
Face à l’hégémonie occidentale et chinoise dans le domaine de l’intelligence artificielle, l’Algérie orchestre une riposte continentale ambitieuse. Depuis Oran, le Projet Africain pour une Intelligence Éthique, Inclusive et Africaine (PAIEIA) mobilise quinze institutions universitaires pour développer des technologies adaptées aux réalités locales. Un pari scientifique pour redessiner la carte de l’innovation mondiale et faire émerger une voie africaine dans la révolution numérique.
Dans un monde où 95% des algorithmes d’IA sont entraînés sur des données occidentales, l’Algérie lance une révolution numérique silencieuse. Oran, ville historique aux multiples influences, devient l’épicentre d’une ambition inédite : créer la première intelligence artificielle conçue par et pour l’Afrique. « Nous ne voulons plus être de simples consommateurs de technologies qui ne nous comprennent pas« , affirme avec force un participant. Ancrée dans les réalités culturelles, sociales et linguistiques du continent, cette initiative panafricaine veut redéfinir les équilibres technologiques mondiaux.
Alors que les géants technologiques américains et chinois dominent le marché mondial de l’intelligence artificielle, investissant des milliards dans des modèles toujours plus puissants, l’Afrique reste largement absente de cette révolution. Les systèmes développés par OpenAI, Google, Meta ou Baidu peinent à comprendre les nuances linguistiques africaines, à reconnaître correctement les visages à peau foncée ou à proposer des solutions adaptées aux infrastructures locales. Cette fracture numérique menace d’accentuer les inégalités existantes.
Face à ce déséquilibre, le PAIEIA représente une réponse stratégique. Ce consortium, piloté par l’Algérie, ambitionne de créer un contrepoids africain dans l’écosystème mondial de l’IA. « Nous ne rejetons pas les avancées technologiques existantes, mais nous voulons les adapter et les compléter avec notre propre vision, » explique un des protagonistes. À l’heure où l’IA générative transforme tous les secteurs économiques, la souveraineté numérique devient un enjeu clé du développement africain au XXIe siècle.
Une IA éthique née d’un projet panafricain
À l’université d’Oran 1 Ahmed Ben Bella, un petit groupe de chercheurs planche depuis plusieurs mois sur une idée audacieuse : concevoir une intelligence artificielle africaine, inclusive et éthique. Ce rêve prend aujourd’hui corps avec le lancement officiel du PAIEIA (Projet Africain pour une Intelligence Éthique, Inclusive et Africaine), un consortium panafricain de recherche piloté par l’Algérie, réunissant une quinzaine d’institutions universitaires du continent.
Ce programme vise à répondre aux limites des IA conçues dans des environnements culturels très éloignés de ceux de l’Afrique, et à développer des technologies plus adaptées aux besoins locaux. L’objectif ; penser une IA qui comprenne nos langues, nos priorités, nos sensibilités sociales. C’est un enjeu de souveraineté scientifique et culturelle au coeur du projet.
Une réponse aux défis du développement
Porté par une volonté politique affirmée de diversifier l’économie nationale au-delà des hydrocarbures, le projet s’inscrit pleinement dans les nouveaux axes stratégiques de l’Algérie, qui encourage massivement l’innovation, la recherche appliquée et l’émergence de start-up technologiques. À travers le Fonds national pour les start-up et les dispositifs d’incubation régionaux, le gouvernement accompagne déjà des centaines de jeunes entreprises dans le numérique, la santé, l’agritech ou l’énergie verte.
« L’Algérie ne veut pas être un simple consommateur de technologies. Nous avons les compétences, les infrastructures et l’ambition pour produire nos propres solutions, adaptées à nos réalités. » a déclaré Yacine El-Mahdi Oualid, ministre de l’Économie de la connaissance et des Start-up.
Un héritage scientifique valorisé
Ce leadership s’enracine dans une tradition ancienne d’excellence académique. Depuis des décennies, les mathématiciens algériens se distinguent dans les olympiades internationales, les concours de haut niveau et les universités du monde entier. Le pays dispose d’une solide base en mathématiques appliquées, statistiques, modélisation informatique, autant de piliers nécessaires au développement d’une IA performante.
En témoigne aussi la place de choix de nombreuses universités algériennes dans les classements africains des formations en mathématiques, ou encore l’implication de chercheurs algériens dans des projets de calcul haute performance à l’échelle mondiale.
Vers une intelligence ancrée dans les réalités africaines
Le PAIEIA se donne pour horizon la création d’un socle éthique propre aux sociétés africaines : respect des langues locales, protection des données sensibles, lutte contre les biais raciaux et culturels, réflexion sur les usages éducatifs et agricoles de l’IA.
Le tout reposera sur le Centre africain de recherche en IA inclusive (CARII), qui ouvrira ses portes à Oran à l’automne 2025. Ce futur centre accueillera des chercheurs en résidence, des séminaires Sud-Sud, des hackathons et des projets pilotes dans les domaines de la santé publique, de l’enseignement à distance ou de la planification urbaine.
Alors que la révolution numérique redéfinit les rapports de force mondiaux, l’Algérie fait le pari de l’intelligence et de la coopération. En mettant la science au service d’une vision équitable et contextualisée de la technologie, elle entend montrer qu’un autre futur numérique est possible : plus juste, plus local, plus humain.