A 50 ans, l’avocat sénégalais Sidiki Kaba a été élu président de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH). C’est la première fois qu’un Africain prend la tête de cette organisation. L’ancien défenseur de l’opposant ivoirien Laurent Gbagbo, devenu président de la République, livre, sans complaisance, sa vision des droits de l’Homme en Afrique.
Afrik. : C’est la première fois qu’un Africain est élu à la tête de la Fédération internationale des droits de l’Homme, comment analysez-vous cela ?
Sidiki Kaba : C’est un hommage rendu à l’Afrique, à tous les hommes qui se battent pour les droits de l’Homme dans le continent. C’est un signe pour rappeler aux démocraties occidentales que les Africains sont aujourd’hui majeurs et veillent sur les libertés dans le monde entier. Les pays du Sud font des avancées importantes dans ce domaine, notamment en Afrique.
Afrik. : Justement, quel tableau dressez-vous de la situation des droits de l’Homme en Afrique ?
S.K. : C’est un bilan mitigé. Il y a des avancées sur le plan des libertés politiques et publiques. Nous avons assisté à des alternances pacifiques, par exemple, au Ghana, Bénin et au Sénégal. La forme des pouvoirs sur le continent a changé. Et, il faut aussi signaler l’émergence de la société civile comme contre-pouvoir. Par ailleurs, c’est un continent ravagé par les conflits et les guerres civiles. En République démocratique du Congo, il y a six armées africaines qui s’affrontent. A cela, il faut ajouter les conflits ethniques et religieux.
Afrik. : Le tableau est plutôt noir.
S.K. : Non, je ne dirai pas cela, il est contrasté. Il faut que la culture de l’impunité disparaisse et laisse place à la primauté du droit. Même les crimes économiques et on le voit avec les mauvais effets de la mondialisation, comme la pauvreté qui est une atteinte à la dignité humaine, sont condamnables.
Afrik. : Quels sont les pays africains qui violent le plus les droits de l’Homme ?
S.K. : La situation de la RDC est très grave. Nous condamnons l’assassinat du président Kabila. Nous ne cautionnerons jamais les assassinats des personnalités politiques, au pouvoir ou dans l’opposition. Il y a aussi le dossier des disparus en Algérie et au Maroc. L’Afrique de l’Ouest est une poudrière avec les conflits en Guinée et au Sierra-Leone.
Afrik. : Que pensez-vous de la situation ivoirienne ?
S.K. : » L’ivoirité » est une théorie funeste et dangereuse. C’est un concept d’exclusion qui conduit à une guerre civile. Nous espérons que les autorités mettent en avant les principes de cohésion. Sinon, c’est toute la région qui risque d’exploser.
Afrik. : Vous avez évoqué le dossier des disparus en Algérie et au Maroc, qu’en est-il réellement ?
S.K. : Nous avons fait des enquêtes dans ces deux pays et nous continuerons à nous y intéresser. Il faut une exigence de vérité et de justice. Il est indéniable que les droits des victimes et de leurs ayant-droits doivent être respectés.
Afrik. : En tant que président de la FIDH et Sénégalais, quel regard portez-vous sur votre pays ?
S.K. : Le Sénégal vient de vivre une alternance pacifique. L’ancien président, Abdou Diouf, a admis les règles démocratiques. Les droits civils et syndicaux sont globalement respectés mais il y a violation des droits de l’Homme en Casamance. Les mines antipersonnel dans cette région constituent aussi une violence.
Afrik. : Quelles sont vos priorités en Afrique ?
S.K. : Il faut supprimer la culture de l’impunité. Tous les actes attentatoires à la dignité humaine doivent être jugés et condamnés. Il faut aussi renforcer les sociétés civiles pour qu’elles soient un contre-pouvoir réel et efficace. Et notre combat passe aussi par la lutte contre les exclusions sociales…