L’historienne américaine de renommée internationale, Doria Jonhson, parcourt toujours le monde pour parler du lynchage qu’ont subi des milliers de Noirs aux Etats-Unis. Son arrière grand-père a lui-même été victime de lynchage. Une vieille histoire qui la hante toujours et l’a poussée à consacrer sa vie à cet épineux dossier pour que justice soit faite. Rencontre avec une chercheuse qui n’abdique pas.
Debout et droit dans ses bottes, Doria Johnson présente au public d’étranges cartes postales projetées sur un écran géant à la Doroth’ys Galeries, spécialisée dans l’histoire américaine, à Paris. Ses cartes postales qui datent des années 1800-1900 ne sont pas communes. Elles ne parlent pas de détente, de vacances, ni de la mer. On y voit des Noirs pendus après avoir été sauvagement lynchés par des foules de Blancs en colère.
Dans la salle, l’effroi face à ces dizaines d’images qui se répètent et défilent de façon incessante et insoutenable. La musique de fond choisie par Doria pour les accompagner a de quoi donner des sueurs froides. Quand ce ne sont pas des hommes, ce sont des enfants, ou encore des femmes. Les cadavres couverts de poussières sont bien abîmés. Une horreur qui fait office de spectacle pour les foules qui se sont amassées tout autour pour admirer l’ignominie qu’elles considèrent comme un fait banal.
Le public est lui abattu, voire mal à l’aise. Mais c’est bien la carte de l’émotion que Doria a jouée pour faire prendre conscience de l’injustice qu’ont subi ces lynchés, oubliés de l’histoire des Etats-Unis. Du haut de ses 1m75, l’historienne américaine, au regard déterminé, imposante, qui arbore des longues locks, attachées avec un bandeau, pense tous les jours aux Noirs victimes du lynchage dans son pays.
Doria est en effet hantée par cette page sombre de l’histoire des Etats-Unis tout simplement parce que son ancêtre, Anthony Crawford, a subi le même sort. Elle ne peut d’ailleurs s’empêcher de verser des larmes lorsqu’elle raconte cette histoire douloureuse, qui poursuit toujours toutes les générations de sa famille. En 1916, son ancêtre, qui vivait dans le sud des Etats-Unis, est l’un des rares Noirs à être aisé, instruit, à disposer de 200 hectares de terres, à cultiver le coton et même à le commercialiser grâce à la main d’oeuvre de ses 13 enfants. Une situation confortable qui a pu être possible grâce aux lois votées pendant la période de la reconstruction (1865-1877).
Mais sa situation avantageuse a vite été vue d’un mauvais œil par ses voisins Blancs. Il a fini par être emprisonné pour insulte à un Blanc après avoir refusé de vendre ses graines de coton à un prix en dessous du marché, comme l’exigeaient ses bourreaux. Ces derniers d’ailleurs n’ont pas attendu que la justice tranche sur l’affaire. Une foule en colère est allée l’extirper de la prison où il été incarcéré, puis l’a lynché à mort, attaché à une voiture, traîné dans tous les quartiers où vivaient des Noirs en guise d’exemple, avant de l’attacher à un arbre, et de se défouler sur son cadavre à coup de fusil.
Une histoire qui pèse lourd
Mais les bourreaux de l’arrière grand-père de Doria n’en sont pas restés là. Ils s’en ont aussi pris à sa famille, les chassant de leur domaine. Elle s’est dispersée dans la fuite, passant de la richesse à la pauvreté. Dans la famille, tout le monde connait l’histoire du grand-père Crawford, affirme Doria. Seulement on en parle pas. C’est presque tabou. C’est pour réclamer justice à tous ceux qui comme son grand-père ont été victimes de lynchages que Doria se bat. Elle, qui travaillait dans un cabinet d’avocat a même jeté l’éponge en 1988, pour reprendre les bancs de l’université et consacrer sa thèse au lynchage, plus précisément des élites noires. Aujourd’hui elle est l’une des historiennes les plus pointues sur la question. Mais Doria réclame aussi des excuses de la part des autorités qui ont rapidement mis ce dossier dans les affaires classées. Première victoire pour elle, en 2005, le Sénat a voté une résolution pour demander des excuses aux descendants des victimes du lynchage.
Alors que partout dans le monde on pense que l’élection à la tête des Etats-Unis de Barack Obama a changé la situation des Noirs-américains, Doria estime pour sa part que ce n’est pas la réalité. « Les choses n’ont pas tant changé que ça pour les Noirs Américains qui sont toujours considérés comme une population de seconde zone », affirme-t-elle. « L’élection d’Obama est une élection esthétique. Il ne dérange pas le pouvoir blanc et c’était aussi l’occasion pour les Blancs de montrer au monde entier qu’ils n’étaient pas racistes », renchérit l’historienne.
Le racisme est donc prépondérant aux Etats-Unis, affirme Doria. Il est même toujours ancré, tient-elle à rappeler. Selon elle, les statistiques montrent que les Noirs Américaines sont toujours les plus démunis en comparaison aux autres communautés lorsqu’ils sortent de prison notamment pour tenter de se reconstruire. D’après Doria, l’histoire du jeune Trevor Martin, assassiné en 2012 par un Blanc, qui a finalement été acquitté, prouve bien que les choses n’ont pas beaucoup évolué pour les Noirs. D’autant que les parents du jeune homme abattu ont dû se battre pour qu’un procès puisse avoir lieu.
Doria ne cache pas son pessimisme sur la situation des Noirs aujourd’hui aux Etats-Unis. Comment les choses vont évoluer pour eux dans les prochaines années? Elle ne le sait pas. Mais elle admet que le fait qu’elle ait réussi à faire des études montre toutefois qu’un pas a été fait.