était assez loin. Donc, on n’avait pas du tout une idée de la maladie. Les médecins, infirmiers et autres, personne n’avait, en dehors de « voilà la liste type des maladies hémorragiques », et dedans il y a Ebola. Comme le nom aussi ça accroche. Mais personne ne connaissait Ebola. A part qu’il y avait une maladie Ebola, et qui avait vu le jour dans la forêt au Congo. Maintenant, quand on vous dit qu’une telle maladie est à vos portes, et que vous n’avez jamais vu de malade d’Ebola, que vous ne savez pas comment ça se passe, il faut se protéger. Et on a dû faire des séances d’information et de sensibilisation du personnel médical d’abord. Cela a été notre priorité, d’autant que ce sont eux qui allaient être aux premières loges. Puis le gouvernement a aussi donné du matériel de protection. Au début, ce n’était pas évident, car il n’y avait pas beaucoup de moyens. Mais on a donné du matériel de protection qui a tout de suite été envoyé dans les régions. Par exemple dans chaque région, dans chaque département, il y avait un stock de gros matériels pour, au cas où il y aurait un cas suspect ou autre, qu’on puisse mobiliser ce matériel et l’amener à l’endroit où il serait nécessaire.
Afrik.com : On a vu une grosse campagne de sensibilisation sur la maladie…
Eva Marie Coll Seck : Oui, on s’est rendu compte que les populations n’étaient pas aussi informées. Le Sénégal a lancé une vaste campagne de communication sur Ebola, sur la manière dont la maladie s’attrape. On a quand-même essayé de faire quelque chose, de sorte que tout le monde comprenne qu’il y a quelque chose qui était là. On n’avait pas de cas, mais il fallait qu’on y pense, il fallait qu’on soit mobilisé. Je peux dire que pendant tout le temps qu’on se préparait, j’avais l’appui de monsieur le président de la République et du Premier ministre. Ils étaient tout le temps à l’écoute. Ils me posaient des questions, je les informais. Il n’y a pas eu un moment où on ne me disait pas « alors et Ebola, comment ça se passe ? Tu as besoin de quoi ? », etc. Il y avait une vraie mobilisation.
Afrik.com : Quelles sont les dispositions prises par le Sénégal pour barrer la route à cette maladie dangereuse ?
Eva Marie Coll Seck : On a voulu faire, dans le plan que nous avons mis en œuvre, une approche multisectorielle. Par exemple, dans le secteur public, on a mobilisé tous les ministères. Ils ont tous été informés. Il y a eu des lettres circulaires, il y a eu des rencontres avec les ministres etc, pour que tout le système comprenne qu’il y avait une maladie pas loin, et qu’il fallait, le moment venu, qu’on soit tous mobilisés. On a vraiment essayé de massifier comme on dit, et toucher le maximum de personnes au plan de l’information et de la communication. Il y a eu aussi le système de surveillance qui a vraiment été renforcé. Tout cela, depuis mars. Notamment, les médecins et les superviseurs au niveau du système ont eu une formation pour être plus vigilants, sur la manière de diagnostiquer un cas éventuel et le notifier. A qui on doit le notifier, comment on doit procéder. L’Institut Pasteur a été mobilisé. On a tout fait en disant « peut-être on aura pas de cas, mais on le fait quand-même. Jusqu’à ce qu’on ait ce fameux cas (Guinéen infecté arrivé au Sénégal, ndlr).
Afrik.com : Quelle a été votre réaction après ce fameux cas ?
Eva Marie Coll Seck : Là, on a mis l’artillerie lourde. Pendant qu’on était sur la phase de préparation de mars à juillet-août, le gouvernement du Sénégal avait débloqué 150 millions FCFA pour acheter le matériel de protection et faire les campagnes de communication, etc. Quand on a eu le cas qui sonnait comme une crise, nous avons fait appel aux partenaires qui nous venaient aux réunions. Avant le cas, ce n’était pas nécessaire, on se disait qu’on avait l’argent. On avait les 150 millions FCFA et on se disait que ça suffisait. Parce que ce n’était pas une période de crise. Quand on a eu cette crise, c’est là qu’on a renforcé le dispositif. A ce moment-là, il y a eu la création de commissions. Des commissions très larges qui vont de la commission prise en charge où il y a tous les spécialistes, à la commission surveillance épidémiologique. S’il y a un cas, on regarde partout où il est passé et les gens sont confinés à domicile. Et il faut aller les voir matin et soir pour prendre leur température. Il y avait une commission qui ne s’occupait que de ça.
Une commission socio-anthropologique et comportementale. Il fallait impliquer d’autres sciences, car c’est un problème global et non seulement médical. Dans cette commission dirigée par un anthropologue, il y avait des sociologues, des psychiatres, etc. On n’a pas voulu qu’il n’y ait que des médecins.
Une commission recherche et éthique dirigée par un professeur d’université.
Une Commission ressources financières, présidée par le ministère des Finances,
Une commission sécurité. Quand il y a eu le malade, des gens sont allés pour le tuer. On a dû appeler la police pour les disperser. Autour de la maison qui avait hébergé le Guinéen, il y avait des policiers en civil pour veiller à ce que les gens ne soient pas agressés.
Bref, ces commissions étaient au nombre de dix, et il y avait un travail qui se faisait au jour le jour.
A suivre…
Dans la seconde partie, la ministre de la Santé explique pourquoi le Sénégal a fermé ses frontières, la réaction des autorités guinéennes, comment le Sénégal compte aider à combattre Ebola…