Contributeur d’Afrik.com, Raoul Nkuitchou Nkouatchet, consultant en relations industrielles, et Président honoraire du Cercle Mont Cameroun, à Paris, nous propose une analyse sur le comportement déplorable de certains Africains suite aux attentats de paris.
La France a connu, vendredi 13 novembre 2015, les pires attaques sur son sol depuis la Seconde Guerre mondiale : 130 morts et plus de 350 blessés. Un drame qui a provoqué une onde de choc dans le monde entier. Mais il s’est trouvé des hommes pour comprendre si ce n’est carrément justifier ces actes terroristes, et parmi eux des Africains ou des originaires d’Afrique ; ils s’en sont donnés à cœur joie sur les réseaux sociaux. Pèle mêle, la France paye, selon eux, le tribut de ses turpitudes historiques ou diplomatiques. Exactement une semaine plus tard, le vendredi 20 novembre 2015 à Bamako, comme l’histoire sait se montrer ironique, une prise d’otages dans un hôtel huppé de la capitale du Mali, fait au moins 21 morts et de nombreux blessés. Même commanditaires et même méthodes, sauf que cette fois-ci cela se passe sur le sol africain. Les ratiocinations de ceux qui expliquent ces attentats par l’histoire, la politique ou la diplomatie françaises prêteraient à sourire si elles ne révélaient un vrai péril : le basculement de milliers d’Africains dans une sorte de nihilisme.
Au nom donc de l’histoire heurtée entre l’Afrique et la France, certains Africains seraient capables de trouver normal que des Hommes français se fassent descendre comme des lapins alors qu’ils sont attablés à la terrasse d’une brasserie, ou en train d’assister à un concert de rock dans une salle de spectacle, ou simplement parce qu’ils ont commis le péché d’aller voir un match de football au stade de France ! Il convient de s’interroger sur le fait que des gens tout à fait capables de discernement en viennent à sympathiser avec les actions des membres d’une secte apocalyptique, qui n’ont par ailleurs jamais manifesté le moindre intérêt pour quelque cause africaine que ce soit. Un détour par l’impasse où se trouve l’Afrique aujourd’hui, en particulier l’ancienne Afrique française, aidera à élucider une telle étrangeté. Au fond, le problème ce n’est pas la France. Car à quels lendemains africains prépare cette passion funeste, contre productive qui se répand dans la tête d’hommes et de femmes de plus en plus nombreux qui, au lieu de construire méthodiquement les réponses aux défis gigantesques qui s’imposent à leur continent, se complaisent dans l’aigreur, la jalousie, la haine ? Est-ce de cette manière que les Vietnamiens, les Indiens ou les Chinois se sont remis de la domination européenne qu’ils ont subie ?
Hubert de Leusse a justement rappelé combien l’Occident est persuadé avoir fait beaucoup pour le Continent noir. Ayant donné aux Africains une langue qui leur permet une plus large communication entre eux et avec le reste du monde ; une formation de l’intelligence à la rigueur logique, au raisonnement mathématique ; une science et une technique qui ouvrent l’accès au développement. Mais l’Occident n’a jamais assez pris en compte le fait que sa brusque et violente intrusion a créé chez les Africains un déséquilibre moral et spirituel très profond. L’Occident a commis l’erreur fatale d’imposer sa propre civilisation aux Africains. Il ne s’est pas aperçu qu’en « occidentalisant » l’Afrique, il la diminuait, il la mutilait en quelque sorte. L’assimilation est « aliénation », puisqu’elle consiste à transformer « l’autre » en soi-même, donc à le supprimer en son être originel et original. Ce manquement tragique a provoqué des traumatismes insurmontables chez beaucoup. Après avoir été à l’école des Blancs, c’est bien un Africain, un Noir extrêmement célèbre qui a pu dire : « L’émotion est nègre comme la raison hellène ! » Symbole suprême de l’automutilation des ressortissants de l’Afrique francophone. Tout le monde n’est pas d’accord avec ça, heureusement. Parce que l’Afrique existe et elle existe depuis longtemps. Nombre d’Africains, ayant même bénéficié de l’éducation scientifique ou technique à l’école européenne, ressentent comme un malaise par rapport à l’héritage et laissent percer une essentielle misère spirituelle. La greffe européenne sur l’âme africaine s’est révélée rude dans ses conséquences.
On sait que, associé au souvenir d’une humiliation, d’une blessure narcissique, d’une injustice subie, le ressentiment induit un désir de vengeance, de punition d’une offense ; il peut s’exprimer de façon explicite plus ou moins hostile et malveillante, se dissimuler derrière la rancune. Sa rumination peut alimenter des symptômes divers selon la structure des personnalités. Il est également vrai que l’actualité persistante de la françafrique – ces rapports ambigus et archaïques qu’entretient la France avec son ancien empire subsaharien – n’aide pas la cicatrisation des plaies. Il est vrai que la stratégie de puissance de la France a ses revers, dont l’incompréhension et le rejet. Mais peut-on rigoureusement blâmer ce pays, lorsque l’on sait que le « penchant universel de tout le genre humain [est] un désir inquiet d’acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu’à la mort » (Hobbes). Tout cela étant dit, force est de reconnaître que l’accélérateur le plus sûr de cette passion qu’est la francophobie dans certains milieux africains demeure la mal-gouvernance qui, à quelques exceptions près, constitue la règle au sein de l’ancien empire français d’Afrique. Le Continent noir ne produit pas assez de richesses pour affronter sérieusement les défis existentiels auxquels il est soumis ; et même le peu qui est produit est mal géré : c’est ce qui maintient l’Afrique dans l’isolement et la pauvreté. Et si on ajoute à cela le manque d’imagination au niveau de la conception des programmes de formation, qui fait de cette partie du monde le seul endroit où l’on apprend depuis le bas âge à connaître et à rêver davantage de l’étranger que de son propre environnement, on sait que tout est mis en place pour fabriquer la frustration et parfois la révolte chez les futurs adultes.
DAECH, cette bande de tueurs, prône le retour à une sorte d’âge d’or de l’islam (VIIIe-XIIe siècles) ! On doit comprendre pourquoi l’Occident est le cauchemar de ces hommes. Fernand Braudel dit : « La vie spirituelle et intellectuelle de l’Europe est sous le signe violent du changement. Elle aime, elle crée les ruptures, les discontinuités, les orages, à la recherche sans fin d’un monde meilleur. » Mais qu’est-ce que les Africains ont à mêler leur voix à celle des djihadistes, lorsque l’on sait le mépris que ces gens-là vouent à quiconque se réclame, ne serait-ce que partiellement de l’héritage occidental. L’héritage est l’objet d’un choix dans le passé, et les héritiers ne se comptent pas seulement chez les descendants des occidentaux ; mais bien parmi ceux qui se reconnaissent au moins dans l’une de ces idées majeures qui ont façonné le monde d’aujourd’hui. La Grèce, Rome et le christianisme constituent certes les fondements sur lesquels s’est bâti l’Occident, mais des millions d’hommes dans le monde apprécient l’esprit critique, l’éthique et le sens de l’histoire issus de la tradition grecque ; le droit et la rhétorique hérités des Romains ; le christianisme, issu du monothéisme juif, qui universalise la promesse du salut. L’Africain doit-il avoir honte de considérer l’Etat de droit et la démocratie comme de belles conquêtes de l’esprit humain ?
C’est surtout de leurs rapports à eux-mêmes en tant qu’Africains qu’il est question, la France n’étant qu’un prétexte. La fascination unilatérale qu’exerce l’Occident, la France particulièrement pour ce qui est de sa zone d’influence, sur les Africains commence à être un véritable frein à l’épanouissement des hommes sur le Contient noir. Il n’est pas possible que des millions d’Hommes continuent de s’en référer à l’Autre pour se définir eux-mêmes. Il est urgent que les Africains travaillent à redevenir eux-mêmes, sinon cette espèce de névrose obsessionnelle à l’égard de la France se transformera en hypothèque pour le devenir de l’Afrique. Les propres insuffisances des nations africaines, leurs propres errements, leurs propres lâchetés sont systématiquement commutées en incompréhension, en accusation de la France et de l’Occident qui pleurent trop leurs morts et ne parlent pas assez de « nos catastrophes » ! Comme s’il revenait à la France d’organiser des marches de solidarité avec le Kenya à Abidjan ou à Dakar, lorsque ce pays est attaqué par les mêmes bêtes sauvages, comme si c’était de la faute de l’Occident, si le président camerounais regarde les razzias de Boko Haram sur le nord de son pays depuis l’Hôtel Intercontinental de Genève ! A défaut de s’aimer entre-eux, les gens finissent par s’attendre à être aimés par ces Français et ces Occidentaux dont on consomme les produits – matériels, culturels et intellectuels – depuis une éternité en Afrique.