Carlos Moore, un des intellectuels noirs les plus importants de nos jours, était à Curitiba le 11 Décembre 2012 pour le lancement de son livre Racismo e Sociedade – Novas Bases Epistemológicas para entender o racismo, (Racisme et Société – Nouvelles Bases Épistémologiques pour comprendre le racisme) des éditions Nandyalar. Cubain vivant à Bahia, il est docteur en Sciences Humaines et en Ethnologie de l’Université de Paris et directeur de recherche à l’École des Études Postdoctorales et des Recherches de l’Université des Antilles à Kingston, en Jamaïque. Moore a échangé avec l’équipe de presse de APP Sindicato au sujet des tromperies sur l’origine du racisme, de l’importance qu’il y ait des études sérieuses sur le sujet et il affirme que le racisme est un problème de Blancs. Découvrez l’interview.
Quel est le thème principal du livre?
C’est le racisme à travers les temps, parce que cette idée que nous avons selon selon laquelle le racisme est quelque chose de récent est fausse. Les gens supposent que le racisme a surgi à cause de l’esclavage il y a 400, 500 ans. Cette idée est ancrée dans les esprits et dans le milieu académique. Le racisme a entre 3 et 4 mille ans d’existence. Nous avons des indices très clairs du racisme il ya 1.700 ans Avant JC.
Pouvez-vous donner un exemple?
Il y a l’exemple du Rigveda, qui est le livre sacré de l’hindouisme. Dans celui-ci sont décrites des scènes d’extermination raciale, dans lesquelles les envahisseurs blancs disent que Dieu les a envoyés en mission pour exterminer ce qu’ils appelaient la « souche » noire.
Ils s’opposaient déjà aux Noirs à l’époque?
Bien sûr, puisque les Noirs étaient dispersés sur la planète entière. La race noire n’était pas race dans ce sens que nous projetons aujourd’hui, parce qu’ils ne se savaient pas Noirs. Les peuples mélanodermique – de peau noire – sont nés en Afrique. Il n’y avait pas d’autres peuples. La race blanche est récente, elle date d’entre 12 et 18 mille ans. Avant cela, il n y avait pas de blancs, ni de jaunes. Les races leucodermiques sont récentes (Caucasique-europóide et sino-nippo-mongole).
La race noire a surgi il y a 3 millions d’années, dans le même temps que l’émergence de l’humanité. Ce n’était pas une question politique. Pendant 3.000.000 années, l’humanité avait la peau noire parce qu’elle avait surgi dans des latitudes où la peau protégeait l’organisme humain. S’il avait été blanc, l’humanité n’aurait pas existé, car un bouclier contre les rayons solaires était nécessaire.
Sans cela, l’humanité n’aurait pas avancé …
Oui. Quand les humains modernes ont quitté l’Afrique il y a 50.000 ans, ils sont allés dans différents climats, où il y avait un minimum de rayons ultraviolets, puis ils ont commencé à mourir. Par un processus de sélection naturelle, deux autres races ont surgi, qui étaient plus adaptées, parce que la peau claire peut mieux capter le peu de rayons violets qui existent dans ces zones Eurasie, du Nord.
Ces trois »races », qui ne connaissaient pas, se mettent à s’affronter dans des combats profonds et violents pour les ressources. Les groupes qui avancèrent vers le sud commencèrent à expulser les Noirs dans des combats cruels. À partir de là, ces groupes se reconnaissent comme des groupes distincts et surgit le concept de race.
Cette histoire est très ancienne, mais au XXIe siècle on n’a toujours pas dépassé ce différend …
Il n’existe aucun moyen pour le surmonter parce que les gens ne savent même pas que cela s’est passé et que c’est ce qui a donné lieu à une sorte de conscience qui nous domine aujourd’hui.
Par exemple, le conflit entre la femme et l’homme n’est pas dépassé, mais personne ne sait d’où il a surgi. C’est très lointain. Les gens parlent de sexisme dans un contexte actuel contemporain, mais où sont les études sur le sexisme qui remontent à 5000, 10, 15 mille ans ? Il n y en a pas!
Et vous pensez que l’approfondissement de ces études aide à lutter contre le racisme aujourd’hui ?
Bien sûr. On ne peut pas combattre une chose dont on ne connait pas l’existence, la façon dont elle est née, de la manière dont elle s’est transformée ou qu’elle a traversé les millénaires. Ce sont millénaires de sédimentation. En ayant cette vision panoramique et historique, basée sur du concret, ce qu’est la génétique, par exemple, et la biologie moléculaire, nous permet savoir, ainsi on peut commencer à analyser le problème à partir d’autres bases épistémologiques.
Un autre concept est que vous contestez, c’est que le racisme au Brésil a été plus doux que dans d’autres pays comme aux États-Unis. Parce qu’ici il a été plus pervers ?
Je ne crois pas en un racisme plus doux ou plus cordial. Le racisme est une forme de violence totale. C’est un rejet total de l’autre, un rejet génocidaire. Derrière tout racisme existe une intention de génocide, ce qui n’est pas le cas du sexisme. L’homme ne veut pas éliminer la femme. Il veut la garder dans des positions subalternes, mais il ne veut pas exterminer son épouse ou sa fille. Pareil pour les homosexuels. Les gens ne veulent pas les exterminer de la surface de la terre, car il peut parfois s’agir de leurs propres enfants. Dans le cas du racisme, oui.
Au Brésil, l’extermination est recherchée à travers le métissage. C’est une chose que de parler du mariage entre égaux et le métissage programmé est autre chose. C’est de l’eugénisme. La vision brésilienne est fondée sur l’idée que si vous croisez constamment la race noire avec la race blanche, dans une situation d’infériorité des Noirs, vous allez finir par en finir avec cette race, parce que celui qui est inférieur veut progresser, et le progrès au Brésil signifie se blanchir. Ce n’est pas accepter la diversité, c’est l’éliminer. Ce racisme est plus mortell
Aux États-Unis, il repose sur l’apartheid, qui est agrégateur. Il y a deux groupes compacts et il y a la possibilité de la négation, mais le racisme que nous avons ici est de typologie ibéro-américaine, il est atomisateur. Quand on atomise, on ne négocie pas. C’est un racisme pré-industriel.
Que pensez-vous de l’évolution de la lutte du mouvement noir aujourd’hui, avec l’adoption de mesures comme les quotas et l’enseignement de la culture africaine dans les écoles ?
Je pense que le mouvement noir est en train de mener une lutte extraordinaire. Mais il porte le poids du racisme dans la société. Je pense que la société ne peut progresser ainsi. Le racisme provient des blancs, donc ce sont les Blancs qui doivent exercer un mouvement et une force d’opposition au racisme.
Quelles sont les distorsions produites par les médias sur cette question ? Pouvez vous en citer ?
La presse n’est pas différente de la société. Dans la société raciste, la presse a son rôle. Comme l’université, elle reproduit les stéréotypes et le système dominant. La presse n’est pas là pour contester. Elle discrédite les quotas, le mouvement noir, la presse obstrue, déforme, détruit tout ce que le mouvement anti-raciste propose, parce que les médias font partie du statu quo – comme l’université et l’Eglise. Dans une société raciste les institutions sont racistes.
Il y a des journalistes qui individuellement s’en rendent compte et tentent de nager à contre-courant. Les mouvements antiracistes doivent favoriser ces informations objectives pour atteindre ces journalistes.
Pensez-vous que le fait de valoriser faites à la société par la culture africaine sont une façon de modifier cette façon de penser ?
Bien sûr. C’est contribuer à la vérité. Parler de cette contribution c’est simplement dire la vérité. Il se trouve que les écoles ne valorisent jamais cela. Valoriser ces contributions c’est simplement être objectif. Par exemple, l’idée que les Egyptiens sont blancs est bien enracinée, parce qu’ils considèrent qu’il est impossible que les Africains aient construit la première civilisation mondiale, ce qui est extraordinaire. Cela ne cadre pas avec ce qu’ils ont en tête comme étant noir.
Avez-vous un autre exemple à me donner ?
Regardez la télévision: les blancs représentent la vertu, la pureté et la noblesse. Le noir est bandit, inférieur. Il apparait chaque fois comme quelqu’un de violent.
Pourtant ce sont eux qui ont historiquement subi la violence.
La carte de la violence au Brésil a été publiée : en 10 ans, plus de 225.000 noirs ont été tués! En 10 ans, au cours de la guerre civile en Irak, 138 000 personnes sont mortes. Imaginez l’hécatombe! Mais c’est normal ici.
Au Brésil, on admet pas l’existence du racisme, mais il suffit de voir que, par exemple, à l’Assemblée législative du Paraná, il n y a jamais eu de député noir. C’est très évident.
Et c’est cela la violence, parce que dans le Parana 30% de la population est noire. Cela signifie que ces 30% que l’on ne voit pas dans les préfectures, dans le gouvernement de l’État, dans les parlements, dans les universités, sont donc violemment exclus. Mais le racisme considère cela comme étant normal.
Que répondez-vous à ceux qui affirment que défendre la culture noire c’est du racisme à l’inverse.
Je n’ai rien à dire à ce sujet! Parce que le racisme est un système de pouvoir. Les Noirs ne détiennent le pouvoir nulle part dans le monde. Même en Afrique, ce sont les blancs qui commandent et si les dirigeants s’opposent, ils sont assassinés. Le noir n’a nulle part le pouvoir d’être raciste, même si cela était possible. Le racisme noir n’est pas possible parce que les Noirs ne peuvent pas réinventer l’histoire. Le racisme n’a émergé qu’une fois. Je ne peux pas commenter quelque chose d’aussi absurde, parce que je serais sur la défensive et c’est ce que le raciste veut: faire cette accusation pour que vous vous défendiez. Je ne perds pas de temps sur cette question, j’utilise tout mon temps pour attaquer le racisme.
Traduit du Portugais par Guy Everard Mbarga