Dominique de Villepin, une voix dissidente en défense de l’Algérie


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Dominique de Villepin
Dominique de Villepin

Alors que les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie traversent une phase tendue, dominée des désaccords sur des questions historiques et contemporaines, Dominique de Villepin, ancien Premier ministre français et ancien ministre des Affaires étrangères, se distingue par ses déclarations en faveur d’un dialogue constructif et respectueux entre les deux nations.

Lors d’une intervention remarquée le 7 octobre 2024 sur France Info, de Villepin a exprimé son regret face à la détérioration des relations entre les deux pays, tout en dénonçant la tentation de faire de l’Algérie un « bouc émissaire » pour certains problèmes internes à la France, notamment en matière d’immigration.

Des relations en crise

Les tensions entre Paris et Alger ne cessent de s’aggraver depuis plusieurs mois. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a récemment exclu toute visite officielle en France dans les conditions actuelles, accusant ouvertement les partis politiques français d’utiliser la question algérienne à des fins électorales. Pour Dominique de Villepin, cette spirale de crispations est profondément regrettable. « Depuis plusieurs mois, voire des années, nous voyons la relation avec ce grand frère, ce pays ami qu’est l’Algérie, se détériorer de jour en jour », a-t-il déploré.

Ce climat de défiance s’est amplifié après le soutien d’Emmanuel Macron au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental. De Villepin n’a pas manqué de souligner les erreurs de la diplomatie française sur ce dossier. « Nous aurions dû faire tout cela dans le cadre des Nations unies et en liaison avec l’Algérie », a-t-il affirmé, rappelant que l’Algérie reste un acteur clé dans la région et qu’il est essentiel de maintenir le dialogue ouvert.

Une lettre controversée : Macron et le Sahara occidental

Un acte symbolique majeur dans ce dossier s’est produit le 30 juillet 2024, lorsque le président français Emmanuel Macron a adressé une lettre au roi du Maroc Mohammed VI, affirmant le soutien de la France à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Ce soutien explicite, bien que salué par Rabat, a accentué les tensions avec l’Algérie, principal allié du Front Polisario, qui revendique l’indépendance de ce territoire. Macron, dont les propos allaient à l’encontre du droit international prôné par les Nations Unies, a pris cette position dans un contexte où il ne dispose plus d’une majorité parlementaire, ce qui rend sa prise de position davantage personnelle que représentative de la politique officielle française. Pour Dominique de Villepin, cette approche unilatérale « ignore l’importance de maintenir un dialogue équilibré avec l’Algérie », un partenaire régional crucial dans ce conflit. En outre, c’est une position qui n’est pas en ligne avec le droit international, ce qui n’est pas acceptable pour l’ancien Premier ministre français.

L’immigration, un prétexte pour diviser

Une autre critique formulée par Dominique de Villepin concerne l’utilisation de l’Algérie comme bouc émissaire dans le débat sur l’immigration en France. « La tentation aujourd’hui, ici en France, c’est de faire de l’Algérie le bouc émissaire d’un certain nombre de problèmes. Et c’est particulièrement vrai en matière d’immigration », a-t-il martelé. Selon l’ancien Premier ministre, cette approche ne fait qu’attiser les divisions internes et envenimer les relations franco-algériennes.

Ce point de vue est particulièrement pertinent alors que certains courants politiques en France, notamment l’extrême droite, cherchent à remettre en cause les accords de 1968, qui octroient aux Algériens un statut particulier en matière de droit de séjour et de travail en France. Pour de Villepin, remettre en question ces accords serait une erreur historique grave. « C’est vouloir ouvrir une guerre avec l’Algérie ? Une guerre des mémoires ? Tout cela est absurde, il y a d’autres chemins », a-t-il insisté.

La question mémorielle, une plaie ouverte : les perspectives économiques, un enjeu stratégique

Les tensions actuelles entre la France et l’Algérie trouvent aussi leurs racines dans la question mémorielle, un sujet toujours brûlant des deux côtés de la Méditerranée. De Villepin a rappelé que, bien que des historiens aient mis en lumière des « crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité » commis durant la colonisation, certains politiciens français continuent de minimiser ou de contourner ces faits. Il s’agit, selon lui, d’un obstacle majeur à toute réconciliation durable. « La capacité d’assumer cette histoire qui est partagée et qui est si importante des deux côtés de la Méditerranée » est indispensable, a-t-il affirmé.

Sur le plan économique, il faut rappeler l’importance de renforcer les liens avec l’Algérie, partenaire indispensable pour la France, notamment dans la fourniture d’énergie. L’Algérie est un acteur majeur dans le domaine du gaz naturel, et un rapprochement avec ce pays est crucial pour sécuriser l’approvisionnement énergétique de l’Europe dans un contexte de crise énergétique mondiale.

À l’inverse, le Maroc est fragilisé par la question du Sahara occidental et fait face à une situation commerciale complexe. Le 4 octobre 2024, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a annulé deux accords commerciaux entre le Maroc et l’Union européenne portant sur l’agriculture et la pêche, en raison de l’inclusion illégale des territoires sahraouis occupés. Cette décision remet en cause les partenariats économiques entre le Maroc et l’Europe, notamment dans les secteurs stratégiques des ressources naturelles, et pourrait isoler le royaume chérifien sur la scène internationale.

Cette évolution renforce, pour la France, la nécessité de maintenir des relations solides avec l’Algérie, au moment où le Maroc voit son commerce avec l’UE fragilisé.

Dialogue et respect, les clés pour l’avenir

Dans un contexte où la France est tiraillée par des discours populistes et nationalistes, la position de Dominique de Villepin tranche par son appel à la raison. Connu pour son engagement en faveur des causes justes, de Villepin n’hésite pas à se démarquer de ses contemporains en rappelant que l’Algérie n’est ni l’ennemi, ni le problème, mais bien un partenaire historique avec lequel la France doit collaborer pour bâtir un avenir plus serein.

Les déclarations de Dominique de Villepin, bien que dissidentes dans le paysage politique actuel, rappellent son héritage gaulliste et sa tradition de défense d’une diplomatie équilibrée et inclusive. À l’image de son célèbre discours contre l’intervention militaire en Irak en 2003, de Villepin s’érige à nouveau en défenseur d’une politique internationale qui privilégie le dialogue plutôt que la confrontation. Dans le cas des relations franco-algériennes, son message est clair : « Il est encore temps de renouer les liens avec ce pays frère et ami, en mettant fin aux divisions et aux accusations infondées ».

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