Le Maroc serait le premier pays exportateur de drogue selon plusieurs études internationales. Dans le royaume, la question reste complètement taboue. Le cannabis rapporterait aux trafiquants près de deux milliards de dollars. Un million de Marocains vivrait des revenus de la drogue.
Les rapports se multiplient sur la drogue, en particulier sur le premier producteur africain qui est… le Maroc ! Mais au Maroc même, le sujet est tabou. Les Nations unies, elles-mêmes, viennent de sortir leur rapport annuel, le 26 février dernier. Dans ce rapport annuel de l’OICS (Organe international de contrôle des stupéfiants), le cannabis continue d’être « cultivé illicitement à grande échelle au Maroc ». Les données des Nations Unies confirment les analyses réalisées par l’Observatoire international de la criminalité de l’Université belge de Louvain, qui lui aussi dit que le Maroc est devenu le premier producteur.
Mutisme des autorités
Mais essayez de confirmer ou d’infirmer ces données auprès des services marocains ! Personne pour répondre. La Douane ? « Ne coupez pas, votre appel va être transféré dans un instant…, ne coupez pas, votre appel va être transféré dans un instant… ne coupez pas, votre appel va être transféré dans un instant… ». Au bout d’un moment, fatigué d’attendre, vous raccrochez. A la Régie des Tabacs ? « Vous devez nous écrire selon la voie hiérarchique pour contacter les responsables ». A la Gendarmerie royale, le gentil gendarme, qui répond aux questions, avait l’air de ne pas savoir qu’il existait un service spécialisé.
Tout le monde est très gentil mais la protection des informations est absolue. Absolue? Pas tout à fait, l’Agence du Nord, qui a plus le sens du service aux citoyens, répond. Le rapport de l’ONU analyse la situation mondiale en matière de contrôle de drogue. Objectif : tenir les autorités nationales informées des problèmes réels et potentiels qui risquent de compromettre la réalisation des objectifs des traités internationaux relatifs au contrôle de drogue. C’est lui qui met le Royaume du Maroc en haut de la liste africaine, comme premier producteur et premier exportateur.
« La principale activité agricole du Rif »
Un autre rapport réalisé en février 2002 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies dresse un bilan alarmant sur le trafic du cannabis au Maroc. En effet, selon ledit rapport, «environ 90% du haschisch saisi en Europe en 1999 provenait du Rif marocain où il constitue la principale activité agricole». Les aléas climatiques sont des facteurs déterminants dans la production du cannabis. Selon l’Observatoire géopolitique des drogues (OGD), les superficies pour l’année 95 étaient de 79.846 ha. Ceci avait été plus ou moins reconnu par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Driss Basri. Il avait même donné une évaluation de l’argent mobilisé dans les réseaux du cannabis marocain: 2 milliards de dollars, soit 20 milliards de DH environ.
Les autorités marocaines avaient entrepris diverses démarches pour obtenir de l’aide de la part du l’Union européenne et des pays membres, pour lutter contre la drogue. La récolte d’argent avait été mince, infiniment plus mince que les revenus tirés de la drogue, non pas par les agriculteurs, mais par les intermédiaires. Le rapport de l’ONU souligne d’ailleurs que les pays consommateurs tirent 98% des revenus de la drogue, alors que les pays producteurs doivent se contenter du reste.
« Des cultures industrielles ! »
En 2000, et selon des données rendues semi-publiques par le ministère de l’Agriculture marocain, le cannabis figurait sous la rubrique «Cultures industrielles» : cela ne s’invente pas !
Les cultures ont atteint 90 000 hectares, en l’an 2000. Quant aux quantités de haschisch produites, l’OGD fournit différents chiffres se basant sur des études réalisées par des pays concernés. Le voisin espagnol fait état de 1 750 tonnes, le département d’Etat des Etats-Unis 2 000 t. Pour l’Observatoire de la criminalité, basé à l’Université de Louvain, les chiffres sont plus alarmants. Ces recherches font état de 200.000 ha en culture au cours de l’année 2001-2002 (…) Ces données ont été rendues publiques lors du World Economic Forum à Davos.
Les saisies en Europe ces dernières années se situent autour de 700 t. Quant aux familles concernées par cette culture, le nombre est effrayant. L’unique source d’argent de plus de 200.000 familles provient directement du haschisch, soit 1 million de personnes. L’agronome espagnol, Pascual Moreno, note une grande différence des bénéfices que génère la culture du cannabis entre paysans et grands trafiquants.
En 1997, la somme a atteint plus de 1,8 milliard de dollars. Basri l’avait d’ailleurs « officieusement » confirmé. Or, les paysans n’encaissaient que 13% de cette somme. Bon nombre de trafiquants marocains disposent de la nationalité espagnole et opèrent à l’étranger puis rapatrient leurs profits au Maroc: il n’y a pas de législation qui oblige les banques à déclarer les mouvements suspects de fonds. Pas besoin de grande sophistication pour blanchir l’argent sale. Pour rendre le blanchiment encore plus facile, le Maroc a une forte économie souterraine, dans laquelle il est aisé de faire disparaître puis réapparaître l’argent suspect (…)
Par Hayat Karim Allah, de notre partenaire L’Economiste