Plusieurs centaines de travailleurs sans papiers campent devant l’Opéra Bastille, à Paris, depuis le 27 mai. Chassés par la police, ils y sont revenus. Ils réclament du gouvernement français une circulaire qui ne se limite pas au cas par cas. Reportage.
Les papiers, c’est « tout ». Un même mot pour un même espoir dans les bouches d’Abdelkarim, Macolou et Wagi. Depuis 1991, le commerçant Abdelkarim faisait des aller-retour entre l’Algérie et la France mais, « menacé » en 2003 dans son pays par des « groupes terroristes », il est depuis « obligé de rester en France ». Sans papiers, il travaille alors « dans le bâtiment, en charge du marteau-piqueur le plus souvent ou à la plonge dans les restaurants ». Il souligne que, comme les 6000 autres travailleurs sans-papiers mobilisés depuis 8 mois, il «travaille, cotise, paie des impôts en France ».
Bâtiment, travaux publics, pose de rails, le Sénégalais Macolou fait depuis 2001 « tout ce que les Français refusent de faire ». S’il avait des papiers, il cesserait d’être «cloîtré en France ». Le rêve de ce jeune homme de 36 ans ? Retourner auprès de sa famille qu’il n’a pas vue depuis 9 ans, et qui est de plus en plus « inquiète » quant à son sort. Selon le Malien Wagi, en France depuis 2002, « patrons et gouvernement refusent de nous donner des papiers pour continuer à nous exploiter. Nous avons des devoirs mais aucun droit ». Abdelkarim va plus loin : « C’est de l’esclavage moderne. On nous exploite, et nous ne pouvons rien dire ».
Des critères clairs pour remplacer le « cas par cas »
C’est notamment pour être à égalité avec les autres travailleurs et pouvoir faire valoir leurs droits que plus de 6000 travailleurs sans-papiers sont en grève depuis 8 mois et occupent à tour de rôle l’esplanade située devant l’Opéra Bastille depuis le 27 mai. Ibrahima Diallo, délégué des travailleurs sans-papiers des secteurs du nettoyage, du gardiennage et de l’aide aux personnes éclaircit les revendications de ses frères de combat : un texte clair concernant l’attribution des papiers. « Actuellement, la régularisation vient de la volonté des préfets. La circulaire que nous avons refusée en novembre accentuait leur rôle », ajoute-t’il. La circulaire édictée par Eric Besson le 24 novembre précisait les critères de régularisation par le travail : au moins cinq ans de présence sur le territoire français, un an d’ancienneté dans une entreprise et une promesse d’embauche, mais un examen des demandes « au cas par cas ». Pascal Decary, directeur des ressources humaines de Veolia propreté reprochait lui aussi dans une interview aux Echos que la circulaire ne fournit pas de « critères précis : elle n’est pas appliquée de la même façon d’un salarié à l’autre, car son interprétation varie selon les préfectures ».
D’après Ibrahima Diallo, de nombreux grévistes qui ne sont pas soutenus financièrement par leur famille ont perdu leur logement. Pour qu’ils puissent manger et se déplacer, onze organisations dont la CGT, la CFDT, Solidaires, la Cimade et Droits devant les aident. De nombreux Français donnent également lors des quêtes pour ces sans-papiers souvent d’origine africaine, qui n’ont plus grand-chose à perdre. Délogés des marches de l’Opéra par la police jeudi dernier, ils investissent dorénavant le trottoir devant la prestigieuse salle. Prêts à occuper nuit et jour l’esplanade pour obtenir une circulaire claire du ministère de l’immigration, ils ne sont probablement pas prêts à lever le camp.