L’album Mix, fruit de la surprenante collaboration entre Doudou Ndiaye Rose (et sa formation), l’orchestre classique de Basse-Normandie et les percussions claviers de Lyon, s’inscrit comme un somptueux mélange des genres. Résultat : les sons rythmés de la percussion africaine se mêlent à la douceur fluide des instruments de musique classique. Nous avons rencontré l’artiste sénégalais avant son ultime concert en France, dans le cadre de la tournée promotionnelle de son dernier album, qui aura lieu le 8 février, à Paris, au siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
« Des cordes, des percussions claviers et des sabars, trois entités musicales et culturelles fortes que la musique a réuni autour de la rêveries poétique ». La formation musicale de Doudou Ndiaye Rose et Jean-Luc Rimey-Meille, auteur de Mix, nous offrent un album remarquable de par sa créativité. Comme pour démontrer que le métissage culturel est possible surtout quand il offre « une musique de l’émotion ». On ne pouvait en attendre moins du célèbre et grand maître tambour africain, Doudou Ndiaye Rose.
Afrik.com : Vous êtes une sommité en matière de percussion en Afrique et vous avez joué avec les plus grandes pointures de la scène musicale internationale tels que Miles Davis, les Rolling Stones… Comment votre aventure musicale a-t-elle commencé ?
Doudou Ndiaye Rose : (Un léger soupir de joie avant de répondre) C’est assez bizarre ! Mon parcours musical a débuté à l’âge de 9 ans à Dakar. Enfant, avant de me rendre à l’école certains jours, il m’arrivait d’entendre le son du sabar (mot wolof désignant le tam-tam, ndrl) cela me donnait des frissons et m’émerveillait. Et je me rendais à toutes les fêtes pour voir et entendre les musiciens, car on joue du sabar à l’occasion des cérémonies comme les baptêmes, mariages, etc. Je faisais ainsi fréquemment l’école buissonnière pour pouvoir aller jouer de la percussion. Choix qui n’était pas du goût de mon père (agent comptable, ndlr) qui m’a longtemps battu pour me faire abandonner ma passion pour le tam-tam. Alors pour éviter de le contrarier, j’ai décidé d’aller vivre chez mes grands parents. Tout ceci pour dire que pour moi, le tam-tam est comme un signe du destin. Par ailleurs, un de mes grands parents jouait de cet instrument. Aussi, bien qu’étant assez doué à l’école, je me suis entièrement consacré à la musique qui était ma raison d’être, à la différence de mes autres frères, qui se sont orientés vers les études universitaires.
Afrik.com : Qui vous a enseigné l’art de battre le tam-tam et comment s’est construite votre carrière internationale ?
Doudou Ndiaye Rose : Après Dieu qui m’a fait don de jouer de la percussion, je remercie El Hadj Mademba Seck qui était dans les années 50 le meilleur batteur du pays. Il m’a enseigné son art pendant des années, bien que poursuivant mes études pour devenir plombier après mon certificat d’étude. Parallèlement à la musique, j’ai exercé pendant plus de 40 ans le métier de plombier. Mais pour ce qui de ma carrière internationale, j’étais déjà célèbre dans mon propre pays avant de connaître un franc succès en 1959 (l’artiste à 20 ans, ndlr), quand j’étais le chef batteur de l’Union des artistes et techniciens des spectacles (UATES), avec laquelle je jouais souvent au théâtre Daniel Sorano à Dakar. A cette même date la diva Joséphine Baker, qui devait faire un show au Sénégal, m’avait invité pour l’accompagner dans son spectacle où elle chanta sa célèbre chanson « Paris, mon amour ». A la fin du spectacle, elle chuchota, à propos de moi, au directeur de notre association de l’Union : «Veillez sur ce jeune homme car il sera un futur grand batteur ».
Afrik.com : Joséphine Baker qui est devenue une amie…
Doudou Ndiaye Rose : En effet, par la suite, nous sommes devenus amis et elle m’a invité à séjourner en France avec d’autres musiciens sénégalais, pendant plus d’un mois, dans son château du Milan Dordogne. Vers 1960, je possédais mon propre groupe et je faisais aussi partie du ballet de la fédération du Mali (composé du Sénégal et du Mali, à l’époque coloniale, ndlr). Après l’indépendance des deux pays, je suis devenu le chef batteur et le régisseur du ballet sénégalais qui a été invité au théâtre de La Nation à Paris, pour des compétitions visant à mesurer le talent de tous les ballets nationaux des pays francophones. Compétition que nous avions remporté sous l’œil émerveillé des dirigeants des pays africains d’alors : Léopold Sédar Senghor, Modibo Keita…A la suite de ce succès notre troupe composée de 30 musiciens a fait des tournées pendant plus 18 mois à travers presque toute l’Europe.
Afrik.com : Pour ce qui est de l’album Mix, comment s’est faite votre rencontre avec Jean-Luc Rimey-Meille ?
Doudou Ndiaye Rose : Jean-Luc m’a vu lors d’un concert de jazz à Paris en 1999, où je jouais avec un musicien saxophoniste américain David Miret. Lors de ma prestation avec ce groupe Fo Dekk, Jean-Luc a eu l’idée d’une collaboration avec moi. Il a contacté mon agent, Yorrick Benoît, qui a organisé notre rencontre. J’ai dû alors me rendre à Lyon pour répéter et faire des essais avec son orchestre de musique classique. Il a été content de notre prestation. Mais c’est entre 2000 et 2001 que le projet a commencé à prendre forme donnant lieu à quatre dates de concerts en France. Des concerts assurés avec l’orchestre de Basse-Normandie, ce qui a permis à cet album Mix de voir le jour.
Afrik.com : Aviez-vous des affinités musicales avec la musique classique avant de jouer avec l’orchestre de Basse Normandie ou est-ce un genre musical que vous avez découvert ?
Doudou Ndiaye Rose : (Un sourire se dessine sur son visage) Non seulement, je connais très bien cette musique mais j’aime énormément la musique classique.
Afrik.com : Avez-vous rencontré des difficultés dans l’élaboration de Mix car il n’est pas évident de jouer avec des instruments classiques ?
Doudou Ndiaye Rose : Au départ, ce n’était pas évident mais après plusieurs répétitions, c’est devenu assez simple, car nous sommes tous des musiciens confirmés. Donc il suffisait de bien connaître ses rythmes et partitions. Jean-Luc a écrit la plus part des musiques mais j’y ai apporté ma touche personnelle. Je sais en effet par expérience le genre de rythme ou de sonorité africaine qu’il faut insérer dans tel ou tel morceau.
Afrik.com : Quels sont les titres que vous avez écrits dans cet album Mix ?
Doudou Ndiaye Rose :Le drame maritime qui a frappé mon pays, il y a plus deux ans provoquant des milliers de morts, m’a poussé à apporter ma contribution à cet album. J’ai rendu hommage aux victimes à travers le morceau Le naufrage du bateau Joola.
Afrik.com : Quel accueil vous fait le public lors de vos concerts avec l’orchestre de Basse-Normandie ?
Doudou Ndiaye Rose Le public de la musique classique est en général très calme donc lorsque nous jouons sur scène, les spectateurs sont surpris des sonorités que nous leur offrons. Mais au bout d’une demi-heure, les gens se mettent à danser au rythme des percussions, tout le monde saute et applaudit de joie, tape des pieds. C’est la folie dans la salle et à la fin du spectacle: c’est un standing ovation. C’est très surprenant !
Afrik.com : Mix sera-t-il bientôt l’objet d’une tournée en Afrique ?
Doudou Ndiaye Rose : Pour le moment, il n’est pas prévu de dates de concerts dans les pays africains.
Afrik.com : Comment vous définiriez cette expérience musicale ?
Doudou Ndiaye Rose : Moi, je dirais que c’est de la bonne cuisine (sourire).
Afrik.com : Est-ce que vous acceptez toutes les collaborations musicales qu’on vous propose ?
Doudou Ndiaye Rose : Pas toujours ! Vous savez pour ce qui des musiciens qui désirent jouer avec moi, il faut qu’ils soient à la hauteur de mon talent, je peux jouer avec des artistes, je refuse de jouer avec des pseudos musiciens.
Afrik.com : Avez-vous déjà joué avec des musiciens percussionnistes de l’Extrême Orient ?
Doudou Ndiaye Rose : (En souriant) Tout à fait ! J’ai joué des musiques avec des artistes indiens venus à Dakar entre 1997 et 1998, et j’ai fait des tournées en Corée à deux reprises, joué avec le Tambour Kodo du Japon plus d’une douzaine de fois. Mais aussi collaboré avec des musiciens caribéens, de la Martinique, de la Guadeloupe, d’Haïti…
Afrik.com : Y a-t-il un musicien ou un groupe avec lequel vous rêvez de collaborer ?
Doudou Ndiaye Rose : (Après quelles secondes de réflexion), j’aimerais bien faire quelque chose avec le célèbre orchestre de l’Opéra de Paris (un sourire se dessine sur son visage).
Afrik.com : La retraite, vous y pensez ?
Doudou Ndiaye Rose : (Sourire à nouveau) Je ne peux pas m’arrêter car Teugg (autre mot wolof désignant le fait jouer du tambour, ndrl) est un don que Dieu m’a donné, c’est un cadeau que je ne peux pas lui rendre. Donc je dois continuer à battre le tam-tam. D’ailleurs, le 16 avril prochain à Dakar, un hommage me sera rendu pour célébrer mes 50 ans de carrière. Je remercie Dieu car j’ai su transmettre ma passion de la percussion à travers mon orchestre des Tambour Majors, groupe où mes enfants jouent avec moi. Et la relève de mon art est assurée, même mes filles jouent du tam-tam. Dans tout le Sénégal et je pense aussi dans presque toute l’Afrique, il n y a pas à ma connaissance de femmes qui jouent de cet instrument.
Par Badara Diouf