Droits fonciers : le combat des femmes africaines


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Felitus Kures est veuve et vit dans le Nord-Est de l’Ouganda. Elle cultivait avec son mari une petite parcelle de terre dont ils étaient propriétaires. Mais, quelques mois après la mort de son mari, sa belle-famille a vendu la terre à son insu. Elle a réussi à récupérer l’usage de cette parcelle grâce à une action d’aide juridique, mais de nombreuses femmes ne retrouvent jamais les terres qu’elles ont perdues à la suite d’un divorce ou du décès d’un mari.

Les Africaines fournissent 70 % de la production alimentaire, constituent près de la moitié de la main-d’oeuvre agricole et 80 à 90 % dans la transformation, le stockage et le transport des aliments. Mais elles ne disposent souvent d’aucuns droits fonciers. Ces droits sont souvent détenus par des hommes ou des groupes de parenté contrôlés par des hommes, et les femmes n’ont généralement accès à la terre que par l’intermédiaire d’un parent de sexe masculin, habituellement un père ou un mari.

Cet accès restreint est en outre très précaire. Une étude zambienne révèle que plus du tiers des veuves sont privées d’accès aux terres familiales à la mort de leur mari. Des militants tentent donc d’introduire ou de renforcer des lois qui garantissent les droits fonciers des femmes et combattent les normes et pratiques sociales préjudiciables.

Des progrès limités

Certains progrès sont réalisés ici et là. Au Swaziland, les femmes ne peuvent être propriétaires de terres car elles sont mineures au regard de la loi. Mais des femmes séropositives ont réussi à se faire attribuer 13 parcelles collectives pour subvenir à leurs besoins. Au Kenya, des organisations interviennent lorsque des terres sont saisies et négocient avec la famille pour que les femmes et les filles séropositives continuent d’avoir accès aux terres.

Au Rwanda, le gouvernement a adopté en 1999 une loi qui donne aux femmes les mêmes droits d’héritage qu’aux hommes, alors que selon la tradition, seuls les enfants de sexe masculin pouvaient hériter. Les veuves et orphelines du génocide de 1994 ont ainsi pu obtenir des terres.

Au Ghana, la culture du cacao fait évoluer la situation, elle fait appel à une main-d’œuvre importante et, de plus en plus, les hommes et les femmes échangent du travail contre des terres. La femme mariée reçoit ainsi une parcelle en échange de son travail. Ce don est considéré comme irrévocable par la communauté et la femme reste propriétaire de la parcelle même en cas de séparation.

Le poids de l’histoire

Avant la colonisation, la propriété et l’accès aux terres revêtaient diverses formes mais revenaient essentiellement aux lignées, clans et familles, et étaient placés sous le contrôle de chefs masculins. Benjamin Cousins, chercheur l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), explique que si les femmes n’avaient pas de droits fonciers directs, elles étaient protégées par des traditions qui leur permettaient d’avoir accès aux terres même après une séparation, un divorce ou la mort de leur époux. Il existait également des moyens d’arbitrage auxquels les femmes pouvaient avoir recours en cas de refus.

Mais la colonisation a introduit les régimes occidentaux d’occupation des terres. A l’indépendance, certains gouvernements nouvellement formés ont proclamé que toutes les terres appartenaient à l’État, ce qui a encore compliqué la situation.

Nombre de pays africains reconnaissent à la fois les régimes « traditionnels » de propriété foncière et des lois sur le modèle occidental. Au Kenya, la loi stipule que les hommes et les femmes ont les mêmes droits en matière d’héritage mais que si un homme meurt sans testament, la transmission des terres est régie par la loi coutumière du groupe auquel il appartient. Peu d’hommes ayant un testament et la plupart des communautés ne permettant pas à une femme d’hériter des biens de son mari ou de son père, l’égalité que prévoit la loi ne s’applique généralement pas. En pratique, estime une étude de l’ONU, les femmes n’ont aucun droit en matière d’héritage.

Agir sur de multiples fronts

Pour garantir l’accès des femmes aux terres, les militants du droit à la terre proposent de séparer la propriété officielle des terres de son usage. Le titre de propriété d’une parcelle pourrait ainsi être établi au nom d’un homme mais celui-ci n’aurait pas le droit de la vendre sans l’accord de sa ou de ses femmes ou d’autres héritiers. Le Ghana dispose d’une loi qui fait obligation au chef de famille de rendre compte de ses actes, afin que les biens d’une famille ne puissent être vendus sans que les autres membres en soient informés, aient donné leur accord ou en perçoivent les bénéfices. « Une autre solution consisterait à établir le titre de propriété au nom des familles ou des hommes et des femmes, propose Mme Mwangi, une chercheuse de l’Université Harvard. Lorsque les ressources telles que l’eau, l’assainissement et les pâturages doivent être partagées, on pourrait déclarer propriétaires de la terre des communautés entières, tout le monde bénéficiant ainsi d’un accès égal. »

Ces questions, suggère Mme Izumi de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), nécessitent d’agir sur plusieurs fronts. « L’accent a été mis sur la réforme juridique. Les lois et politiques sont importantes et il faut continuer d’essayer de parvenir à les modifier… Nous devons cependant également aider les gouvernements à améliorer les moyens techniques et financiers dont ils disposent pour faire appliquer les lois. » Les responsables du système judiciaire et les chefs traditionnels doivent également être formés, ajoute-t-elle, à aider l’ensemble de la communauté à reconnaître les droits fonciers des femmes.

M. Cousins est du même avis. « Pour améliorer la situation, il faut remédier aux relations de pouvoir inégales au sein des familles. Tant que l’on ne changera pas ces relations de pouvoir, peu importe à qui la loi conférera des droits », indique-t-il à Afrique Renouveau.

« Nous avons observé une forte résistance », relate Mme Izumi. « Ces normes sont profondément ancrées. Les relations entre les sexes sont, de toutes les relations sociales, les plus difficiles à faire évoluer. »

Mary Kimani, pour Afrique Renouveau, Organisation des Nations Unies

Photo: Panos/ Giacomo Pirazzi

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